En l’espèce, la propriété de particuliers située en bordure de la route départementale 2562 sur le territoire de la Commune de Tignet faisait régulièrement l’objet d’inondation par les eaux pluviales de ruissellement qu’un dalot en pierre déversait sur leur terrain.
Ces derniers ont obtenu la désignation d’un expert par ordonnance du Tribunal administratif de Nice.
Le rapport de ce dernier concluait à ce que pour mettre fin aux désordres affectant leur propriété, la création d’un réseau pluvial qui permettra de conduire les eaux de voirie par une canalisation était nécessaire.
Les intéressés ont formé une demande en ce sens auprès du département.
Une décision implicite de rejet est née à l’encontre de cette demande, cette dernière a fait l’objet d’un recours contentieux.
Par jugement en date du 27 décembre 2011, le Tribunal administratif de Nice a annulé cette décision et a enjoint au département de procéder aux travaux préconisés par l’expert judiciaire dans un délai de 6 mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Le département a interjeté appel de ce jugement.
Après avoir rapidement écarté les fins de non-recevoir opposées par les intimés, la Cour administrative d’appel de Marseille a censuré pour erreur de droit le jugement attaqué dans la mesure où il ressortait de la motivation de ce dernier que les premiers avaient, pour enjoindre au département de procéder aux travaux recommandés par l’expert, considéré que ce dernier se trouvait dans une situation de compétence liée.
En application de l’effet dévolutif de l’appel, ladite Cour s’est donc trouvée saisie de l’ensemble du litige et a dû examiner l’ensemble des moyens soulevés par les requérants de 1ère instance.
Les juges administratifs d’appel marseillais ont tout d’abord écarté, comme étant inopérants, les moyens tirés du fait que les conclusions à fin d’injonction qu’ils avaient formée l’avaient été à titre subsidiaire de leurs demandes principales tendant à l’annulation de la décision par laquelle le département avait implicitement rejeté leur demande de réalisation de travaux, et dans la mesure où lesdits travaux sont réalisables.
Ces derniers ont ensuite écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe de précaution garanti par l’article 5 de la Charte de l’environnement.
Les juges d’appel ayant considéré que la situation d’espèce ne permettait pas de considérer comme remplies les conditions d’application de ce principe.
Ces derniers ont également écarté les moyens tirés de la méconnaissance de l’article 3 de la Charte de l’environnement, cet article ne pouvant être utilement invoqué qu’à l’égard des actes pris par l’administration en vue de définir ou de mettre en œuvre un régime de prévention des atteintes à l’environnement, ce qui n’était manifestement pas le cas en l’espèce.
Se faisant, la Cour a fait application des principes dégagés par le Conseil d’Etat
[1].
C’est à l’occasion de l’analyse du moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation qui entacherait la légalité du refus implicite opposé que les juges administratifs d’appel marseillais ont apporté un nouvel éclairage sur le sort réservé à une demande tendant à la réalisation de travaux pour prévenir ou faire cesser un dommage de travaux publics, mais également sur l’office du juge en cette matière.
Ainsi, une autorité saisie d’une demande tendant à ce que l’administration procède à des travaux ayant vocation à prévenir ou faire cesser des dommages de travaux publics doit prendre en considération, d’une part, les inconvénients que la situation existante entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, d’autre part, les conséquences de la réalisation des travaux pour l’intérêt général dont elle a la charge, compte tenu, notamment, de leur coût et apprécier, en rapprochant ces éléments, si la réalisation des travaux n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général.
Il appartient au juge saisi de la contestation du refus opposé à une telle demande d’apprécier si ce refus n’est pas, à l’aune de ces critères, entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.
La Haute Assemblée avait déjà eu l’occasion de statuer en ce sens par le passé à au moins une occasion [2].
Toutefois, le principe dégagé par le Conseil d’Etat en 2011 concernait l’hypothèse d’une demande d’exécution d’une décision juridictionnelle devenue définitive ayant reconnu l’implantation irrégulière d’un ouvrage public.
Le cas d’espèce est différent. La Cour a donc adapté ce principe à une situation précontentieuse.
Les juges d’appel marseillais ont ensuite relevaient qu’en l’espèce, la propriété des requérants était depuis plus d’un siècle exposé au déversement d’eau de ruissellement en provenance de la voie publique et qu’ainsi leur construction et propriété était structurellement exposé en cas de fortes pluies à des inondations récurrentes.
La réparation d’un tel préjudice sur une dizaine d’années a été évaluée à un peu plus de 40 000 €, pour une valeur vénale du bien qui ne saurait excéder 360 000 €.
Toutefois la réalisation des travaux préconisés par l’expert, qui implique la création d’un bassin écrêteur de 240 mètres cubes en limite amont du terrain outre la pose de près de 600 mètres de linéaires de canalisation d’un diamètre d’1 mètre et la mise en place d’une servitude pour un coût total de 659 833 € TTC.
Au regard de l’ensemble des intérêts publics et privés en présence, la Cour a estimé que c’est à bon droit que le Président du conseil général avait pu rejeter la demande des requérants.
Le bilan coût/avantage de la réalisation de tels travaux étant négatif.
Bien que l’application de la théorie du bilan puisse paraître adaptée à la prise en considération de telles demandes, la Cour s’en est tenue à une analyse restreinte de l’erreur manifeste d’appréciation.
La Cour a donc annulé le jugement attaqué et validé l’analyse du département.
Références : CAA Marseille, 5 juin 2014, Département des Alpes-Maritimes, n°12MA00631 ; CE, 12 juillet 2013, Fédération nationale de la pêche en France, n° 344522 ; CE, 20 mai 2011, Communauté d’agglomération du lac du Bourget, n°325552