I. La justiciabilité de la loi élément de complétude de l’autorité juridictionnelle.
D’un point de vue constitutionnaliste, la justiciabilité de la loi est un mécanisme consubstantiel au caractère démocratique d’un système (A). Alors que cette consubstantialité n’est pas névralgique au sein d’un système légaliste (B).
A. La dilution du légicentrisme.
Il est utile de rappeler, que le légicentrisme était le principal obstacle à l’installation d’un dispositif susceptible de remettre en question la conformité de la loi. Cette idéologie postulait une sorte d’intouchabilité juridictionnelle de la loi qui selon les époques pouvait être remise en cause uniquement via l’organe législatif (référé législatif) ou par des mécanismes, plus ou moins diffus, initiés notamment par la réprobation populaire. Par conséquent, bien que le légicentrisme postule une immunité juridictionnelle de la loi, il ne sous-entendait pas, en théorie, l’incontestabilité de cette dernière.
L’institutionnalisation de la justiciabilité de la loi a donc nécessité un cheminement long [2] qui est entamé dès les débats [3] relatifs à la constitution de la Ière République. Il est possible d’admettre que le premier pas vers une justiciabilité efficace de la loi est matérialisé par la décision n°71-44 DC du Conseil constitutionnel en date du 16 juillet 1971 et la création du Conseil constitutionnel par la Constitution de 1958. L’institution d’une réelle justiciabilité a priori rend envisageable [4] et acceptable un mécanisme de justiciabilité a posteriori. La décision du Conseil constitutionnel en date du 16 juillet 1971 entame la première phase de la fragilisation du légicentrisme. Ainsi, ce phénomène est confirmé par la validation [5] du contrôle de conventionalité [6] de la loi par le Conseil constitutionnel.
Ces mouvements tant institutionnels que jurisprudentiels provoquent la dilution du légicentrisme au profit d’un épanouissement du constitutionnalisme. Cette maturation [7] du constitutionnalisme était la condicio sine qua non à l’acceptabilité de la justiciabilité a posteriori.
B. L’acceptabilité de la justiciabilité a posteriori de la loi.
Le dispositif de l’article 61 de la Constitution qui prescrit le contrôle de constitutionnalité a priori a contribué à rendre acceptable [8] l’institution d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori. La justiciabilité a priori de la loi donne une primauté aux organes politiques (président de la République, Premier ministre, Présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale ou soixante députés ou encore soixante sénateurs) quant à la validité de la loi avant promulgation. Sauf changement de circonstances [9], il s’agit d’un filtre préalable qui, s’il est passé avec succès, interdit [10] que la loi promulguée (donc déclarée constitutionnelle) puisse subir un contrôle constitutionnel a posteriori.
Dès lors, l’un des éléments qui participent du caractère acceptable de la justiciabilité a posteriori de la loi, c’est qu’il ne s’agit pas d’un désaveu du contrôle a priori mais bien d’un parachèvement de la justiciabilité de la loi. Les contrôles a priori et a posteriori servent le même dessein l’effectivité de la norme constitutionnelle par la justiciabilité de la loi.
II. L’institution d’un dispositif a posteriori de justiciabilité de la loi.
L’institution d’un dispositif a posteriori de justiciabilité de la loi peut être mise en œuvre de deux manières. La première peut consister en l’organisation d’une saisine directe (A). La seconde peut consister en l’organisation d’une saisine préjudicielle (B).
A. La saisine directe du juge constitutionnel.
Il subsiste deux types de saisine directe du juge constitutionnel. L’une se matérialise par une saisine a priori alors que l’autre consiste en une saisine a posteriori. Le recours direct a priori peut se réaliser avant que la loi n’ait été promulguée ou avant qu’elle ait été votée. En tout état de cause, dans l’une ou l’autre hypothèse, la saisine directe a priori intéresse généralement le corps législatif ou les organes politiques constitutionnels tel que l’exécutif étatique ou gouvernemental. La saisine directe a priori a le mérite de prescrire un contrôle concentré (une seule juridiction compétente) et postule un contentieux abstrait dans la mesure où le contrôle ne se réalise pas à l’occasion d’un litige mais à l’occasion de la conception d’un dispositif juridique.
