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Kleinaster
le Jeu 10 Juil 2008 21:10
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Profession: Avocat
La première question est la définition de la profession de juriste. Ca rappelle d'ailleurs une des consignes enseignées dans les facultés de droit : définir les termes du sujet, d'abord définir. Définissons donc : un juriste est un professionnel ou praticien du droit, soit qu'il conseille, soit qu'il défende, soit qu'il rédige des actes juridiques.
Le conseil peut intervenir à divers titres : soit au titre d'un projet, soit au titre d'une démarche, soit au titre d'un litige né ou à naître. La défense peut également intervenir à divers stades : soit au stade précontentieux, soit au stade contentieux et aussi bien devant des juridictions qu'en dehors. La rédaction d'actes juridiques, quant à elle, est quasiment consubstantielle à la profession même de juriste et intervient tant en conseil qu'en défense. Pour le reste, sur la façon dont s'opèrent ces activités, tout dépend de la spécialité, de la structure d'exercice, de la clientèle, de la ville même.
La seconde question est la définition du bon juriste. Les coforumeurs ont d'ores et déjà donné un certain nombre d'éléments. Pour ma part, je pense qu'il y a des qualités intellectuelles, car la profession de juriste fait partie de ces professions intellectuelles, ainsi que des qualités humaines, car elle touche à un élément fondamental de la société : le droit.
La qualité intellectuelle qui à mes yeux rassemble toutes les qualités intellectuelles qui font un bon juriste est incontestablement l'esprit d'analyse et de synthèse : être capable d'analyser une situation, un problème ou un besoin et de synthétiser son conseil, son avis, sa solution. Il en découle toutes les qualités intellectuelles qui font qu'un juriste est un bon juriste : sa rigueur, sa logique, son raisonnement, sa concision, son expression, son argumentation, sa compréhension globale du droit, sa recherche constante du moindre risque, son doute permanent, sa tenacité à tout vérifier, ses questions pertinentes, sa capacité à trouver efficacement la bonne information.
Des contrats mal rédigés, mal organisés, des assignations trop longues, incomplètes, des notes de consultation incompréhensibles... Quand on ne comprend pas ce qu'il a voulu dire, ni où il a voulu en venir, c'est probablement le signe qu'il n'a pas toutes les qualités du bon juriste. A l'inverse, quand tout est clair comme de l'eau de roche, quand tout est compris dès la première lecture ou écoute, c'est certainement qu'on a affaire à un bon juriste.
On peut être juriste mais on n'est un bon juriste qu'à partir du moment où on a acquis un certain recul vis-à-vis du droit, ce qui signifie avoir une vision dynamique et non pas statique et être un bon généraliste ne se bornant pas à sa seule spécialité. Des juristes ont ainsi une vision statique du droit, pour ne pas dire académique ou monolithique : ils se contentent d'énoncer la règle de droit, en des termes pas toujours accessibles pour leurs clients d'ailleurs, sans toujours les questionner plus longuement, ni prendre en compte les difficultés pratiques de ces derniers : les solutions théoriques qu'ils plaquent sont dès lors inapplicables en pratique ou ne répondent pas bien au besoin réel de leurs clients. Cela rejoint le propos de lemon sur la créativité et la flexibilité car la règle de droit est un outil qu'il faut pouvoir manier dans le sens des intérêts de ses clients : un bon juriste ne dit pas "non" tout le temps, il s'efforce de dire "oui mais" et trouve le moyen le plus approprié. Je me souviens d'un client qui après en avoir consulté un autre, était venu au cabinet, insatisfait de la réponse qu'avait donnée celui-là à son problème, en disant : "Je n'ai pas besoin qu'on me récite le bréviaire !" et c'est la raison pour laquelle il nous consulta et nous avions d'ailleurs réglé son problème en usant du droit, au lieu de le plaquer mécaniquement. Ce propos lapidaire m'est resté et me restera encore longtemps.
L'écueil qui peut gêter le juriste est également de faire preuve d'une technicité telle dans son domaine qu'il passe à côté des difficultés issues d'autres domaines : telle solution sera parfaite en droit des contrats mais impossible en droit de la consommation ou en droit des marchés publics par exemple ou il verra dans un dossier telle piste issue de sa spécialité mais pas telles autres issues d'autres spécialités, son travail restant alors incomplet. Il y a ainsi des avocats qui étant civilistes, se contentaient de faire jouer au procès pénal les règles de la responsabilité civile pour leurs clients vicitmes d'infractions pénales mais avaient totalement ignoré la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales (CIVI). Parce que le bon juriste a une vision globale et dynamique du droit, il est intelligent, rusé même parfois.
Il doit avoir un certain recul vis-à-vis du droit mais aussi de ses clients eux-mêmes, ce qui signifie remettre constamment en doute leurs dires et leurs visions. Certains disent d'ailleurs que le pire ennemi ou adversaire du juriste, c'est son client. Ca rejoint la discussion initiée par Laure74 sur le "vice" du juriste. J'ai le souvenir d'un avocat qui prenait inlassablement pour argent comptant tout ce que ses clients lui disaient et malheureusement, il manquait de recul lorsqu'il s'adressait à la partie adverse ou son confrère qui la représentait : ça ne suscitait évidemment pas un climat optimal pour arranger le contentieux entre les clients.
Les qualités humaines, quant à elles, sont nombreuses mais répondent au même souci : être au service du client. Cela signifie faire preuve d'écoute, car il faut comprendre le problème du client et le rassurer, et de pédagogie, car il faut lui expliquer pour qu'à son tour il comprenne la solution qu'on lui propose. C'est ainsi que se crée le lien de confiance et la satisfaction du client. Nombre de juristes usent et abusent du jargon, noient leurs clients sous un tas d'informations sans trier ou aller à l'essentiel. Les avocats en droit de la famille sont sans doute les plus concernés, face à des clients qui ne comprennent ni le jargon, ni les méandres des procédures de divorce, de pension alimentaire ou de résidence des enfants. Il y a parfois le manque de temps qui explique ce manque d'écoute et de pédagogie mais il n'est pas rare que ce soit plus simplement la personnalité du juriste lui-même qui le veuille.