En instituant une obligation de publicité et de mise en concurrence préalable à la délivrance de titres d’occupation du domaine public pour une exploitation économique, l’ordonnance n°2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques a modifié en profondeur le cadre juridique applicable en matière de domanialité publique.
En effet, si cette procédure pouvait être librement organisée par les gestionnaires de domaine public, cela de manière facultative, il s’agit désormais d’une obligation régie par les dispositions de l’article L2122-1-1 et suivants du Code général de la propriété des personnes publiques.
Saisi récemment par des concurrents évincés, la juridiction administrative a examiné les premières affaires en contestation d’attribution de ces titres d’occupation du domaine public.
A priori semblable à celui en matière de commande publique, le cadre contentieux applicable à la matière comporte pourtant de véritables différences, de telle sorte qu’il interroge notamment sur l’efficacité des voies de recours ouvertes aux concurrents évincés qui souhaiteraient faire respecter les règles d’attribution.
I - Un rapprochement du contentieux avec celui applicable en matière de commande publique ?
La jurisprudence considère de manière stable et pérenne que les titres d’occupation du domaine public sont des contrats administratifs. À ce titre, les conventions qui ont pour objet une occupation domaniale peuvent ainsi faire l’objet d’un recours de pleine juridiction en contestation de validité du contrat [1], qu’elles aient été - ou non - été précédées d’une procédure de sélection transparente [2].
Par de récentes décisions, le juge administratif a confirmé que les concurrents évincés de la procédure de publicité et de sélection préalable à l’attribution d’une convention d’occupation doivent utiliser ce recours plein contentieux, le recours en excès de pouvoir restant alors ouvert aux autorisations unilatérales portant occupation du domaine public.
Ce recours doit être exercé dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation.
En outre, pour justifier de son intérêt à agir, le requérant devra prouver qu’il a été « lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine » [3] par la passation du contrat d’occupation domaniale ou certaines de ses clauses. Il a ainsi été jugé qu’une association ayant déposé une offre dans le cadre d’un appel à candidature en vue de l’attribution d’un emplacement sur le domaine public, présente un intérêt à agir dans le cadre d’un recours Tarn-et-Garonne contre la convention d’occupation domaniale relative à cet emplacement. Elle n’en présente en revanche aucun dès lors qu’elle conteste le contrat relatif à un emplacement pour lequel elle ne s’est pas portée candidate, quand bien même cet emplacement serait à proximité de celui pour lequel elle avait déposé une offre [4].
Le juge administratif rappelle classiquement que le recours en excès de pouvoir est fermé pour les concurrents évincés. Ainsi, tous moyens de légalité relatifs au choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat ou encore de la décision de le signer, ne peuvent être soulevés qu’à l’occasion du recours en plein contentieux [5].
Les moyens qui seront susceptibles de prospérer dans le cadre de ce recours sont uniquement ceux « en rapport direct avec l’intérêt lésé dont les requérants se prévalent ».
Ainsi, pour un concurrent évincé, seuls des moyens tirés de la méconnaissance des règles de publicité et de sélection pourront être invoqués et ne prospéreront que ceux en rapport direct avec leur éviction [6].
Sur ce point, il convient cependant d’observer une différence notable avec le contentieux en matière de commande publique : le pragmatisme du juge administratif qui valide une marge d’action dévolue au gestionnaire dans sa procédure de sélection.
Le juge a par exemple été amené à considérer qu’en l’absence de précisions imposées par un quelconque acte réglementaire, le gestionnaire du domaine public communal était tout à fait libre de constituer un jury émettant un avis sur les offres des candidats [7] et qu’aucun vice de procédure n’entachait ainsi le déroulé du processus de sélection.
Cette souplesse tient évidemment au fait que le Code général de la propriété des personnes publiques ne donne aucune indication ni sur les modalités de publicité ni sur sa durée, ni sur les règles de sélection. Ce faisant, le gouvernement a entendu laisser une marge de manœuvre importante aux gestionnaires du domaine public considérant que le fait d’accepter l’utilisation privative de son domaine répond à une recherche de valorisation du bien et en aucun cas, à l’inverse des contrats de la commande publique, cela ne répond pas à un besoin précis de l’administration.
Les hypothèses dans lesquelles un tel recours pourra prospérer semblent donc assez réduites.
Cela est d’autant plus vrai que le recours Tarn-et-Garonne présente des limites importantes tenant à l’office du juge. Un moyen jugé recevable n’aboutira pas forcément à l’annulation de la convention d’occupation contestée. Le juge devra en effet apprécier l’importance et les conséquences des vices invoqués pour déterminer une solution qui tienne compte de l’objectif de stabilité des relations contractuelles. Il pourra alors soit inviter à la régularisation des vices invoqués, soit prononcer l’annulation partielle du contrat, soit opter en faveur de sa résiliation. Cette ultime solution n’est toutefois retenue qu’en l’absence de régularisation envisageable, et en présence d’un vice du consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité.