Ainsi, la saisine directe a priori est une sorte de juridictionnalisation ou objectivation du débat parlementaire. Dans sa rédaction et dans sa mise en œuvre, le contenu de l’article 61 de la Constitution postule [11] indiscutablement l’effectivité de la hiérarchie des normes en posant la loi comme un acte subséquent à la Constitution.
La saisine directe [12] du juge constitutionnel peut également être a posteriori. Il est possible d’envisager deux types de dispositif. La saisine directe a posteriori peut être sèche, c’est-à-dire sans filtre. Cependant, il est également possible de concevoir un recours direct a posteriori aménagé, c’est-à-dire avec filtre.
La saisine directe « a posteriori sèche » est une option qui peut comporter quelques inconvénients tant elle laisse la Constitution face à deux risques non négligeables. Le premier postule un comportement activiste des requérants qui par ambition de subversion politique utiliseraient un tel outil afin de contrarier le bon fonctionnement des institutions par la voie juridictionnelle. Le second écueil de l’action directe sans filtre repose sur le risque d’engorgement de la juridiction constitutionnelle. Il est donc perceptible que l’absence de filtre pose un tel dispositif dans une zone d’inefficacité.
C’est la raison pour laquelle l’affectation d’un filtre à un dispositif d’accès au contrôle a posteriori n’est pas un accessoire mais bien une condition préalable. Toutefois, le recours direct « a posteriori aménagé » n’est pas exempt de vices rédhibitoires. L’organisation du tri des recours peut, selon la sévérité de ses critères, être un organe asphyxiant le contrôle de constitutionnalité a posteriori.
En tout état de cause, par l’article 61-1 de la Constitution, il est fait le choix d’un contrôle a posteriori soutenu par un système de filtre par les deux autres juridictions juridictionnelles suprêmes que sont la Cours de cassation et le Conseil d’État.
B. La saisine préjudicielle du juge constitutionnel.
La saisine préjudicielle semble ne devoir être qu’un recours a posteriori. Un tel dispositif peut être appréhendé comme étant incongru, voire irréaliste, dans une perspective a priori, car cela impliquerait que dans le processus législatif serait institué une chronologie processuelle supposant qu’une première juridiction saisie sur le principal de la validité de la loi soit dans l’obligation de surseoir à statuer au profit d’une seconde qui examinerait le renvoi préjudiciel sur des questions hors du champ de compétence de la première juridiction.
Ce schéma travestit le processus législatif pour l’insérer dans une configuration caractérisée par une prépondérance de l’instant juridictionnel. Le débat juridictionnel sur la question de la validité de la loi (l’appréciation du partage des domaines respectifs de la loi et du règlement) au principal, puis « préjudiciellement » sur la question de la constitutionnalité de la loi (conformité de la loi aux principes constitutionnels), détournerait du débat parlementaire, traditionnellement politique.
Le Conseil constitutionnel moderne (postérieure à la jurisprudence « liberté d’association ») cumule la compétence sur l’appréciation du partage des domaines respectifs de la loi et du règlement, ainsi que celle qui est relative au contrôle de conformité de la loi aux principes constitutionnels. La saisine préjudicielle a priori du juge constitutionnel n’existe pas, sauf à supposer l’hypothèse selon laquelle le Conseil constitutionnel solliciterait par voie préjudicielle l’avis de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).
Nonobstant le fait que les textes dont cette juridiction assure l’effectivité sont constitutifs de l’Union Européenne, il faut noter que le renvoi préjudiciel auprès de la Cour de Justice de l’Union Européenne n’est pas une saisine d’un juge constitutionnel. Si une telle hypothèse n’est pas valide au sein du système français, dans d’autres types d’organisations juridictionnelles, le renvoi préjudiciel [13] par le juge constitutionnel est accepté. La Cour d’arbitrage en Belgique et la Cour constitutionnelle au Portugal pratiquent la question préjudicielle auprès de la CJUE.
En France, la prise en compte de la question du renvoi préjudiciel a eu une incidence non négligeable [14] sur l’aménagement [15] du dispositif inséré par la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008. Le mécanisme juridictionnel qui assure l’effet utile du droit européen (question préjudicielle), conformément à la logique postulée par le principe de la hiérarchie des normes, ne pouvait être posé en égalité chronologique avec le dispositif de saisine préjudicielle de contrôle a posteriori de constitutionnalité.
