La jurisprudence a déjà eu à se prononcer à ce sujet en statuant notamment que « la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge (...) constitue une fin de non-recevoir » [1]. Elle s’impose au juge si les parties l’invoquent, même si ce n’est qu’en appel (Ch. mixte, 14 févr. 2003, n°00-19.423). [2]. Dans un arrêt plus récent, la même formation de la Cour de cassation a précisé que cette fin de non-recevoir n’était pas susceptible d’être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d’instance (Ch. mixte, 12 déc. 2014, n° 13-19.684) [3].
Pour rappel, « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. » (article 122 du Nouveau Code de procédure civile). Il est à noter que les juridictions étatiques n’ont pas l’obligation de relever d’office cette fin de non-recevoir, « laquelle résulte d’une convention privée et ne présente donc pas un caractère d’ordre public » [4].
Face une demande de résiliation d’un contrat avec indemnité malgré ce type de clause, un arrêt de rejet de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 19 mai 2016 (n° 15-14464, publié au Bulletin) [5] se prononce dans le même sens que la chambre mixte en approuvant la fin de non-recevoir.
Dans cette affaire, le défendeur a soulevé l’irrecevabilité de la demande pour défaut de mise en œuvre de la tentative préalable de règlement amiable prévue au contrat. L’arrêt d’appel a accueilli cette fin de non-recevoir, contestée devant la Cour de cassation.
En l’espèce, la clause litigieuse se présentait de la manière suivante :
« pour tous les litiges pouvant survenir dans l’application du présent contrat, les parties s’engagent à solliciter l’avis d’un arbitre choisi d’un commun accord avant tout recours à une autre juridiction. »
La rédaction de la clause litigieuse interroge au premier abord.
Arbitrage n’est pas conciliation !
L’arbitrage est bien une juridiction, une juridiction privée. Par contre, solliciter « l’avis » d’un arbitre n’est pas là son rôle. Il est un juge qui rend une sentence arbitrale tranchant le litige et qui s’impose aux parties. Il n’est pas un préalable au « recours à une autre juridiction ».
L’arbitrage prévu par contrat antérieurement à la survenance du litige est appelée une clause compromissoire. Elle s’entoure de certaines exigences comme la désignation du noms des arbitres ou de leur mode de désignation. A la différence du compromis qui sera rédigé postérieurement pour régler le différend installé.
La médiation ou la conciliation sont différents de l’arbitrage. Il s’agit d’une renonciation au juge, temporaire pour les premiers, et définitive pour le second [6]
Les parties peuvent décider en effet de régler leur différend à l’amiable par l’intermédiaire de leur avocat, par une transaction. Depuis janvier 2016, les entreprises peuvent en outre saisir gratuitement le Médiateur des Entreprises (sur le site du ministère de l’Économie, notamment). Le conciliateur de justice, de son côté, est un auxiliaire de justice assermenté bénévole nommé pour un an par le premier président de la cour d’appel. L’accord amiable qu’il aura obtenu pourra être homologué par le juge (Arbitrage, médiation et conciliation : que choisir ?, Capital.fr, 6 juin 2016). Une toute nouvelle alternative s’est fait jour, sans recul pour l’instant pour juger de son efficacité, le règlement des différends « ubérisé » avec la plateforme en ligne eJust, lequel promet « réseau de professionnels de droit et d’experts » pour régler rapidement les litiges.
La requalification par le juge
C’est donc suivis par la Cour de cassation que les juges d’appel ont requalifié cette clause, en décidant que cette dernière ne prévoyait pas une véritable clause d’arbitrage soumettant le litige à la décision d’un tiers, nonobstant l’utilisation du terme « arbitre », mais qu’elle instituait une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge.
L’on imagine bien ici que ce n’est pas par une volonté farouche de conciliation que la partie défenderesse a soulevé l’irrecevabilité de la demande pour défaut de la tentative préalable de règlement amiable. Si les parties sont renvoyées à se mettre d’accord, au moins sur le nom d’un conciliateur, les chances restent minces pour, qu’à ce stade, un règlement amiable advienne, après cette longue bataille argumentaire devant le juge judiciaire, jusqu’à même la Cour de cassation. En pareil cas, l’effet pernicieux de la méconnaissance de cette clause est d’allonger la procédure. A moins que de guerre lasse, les parties soient « acculées » à s’entendre, s’il y a encore discussion possible.
Notons que les parties auraient aussi pu défaire, à la faveur d’un nouvel accord et avant tout procès, la clause contractuelle les enjoignant à la conciliation préalable qu’ils ont tissé.
En tout état de cause, à supposer que la désignation d’un arbitre fut bien la volonté des parties, l’on conçoit pareillement la difficulté de se mettre d’accord, une fois survenu le litige, sur le nom d’un arbitre unique [7]
Des conditions particulières de mise en œuvre
Quoi qu’il en soit en l’occurrence, ce n’est pas le terme d’arbitre ou celui de conciliateur qui était discuté par le demandeur à la cassation. Le moyen faisait valoir, en vain, que la clause contractuelle prévoyant une tentative de règlement amiable, non assortie de conditions particulières de mise en œuvre, ne constituait pas une procédure de conciliation préalable obligatoire.
Ceci est une référence directe à l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour du 29 avril 2014 (n°12-27.004) qui avait interprété de la sorte l’article 122 du Code de procédure civile à propos de manquements dans l’exécution d’un contrat de prestations informatiques. La Cour avait cassé l’arrêt des juges du fond qui avait déclaré cette fin de non-recevoir s’imposant au juge même si la clause se limitait à évoquer un règlement amiable sans préciser la procédure à suivre.
Argument vite balayé dans l’affaire qui nous occupe, la mention d’un « commun accord » satisfaisant la troisième chambre civile.
Pour autant, les praticiens du contrat devront demeurer prudents et rédiger avec soin cette clause contractuelle, car l’on sait qu’il s’agit d’un domaine où les décisions des différentes formations de la Cour de cassation sont contrastées.
Discussion en cours :
Petite precision : les conciliateurs de justice sont nommés pour deux ans et pas un comme indiqué par erreur.
Très bon article cependant.