La perception des marques qu’a le consommateur des produits en cause joue un rôle déterminant dans l’appréciation globale du risque de confusion. En effet, le niveau d’attention de ce dernier est susceptible de varier en fonction de la catégorie de produits ou services en cause. Mais qui est ce consommateur en matière vitivinicole ?
De manière générale, en dehors de domaines spécifiques où le consommateur pris en compte est plutôt un public professionnel ou avisé (comme dans les domaines techniques ou pharmaceutiques), la jurisprudence se réfère à la perception qu’a un consommateur moyen qui n’est pas un expert mais qui est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.
Or, en matière viticole, la position de l’INPI (Institut National de la propriété Industrielle) et de la jurisprudence française est parfois bien différente.
En effet, extrapolant la jurisprudence relative au droit au tènement qui contraint plusieurs sociétés à utiliser des signes proches du fait de la présence d’un toponyme, l’INPI, par exemple, a pris la fâcheuse habitude d’adopter en ce qui concerne les vins une attitude bien restrictive.
Notamment, les décisions d’opposition retiennent (trop) souvent que « dans le domaine vitivinicole, le consommateur est habitué à distinguer entre elles des marques souvent composées pour partie des mêmes termes ; qu’il s’ensuit que le consommateur porte une attention particulière aux marques de vins et sera d’autant plus apte à différencier les signes en présence ».
Nous serions donc tous des consommateurs de vins bien experts ! Cela est bien flatteur certes mais ne correspond pas vraiment à la réalité.
Or, tel ne semble pas être le cas des Instances Communautaires qui semblent retenir quant à elles : « Comme cela a été constaté par une jurisprudence bien établie, les vins sont destinés au grand public de l’Union. En effet, les vins faisant normalement l’objet d’une distribution généralisée, allant du rayon alimentation des grands magasins aux restaurants et aux cafés, sont des produits de consommation courante, pour lesquels le public pertinent est le consommateur moyen des produits de grande consommation. [Voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 9 mars 2012, Ella Valley Vineyards/OHMI – HFP (ELLA VALLEY VINEYARDS)]. Ce consommateur, qui est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, fera preuve d’un niveau d’attention raisonnable à l’égard des vins et des autres boissons alcooliques. Partant, la circonstance que les marques en cause visent notamment du vin n’implique pas que le public pertinent doive se définir comme se composant de consommateurs extrêmement attentifs. Par conséquent, il y a lieu de confirmer le constat repris dans la décision attaquée selon lequel le public pertinent en l’espèce se compose des consommateurs moyens raisonnablement attentifs et avisés dans l’ensemble de l’Union ».
Ainsi en a jugé le TRIBUNAL de l’Union Européenne (première chambre) dans une décision du le 14 mai 2013 dans une affaire opposant les marques CA’ MARINA pour des « Boissons alcooliques, en particulier, vins, mousseux, spiritueux, liqueurs » et MARINA ALTA enregistrée notamment pour : « Boissons alcooliques à l’exception des bières ».
Il est à noter que, dans l’affaire susmentionnée, la requérante avait également tenté de faire valoir que ses vins étaient de grande qualité et vendus à des prix relativement élevés de sorte que le consommateur se tournerait vers un canal de distribution spécialisé dans lequel les produits sont sélectionnés et où le consommateur trouvera une assistance auprès d’experts. Cet argument a été considéré sans pertinence pour l’appréciation du risque de confusion, dès lors que lesdits produits peuvent être perçus comme désignant des lignes de produits provenant d’un même producteur.
Nous notons également en ce sens une décision forte intéressante de la Cour d’appel de Bordeaux en date du 18 février 2013 opposant les marques LATOUR LAUZUN et CHATEAU LATOUR, et annulant la décision de l’INPI. La Cour d’appel a en effet retenu « Il apparaît ainsi qu’il existe une ressemblance visuelle, auditive et intellectuelle entre les signes en présence de nature à engendrer un risque de confusion pour un consommateur de vin d’attention moyenne qui sera amené à croire que les produits en cause proviennent de la même entreprise ou d’entreprises économiquement liées, et à penser que la marque contestée correspond à un second vin de l’exploitation de château LATOUR.