En tout état de cause, la méthodologie des juges pour résoudre un litige impose un traitement chronologique des questions inhérentes à la découverte de la solution du litige. Les principes généraux de la procédure posent la chronologie [16] suivante : question préalable, question principale en sursis en cas de question préjudicielle de droit interne (compétence d’un autre ordre juridictionnel) ou de droit de l’union européenne. Pour ce qui est de la question préjudicielle de droit de l’union européenne, l’article 267 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) propose deux types de renvoi préjudiciel, l’un facultatif (Art. 267 al.2 TFUE [17] et l’autre obligatoire (Art. 267 al.3 TFUE [18]).
Cela étant dit, le caractère prioritaire [19] de la question a posteriori de constitutionnalité est donc en lien avec la subsistance de plusieurs niveaux de questionnement dans la méthodologie qui doit mener à la découverte de la solution du litige. La question préalable constitue le point juridique que le juge doit analyser afin de vérifier si les conditions requises pour l’existence de la question principale sont recouvertes.
À ce niveau de la recherche d’une solution au litige, le juge peut déceler des éléments qui imposent la compétence d’un autre ordre juridictionnel. Une fois la question préalable satisfaite, le juge s’intéresse au fond (question principale). C’est à cette occasion que peut survenir la nécessité d’une question préjudicielle soit auprès d’une juridiction d’un autre ordre juridictionnel lorsque l’élément déterminant une partie de la solution est de sa compétence exclusive, soit auprès de la CJUE. Ce dialogue institué, doit permettre au juge du principal, après sursis à statuer, de reprendre la main sur le litige et d’en donner une sanction.
C’est en cohérence avec cette configuration que doit être prioritaire, en toute logique, la saisine préjudicielle a posteriori du juge constitutionnel. Le renvoi préjudiciel a posteriori et prioritaire intervient chronologiquement après la question préalable qui étudie la recevabilité de la demande et la compétence du juge saisi. Dans la mesure où, il ne serait pas pertinent qu’elle intervienne après les questions préjudicielles tenant tant du principe de répartition des compétences juridictionnelles inter-ordre que de l’objectif d’effet utile du droit de l’union européenne, la question a posteriori de constitutionnalité doit être prioritaire sur les autres saisines préjudicielles.
Ce caractère prioritaire découle de la logique portée par le principe de hiérarchie des normes ainsi que d’une logique processuelle. Il y aurait une cacophonie par défaut de méthodologie et donc mauvaise administration de la justice, si après s’est prononcé sur la recevabilité de la demande puis sur le fond de celle-ci, le juge se prononçait sur l’inconstitutionnalité de la loi sur laquelle il a fondé sa décision. Il y aurait risque de dédit.
Le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité post-promulgation est une efficacité processuelle. S’il n’y a pas de fondement juridique à la demande du justiciable, il n’y a pas d’intérêt juridique légitime, pas de procès, pas de question principale donc pas de question préjudicielle. L’analyse de la constitutionnalité de la loi doit être prioritaire car elle peut aboutir à l’abrogation de cette dernière. Ce qui postule la disparition de la question principale. Il est perceptible l’objectif d’effectivité de l’effet cascade. Concrètement, le Conseil constitutionnel par une décision n°2010-605 DC en date du 12 mai 2010, confortée [20] par la Cour de Justice de l’Union Européenne [21] en date du 22 juin 2010, présente les modalités de mise en œuvre de la priorité de la question de constitutionnalité en concours [22] avec une question de conventionalité de la loi.
Le conseil s’exprime en ces termes :
« Considérant, en premier lieu, que l’autorité qui s’attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l’article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir ces engagements sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution ; Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des termes mêmes de l’article 23-3 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée que le juge qui transmet une question prioritaire de constitutionnalité, dont la durée d’examen est strictement encadrée, peut, d’une part, statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu’il statue dans un délai déterminé ou en urgence et, d’autre part, prendre toutes les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ; qu’il peut ainsi suspendre immédiatement tout éventuel effet de la loi incompatible avec le droit de l’Union, assurer la préservation des droits que les justiciables tiennent des engagements internationaux et européens de la France et garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir ; que l’article 61-1 de la Constitution pas plus que les articles 23-1 et suivants de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne font obstacle à ce que le juge saisi d’un litige dans lequel est invoquée l’incompatibilité d’une loi avec le droit de l’Union européenne fasse, à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher que des dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l’Union soient appliquées dans ce litige ».