C’est donc plutôt sur le terrain de l’indemnisation que les concurrents évincés de la procédure de sélection pourraient voir leurs demandes satisfaites. On peut légitimement imaginer que les juges s’inspireront de la jurisprudence en matière de marchés publics, laquelle reconnaît le droit à indemnisation du manque à gagner au profit des candidats évincés qui avaient des chances sérieuses de l’emporter [8].
Il est également probable qu’apparaisse un contentieux de la responsabilité visant l’indemnisation de l’amodiataire qui voit son contrat d’occupation domaniale résilié par le juge en raison d’une faute de l’administration commise dans la procédure de publicité et sélection préalable. Le cocontractant pourrait demander l’indemnisation de son préjudice [9].
Si le contentieux en matière d’occupation domaniale comportant une exploitation d’une activité économique semble donc proche du contentieux en matière de commande publique, il convient néanmoins de souligner la faiblesse des outils contentieux pour sanctionner efficacement les manquements aux obligations de publicité et de sélection préalable.
II - Une faiblesse des voies de recours d’urgence pour les concurrents évincés qui limite l’opérationnalité du contentieux.
Bien qu’une procédure de publicité et de sélection préalable à la délivrance d’une convention domaniale pour l’exercice d’une activité économique soit désormais obligatoire, l’ordonnance du 19 avril 2017 n’institue pas de voies de recours d’urgence qui permettraient de sanctionner utilement tout manquement à ladite procédure.
En effet, contrairement au contentieux en matière de commande publique, il n’existe pas, en matière domaniale, de recours d’urgence dédié qui permettrait de suspendre la signature d’un contrat d’occupation et d’ordonner à la personne publique de respecter les règles de sélection préalable, par exemple en recommençant la procédure.
Par ailleurs, le référé précontractuel n’est pas ouvert aux concurrents évincés d’une procédure de publicité et de sélection préalable à la délivrance d’un titre domanial.
Les dispositions de l’article L551-1 du Code de justice administrative qui instituent cette voie de recours ne visent pas les conventions d’occupation du domaine public.
Si les concessions domaniales, soumises au Code général de la propriété publique des personnes publiques, peuvent être contestées dans ce cadre, c’est toutefois sous réserve qu’elles soient le support d’un des contrats administratifs entrant dans le champ du référé précontractuel [10].
S’en tenant à la lettre du texte, la jurisprudence avait ainsi fermé la voie du référé précontractuel au candidat évincé à la suite d’une procédure de sélection préalable à la délivrance d’un titre d’occupation que la personne publique avait décidé de mettre en place [11].
Bien que cette procédure soit désormais imposée, le Code de justice administrative n’ayant pas été modifié, le référé précontractuel n’a pas été ouvert aux concurrents évincés en matière d’occupation domaniale.
Par suite, le référé contractuel n’est pas non plus ouvert puisque son champ d’application se définit par référence aux dispositions de l’article L551-1 du Code de justice administrative.
Or, le référé-suspension et le référé-liberté ne semblent pas pouvoir offrir une voie de droit parfaitement pertinente aux concurrents évincés.
S’agissant du référé-suspension, si la jurisprudence a admis qu’un tiers pouvait assortir son recours en contestation de la validité du contrat d’une requête en référé tendant à la suspension de l’exécution dudit contrat [12], cette solution n’a pour l’instant pas été mise en œuvre dans le contentieux des conventions domaniales avec une activité économique.
Le juge des référés n’a, en effet, été amené à connaître à ce stade que la demande de suspension d’un acte administratif d’approbation du contrat. S’il a considéré recevable la requête en référé suspension, il a été précisé que ne pouvaient être utilement invoqués que les moyens de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cet acte d’approbation. Par conséquent, les moyens relatifs aux manquements en matière de publicité et de sélection préalable à la conclusion de la convention d’occupation du domaine public ne sont pas recevables [13].
Quant au référé-liberté, les chances qu’il prospère sont minces. Bien que la liberté du commerce et de l’industrie soit reconnue comme une liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 du Code de justice administrative [14], et qu’elle puisse donc être valablement protégée dans le cadre d’un tel recours, le juge administratif considère cependant qu’il n’existe aucun droit à se voir délivrer un titre d’occupation domaniale. Ce faisant, il en conclut qu’une décision de refus de délivrer une telle autorisation, n’est pas susceptible, par elle-même, de porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie [15]. L’atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l’industrie apparaît donc extrêmement compliquée à justifier.
En l’absence d’une voie de recours efficace pour faire respecter les nouvelles règles de publicité et de sélection, les concurrents évincés devront pour l’instant, dans la majorité des cas, se contenter d’une réparation financière de leur préjudice. Cela interroge sur la capacité du cadre contentieux à assurer un respect effectif des règles de mise en concurrence imposées par l’Union européenne.