Ce consommateur ne correspond pas nécessairement à un public averti, connaisseur de vin et apte à éviter toute confusion, alors que le marché du vin concerne, de plus en plus un large public, notamment par la commercialisation en grandes surfaces et par internet, à l’échelon tant national qu’international, et que le risque de confusion est ainsi caractérisé, du fait de l’imitation, pour un consommateur d’attention moyenne ».
Finalement, le vin est donc bien un produit de consommation courante (et heureusement pour nos viticulteurs), et nous ne sommes donc que des consommateurs « normaux » faisant preuve d’une attention raisonnable (et d’une consommation bien entendu elle aussi raisonnable, l’abus d’alcool étant dangereux pour la santé !).
Cette question du consommateur de référence est bien plus large et suscite également des questions concernant le public visé par exemple par des marques en caractères étrangers.
En effet, la mondialisation de la contrefaçon chinoise (entre autres) donne lieu à de nouveaux cas de figure pour nos instances françaises, le dépôt de caractères spéciaux (chinois, cyrilliques, japonais, etc…) en France n’étant plus inhabituel.
Dans le domaine des boissons alcooliques, ces dernières ont par exemple eu l’occasion de se prononcer sur :
la contrefaçon d’une marque en caractères latins par sa translitération en caractères chinois :
Il a été ainsi considéré que la marque ci-contre (FLEUR DE PARIS en caractères chinois) déposée en France par la société CHAMPAGNE PERRIER-JOUËT ne constitue pas la contrefaçon de la marque ci-contre car « le signe contesté n’étant pas compréhensible par les consommateurs français, ceux-ci ne sont pas en mesure de le prononcer ni d’y percevoir de signification ; Que l’opposant affirme que les produits en cause « sont généralement consommés dans les débits de boissons, de sorte que l’offre et la demande devront être faites oralement, en prononçant…FLEUR DE PARIS » ; que toutefois, ces produits peuvent tout aussi bien être consommés en dehors des débits de boissons et, en tout état de cause, même lorsqu’ils sont consommés dans ce cadre, rien ne permet d’affirmer que le signe contesté serait compris et prononcé par les personnes concernées » [1].
la contrefaçon de deux marques en caractères spéciaux :
Dans le domaine des boissons alcooliques, le tribunal de Grande Instance de Paris a dans le passé (10-04-2009), eu l’occasion de se prononcer sur la contrefaçon des marques en caractères cyrilliques ci-contre , mais en l’espèce les signes étaient identiques et la contrefaçon facilement retenue.
Plus récemment dans une affaire opposant des marques portant sur quatre idéogrammes chinois, dont les deux premiers étaient strictement identiques, l’INPI a retenu les « différences entre les signes ne peuvent qu’échapper à un consommateur français d’attention moyenne ( ….) ; un tel consommateur non familiarisé avec l’alphabet chinois ( …..) ne percevra les deux signes que comme la juxtaposition de quatre idéogrammes chinois dont les deux premiers sont identiques, sans pouvoir distinguer ni comprendre les détails de chacun ».
A noter que dans cette affaire, s’agissant de « produits alcoolisés », produits de consommation courante, l’INPI a considéré que le public pertinent était ici donc constitué par le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé et vivant en France.
La jurisprudence française tend à considérer que les caractères chinois correspondent pour l’heure à de simples marques figuratives, et que le consommateur de référence reste le public français dans son ensemble, et non pas des consommateurs avertis connaissant la langue chinoise, les marques françaises ayant vocation à s’appliquer sur l’ensemble du territoire.
En conclusion, le consommateur français n’est pas forcément un expert en vin ni en langue étrangère !
Discussion en cours :
L’article est très intéressant pour essayer de cerner la notion de consommateur moyen appliqué au vin.
Mais quid du producteur moyen qui a le malheur de s’appeler Monsieur Mouton , de produire en Bourgogne et veut commercialiser sa production avec des étiquettes Domaine Mouton.
Il vient de se faire interpeller par des producteurs du Bordelais.
Doit il changer de nom et s’appeler monsieur Dupont ?