Autrement dit, le caractère prioritaire de la question a posteriori de constitutionnalité n’est pas en contrariété avec le dispositif institué par l’article 267 TFUE. La priorité de la question de constitutionnalité interdit en aucune façon l’efficacité [23] du droit de l’union européenne.
L’institution d’un dispositif de saisine préjudicielle a posteriori du juge constitutionnel est un schéma qui introduit le Conseil constitutionnel dans une aire post-moderne (ou de maturité) car elle finalise l’effectivité de la hiérarchie des normes en achevant [24] la construction de l’autorité juridictionnelle au niveau de sa compétence pour statuer sur les réclamations contre la loi sans perturber les mécanismes de contrôle de conventionalité réalisés via le renvoi préjudiciel.
III. L’achèvement de la judiciarisation du Conseil constitutionnel.
À l’instar de la décision n°71-44 DC en date du 16 juillet 1971, « liberté d’association », la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 crée un nouvel élan au sein du Conseil constitutionnel. Ce renouveau est à l’origine de la création d’un règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité. Il semble qu’il puisse provoquer une mutation plus profonde telle la création d’un « Code de justice constitutionnelle ».
Par une décision [25] en date du 4 février 2010, le Conseil constitutionnel adopte une décision portant « règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ». Cette dernière doit être assimilée à un « Code de justice constitutionnel ». La conception de ce règlement intérieur, parce qu’il prescrit les modalités d’accès au procès QPC n’échappe pas à l’influence de l’article 6§1 de la Convention Européenne des Libertés Fondamentales et des Droits de l’Homme.
A. L’influence de l’article 6§1 de la Convention EDH.
L’institution, par la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008, de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) est véritablement l’amorce d’une nouvelle [26] étape pour le Conseil constitutionnel, car ce dispositif l’extirpe du positionnement de juridiction en aparté. Comme juridiction du contentieux normatif objectif [27] mais également comme juridiction du contentieux électoral [28], le Conseil constitutionnel n’entrait pas directement [29] dans le champ d’application du droit européen, notamment l’article 6§1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CESDHLF).
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a une analyse claire sur ce point, qu’elle a exprimé par une décision en date du 21 octobre 1997 (n°24194/94), « Jean-Pierre Pierre-bloch » et confirmée par des décisions subséquentes concordantes [30]. Dès lors, il est entendu que le fait qu’une instance se soit déroulée devant une juridiction constitutionnelle ne suffit pas à lui seul que ce type de procès puisse être soustrait aux exigences de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde EDHLF. La catégorie de la juridiction importe peu, car l’élément déterminant de l’applicabilité de l’article 6§1 de ladite convention repose sur le fait que le procès est relatif à une contestation sur des droits et obligations de caractère civil [31], ou encore, attrait à une accusation en matière pénale [32].
C’est ainsi qu’il résulte de l’analyse des juges [33] que le contentieux électoral et le contentieux normatif a priori « à la française [34] » ne doivent pas être perçus comme des instances qui apurent des contestations sur des droits et obligations de caractère civil, ou encore, qui apurent une accusation en matière pénale.
Bien que la distinction entre matière politique et matière civile peut paraître critiquable [35], parce que perceptible comme étant artificielle, c’est cette différenciation qui fonde l’inapplicabilité de l’article 6§1 de la CESDHLF. Toutefois, si l’inapplicabilité de l’article 6§1 au contentieux électoral est pour l’heure une constante, pour ce qui est du contentieux normatif (saisine directe [36] par des citoyens et saisine préjudicielle [37] la position du juge européen est différente et laisse anticiper ce qui pourrait advenir d’un « procès QPC » non compatible. Le juge européen admet [38] l’applicabilité des exigences processuelles imposées par l’article 6§1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme aux instances relatives tant à l’inconstitutionnalité d’un texte législatif qu’à l’inconstitutionnalité d’une décision de justice.
Dès lors, l’insertion par la voie préjudicielle d’un contrôle a posteriori de constitutionnalité soumet [39] le Conseil constitutionnel au respect des principes protégés par l’article 6§1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme car le dispositif QPC est incident [40] à une instance principale et doit comme elle respecter les impératifs processuels fondamentaux.
C’est donc pour pallier [41] ce risque qu’en date du 4 février 2010, le Conseil constitutionnel adopte une décision portant « règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité » afin que le « procès QPC » soit compatible aux standards européens, c’est-à-dire le délai raisonnable, le contradictoire, l’égalité des armes et l’impartialité.
B. Le procès QPC.
Le processus qui conduit à l’apurement d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité est balisé par trois principaux textes. Le premier est l’article 61-1 de la Constitution, puis l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 (articles 23-1 à 23-12) et en troisième place il y a le règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les Questions Prioritaires de Constitutionnalité. C’est ce dernier texte qui renseigne davantage sur le déroulement du procès [42] QPC. Il est composé de quatorze articles qui insèrent indiscutablement le Conseil constitutionnel dans un processus de judiciarisation. L’évolution n’est pas uniquement textuelle, car elle a également imposé la réalisation de travaux [43] d’aménagement d’une salle d’audience ainsi que d’une salle des avocats.
En tant qu’autorité juridictionnelle, à l’instar de la Cour de cassation et du Conseil d’État, le Conseil constitutionnel s’astreint au principe du contradictoire (articles 1er, 3, 6, 7 et 10 du règlement intérieur), de la bonne administration du procès (articles 2, 5 et 13 du règlement intérieur), de la publicité (articles 8, 9 et 12 du règlement intérieur) et de l’impartialité (article 4 et 11 du règlement intérieur). La procédure de saisine est prescrite par les articles 23-1 à 23-12 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958. Par conséquent, c’est dans ce texte qu’il est prescrit un délai de trois mois pour statuer sur la QPC (délai raisonnable, contradictoire et audience publique : article 23-10 de l’ordonnance n°58-1067).
Il est manifeste que c’est dans ces quelques lignes (l’ordonnance n°58-1067 et le règlement intérieur) qu’est contenu le commencement du parachèvement de la judiciarisation [44] du Conseil constitutionnel car le contrôle a posteriori de constitutionnalité pose indiscutablement le Conseil constitutionnel dans un rôle de juge constitutionnel.
Cependant, il s’agit d’un « commencement du parachèvement de la judiciarisation du Conseil constitutionnel » car la finalisation de cette transformation doit être ponctuée, notamment, par la refonte de la composition du Conseil constitutionnel.
IV. La mutation du Conseil constitutionnel.
Dans une approche un peu plus spéculative, il est possible d’anticiper les effets probables de l’introduction de la QPC tant sur la composition du Conseil constitutionnel que sur le repositionnement de ce dernier.
A. La composition du conseil constitutionnel et le renforcement juridictionnel de l’institution.
La question de la composition du Conseil constitutionnel n’est pas nouvelle. L’insertion de la Question Prioritaire de Constitutionnalité aggrave la pertinence de l’interrogation portée sur la désignation des membres du Conseil. Le Comité « de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République » s’exprime en ces termes : « Il n’est pas apparu au Comité que ce renforcement du caractère juridictionnel de la mission assignée au Conseil constitutionnel devait rester sans effet sur la composition de cette institution [45] […] ». L’anticipation du Comité dit Balladur [46] » inspire deux propositions l’une sera consolidée alors que l’autre ne le sera pas.
Le Comité « de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République » proposera [47] la modification de l’article 56 de la Constitution. Dans un premier temps, il est suggéré la mise en place d’un dispositif d’encadrement des nominations [48].
Le dispositif consiste à soumettre la nomination des trois membres du Conseil constitutionnel à l’avis public préalable de la commission permanente de chaque assemblée. L’addition des votes négatifs (trois cinquièmes des suffrages exprimés) au sein de chaque commission permanente constitue un blocage [49]. Le dispositif d’encadrement des nominations est applicable également aux nominations faites par le président du Sénat et celui de l’Assemblée nationale.
En revanche, pour ces nominations, les désignations « sont soumises au seul avis de la commission permanente compétente de l’assemblée concernée [50] ». Il est possible de supposer qu’il subsiste également un blocage des trois cinquièmes. Ce volet de la proposition n°74 a été consolidé par la loi constitutionnelle n°2008-724 en date du 23 juillet 2008.
Dans un second temps, il est suggéré l’abrogation de l’alinéa qui institue de droit et à vie les anciens Présidents de la République comme membre du Conseil constitutionnel. Cette proposition n’a pas été consolidée sous la présidence de monsieur Nicolas Sarkozy [51].
Cependant, à l’occasion des vœux du président de la République au Conseil Constitutionnel, le président en fonction depuis la mi-mai 2012, monsieur François Hollande [52], dans un discours [53] en date du 7 janvier 2013, émet l’intention de mettre un terme à la désignation à vie en tant que membre du Conseil constitutionnel des anciens présidents de la République. Pour l’heure, ce statut reste inchangé.
En tout état de cause, la soumission du Conseil constitutionnel aux exigences processuelles fondamentales, notamment telles qu’interprétées par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Cour EDH) donne une ampleur juridictionnelle, et non plus principalement doctrinale, à la question de la composition du Conseil constitutionnel.
L’encadrement des nominations peut être perçu comme une initiative susceptible de réduire les doutes quant à l’apparente [54] partialité des membres. L’intervention des commissions permanentes [55] semble devoir octroyer des garanties suffisantes afin d’exclure tout doute légitime. L’article 57 de la Constitution (relatif aux incompatibilités [56] et le décret n°59-1292 du 13 novembre 1959 sur « les obligations des membres du Conseil constitutionnel », sont des textes qui prescrivent des dispositifs susceptibles de proscrire l’impartialité subjective [57] des membres de la juridiction constitutionnelle.
À défaut d’abstention [58], les membres du Conseil constitutionnel peuvent être récusés. À ce niveau, dans son article 4 al.4 [59], le règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les QPC s’inspire fortement de la jurisprudence [60] de la Cour EDH. Il est constant que le fait qu’un juge ait déjà eu à connaître d’une affaire à l’occasion d’autres fonctions ou d’un litige antérieur ne suffit pas à induire sa partialité. Ce qui importe ce sont les mesures prises par le juge avant le procès. Cette circonstance renforce la nécessité, au moins, de purger le Conseil de ses membres de droit.
B. Le repositionnement du Conseil constitutionnel.
L’article 61-1 de la Constitution, l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 (articles 23-1 à 23-12) et le règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les Questions Prioritaires de Constitutionnalité, introduisent le Conseil constitutionnel dans une phase de renforcement [61] juridictionnel.
Le Conseil n’est plus uniquement une instance a priori dont la saisine est réservée exclusivement à des organes [62] politiques constitutionnels. La loi constitutionnelle n°2008-724 en date du 23 juillet 2008, l’inscrit dans une collaboration organique avec la Cour de cassation et le Conseil d’État. Le repositionnement du Conseil constitutionnel découle principalement du fait qu’il est introduit organiquement au sein du dualisme des ordres juridictionnels par la voie préjudicielle alors qu’il y était de manière informelle via le mécanisme de dialogue des juges caractérisée par la persuasion des jurisprudences.
C’est ainsi que l’institution de la QPC a pour effet non seulement de créer un lien entre des juridictions souveraines, mais participe à la réalisation de l’objectif de bonne administration de la justice notamment en permettant aux justiciables d’avoir « la faculté de faire valoir la plénitude de leurs droits [63] ».
En tout état de cause, la QPC donne un « la » à la marche du conseil constitutionnel vers son renforcement en tant que juge constitutionnel. En effet, dans la mesure où l’article 23-2.2° de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, pose un lien entre le contrôle a posteriori et le contrôle a priori, il est à peine surprenant que par une décision n°2022-152 [64], en date du 11 mars 2022, le Conseil constitutionnel crée un « règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution » entré en vigueur le 1er juillet 2022. L’article 23-2 précité, prescrit les 3 conditions qui doivent être remplies afin que la QPC soit transmise par la juridiction saisie. Parmi ces conditions, le point 2° souligne un défaut de transmissibilité de la QPC si la loi visée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel (sauf changement des circonstances).
C’est à ce titre, compte tenu de la manifeste et indiscutable judiciarisation du contrôle a posteriori de constitutionnalité, que le contrôle a priori de constitutionnalité doit formaliser (à droit constant [65]) un Code [règlement intérieur] de procédure [Saisine, instruction, jugement] suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution. En effet, la décision qui découle d’un contrôle a priori doit, d’une certaine façon, montrer le caractère d’un « procès » équitable [66] dans la mesure où l’existence d’une telle décision (sauf changement des circonstances) interdit la transmissibilité de la QPC.
Les conditions de saisine du juge du contrôle a posteriori de constitutionnalité impose une sorte de judiciarisation (par le biais de règle de procédure et d’instance) du contrôle a priori de constitutionnalité : « Petit à petit l’oiseau fait son nid ».