I- Qu’est-ce que c’est ?
L’action de groupe est une procédure de poursuite collective permettant à des usagers du système de santé placés dans une situation similaire ou identique de se regrouper et d’agir en justice pour obtenir réparation de préjudices individuels subis. Pour qu’une action de groupe puisse être intenter, il faut qu’au moins deux personnes se trouvent dans une situation similaire.
Il s’agit d’une action en réparation de préjudice, et l’article L.1143-1 CSP définit deux causes de préjudices pouvant autoriser une action de groupe :
Un manquement d’un producteur ou d’un fournisseur d’un produit de santé mentionné au II de l’article L. 5311-1 du CSP. La liste est très variée. On citera notamment : les médicaments, y compris les insecticides, les préparations magistrales, hospitalières et officinales, les substances stupéfiantes, psychotropes utilisées en médecine, les huiles essentielles et plantes médicinales, les matières premières à usage pharmaceutique, les produits contraceptifs et contragestifs, les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, les produits sanguins labiles, organes, tissus, les cellules et produits d’origine humaine ou animale, le lait maternel collecté, qualifié, préparé et conservé par les lactariums, les lentilles et leurs produits d’entretien de lentilles, les produits cosmétiques, les produits de tatouages…
Un manquement d’un prestataire lors de l’utilisation d’un des produits de santé cités ci-avant.
On soulignera que dans cette seconde hypothèse, le nouvel article L. 1143-20 CSP précise que les actions à destination des professionnels peuvent être exercées directement à l’encontre des assureurs de responsabilité du responsable au titre de l’action directe définie par le code des assurances (article L. 124-3).
L’action de groupe est portée par une association d’usagers du système de santé agréée. Elles sont répertoriées par les Agences régionales de santé. Contrairement à l’action de groupe mise en place en droit de la consommation (16 associations agréées), plus de 400 associations ont été agréées.
II- Comment ça marche ?
La loi a créé une procédure en deux étapes.
Étape 1 : Le jugement en responsabilité (articles L.1143-2 à L.1143-5 CSP)
Phase 1 – La recherche de la responsabilité
Dans le cadre de cette procédure, l’association d’usagers doit présenter les cas individuels qu’elle regroupe sous peine d’irrecevabilité (article R. 1143-2 CSP).
Le juge va statuer sur la responsabilité du producteur, fournisseur ou prestataire. Soulignons à cette occasion que la qualité du défendeur a des incidences sur le régime juridique à appliquer. En effet, producteur ou fournisseur sont soumis à une obligation de résultat alors que le prestataire est lui soumis à une obligation de moyen. En d’autres termes, si le préjudice est dû à un manquement d’un laboratoire, sa responsabilité pourra être engagée si la victime démontre que le médicament n’apportait pas la sécurité légitime en droit de laquelle il peut s’attendre. En revanche, si elle engage la responsabilité d’un médecin prescripteur, elle devra démontrer la faute commise par ce dernier.
Pour prononcer son jugement, le Tribunal est tenu de :
Vérifier que les conditions d’enclenchement de la procédure sont réunies ;
Statuer sur la responsabilité la responsabilité du défendeur au vu des cas individuels qui lui sont soumis ;
Définir le groupe des usagers du système de santé à l’égard desquels la responsabilité du défendeur est engagée ;
Fixer les critères de rattachement aux groupes ;
Déterminer les dommages corporels susceptibles d’être réparés pour les usagers concernés. Il peut, pour y parvenir, décider de toute mesure d’instruction classique (notamment une mesure d’expertise). Par ce jugement, le tribunal n’a pas à fixer le montant de l’indemnisation. Si la victime subit d’autres préjudices non reconnus par le juge aux termes de ce jugement, elle peut intenter toute action en responsabilité (article L.1143-18 CSP).
Si le juge retient la responsabilité du défendeur :
Il doit ordonner des mesures de publicité permettant aux potentiels victimes ayant subi le même dommage de rejoindre le groupe limitativement défini. L’article R. 1143-5 CSP précise les éléments devant faire l’objet d’une publicité. Il indique également le délai dans lequel les victimes peuvent adhérer à l’action de groupe. Il s’agit d’une technique appelée « Opt-in », c’est-à-dire que les victimes doivent manifester leur assentiment pour participer au groupe préalablement défini. Ce délai est compris entre six mois et cinq ans à compter de l’achèvement des mesures de publicité ordonnées. Si la victime ne se fait pas connaître dans le délai imparti, elle ne peut participer à l’action de groupe et se faire représenter par l’association.
Il peut condamner le défendeur au paiement d’une provision à valoir sur les frais non compris dans les dépens exposés par l’association ;
Il peut, lorsqu’il la juge nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, ordonner la consignation à la Caisse des dépôts et consignations d’une partie des sommes dues par le défendeur.
Le décret précise que sauf disposition contraire, les règles de droit commun fixées dans le Code de justice administrative et le Code de procédure civile (règles de procédure devant le TGI) s’appliquent à l’action de groupe.
En matière d’appel, le décret fixe des dérogations procédurales. Ainsi, la procédure d’appel contre les jugements rendus en matière d’action de groupe sera celle réservée aux affaires évidentes et/ou urgentes (CPC, art. 905). Si la volonté du pouvoir règlementaire est d’assurer un traitement rapide de l’appel, ce choix peut être critiquée dès lors que la pratique a démontré la complexité des questions de procédure et de fond posée par les contentieux sériels en santé.
Phase 2 – L’indemnisation
Sur la base du jugement rendu, les victimes et le défendeur doivent s’entendre sur le montant des indemnisations.
Une telle approche peut surprendre. En effet, à l’occasion de l’affaire du Mediator©, les Laboratoires Servier n’avaient pas manqué de proposer des protocoles d’indemnisations aux victimes, vulnérables physiquement, psychologiquement et économiquement, qui ne proposaient pas une indemnisation complète. Certaines victimes se sont senties, à juste titre, flouées. Cela avait conduit le ministère a précisé ce que devait contenir le protocole transactionnel. Si nous ne doutons pas de la force de négociation qu’assurera l’association des usagers, une telle proposition dénote une certaine naïveté selon laquelle un accord pourrait intervenir rapidement.
C’est certainement la raison qui a conduit le Législateur à instaurer un mécanisme facultatif de médiation (articles L. 1143-6 à L.1143-10 CSP). Ainsi, le juge peut, avec l’accord des parties, donner mission à un médiateur de proposer aux parties une convention réglant les conditions de l’indemnisation amiable des dommages qui font l’objet de l’action (article L. 1143-6 CSP). Cette proposition doit intervenir rapidement car la mission du médiateur est strictement limitée à un délai de trois mois, renouvelable une fois. Le médiateur peut être assisté d’une commission de médiation, composée de (article R. 1143-6 CSP) :
Deux experts professionnels de santé, proposés par le président de la commission et pris sur une des listes dressées par la Cour de cassation et les cours d’appel ;
Une personnalité qualifiée dans le domaine de la réparation des préjudices corporels, proposée par le président de la commission ;
Un professionnel de santé compétent dans la ou les pathologies susceptibles d’être imputables au produit de santé en cause proposé par l’association requérante ;
Un professionnel de santé compétent dans la ou les pathologies susceptibles d’être imputables au produit de santé en cause proposé par le producteur ou le fournisseur du produit mis en cause, ou le prestataire utilisant le produit mis en cause ;
Un représentant des entreprises pratiquant l’assurance de responsabilité médicale ;
Un représentant de l’ONIAM ;
Un représentant des organismes de sécurité sociale, désigné par le directeur de l’Union nationale des caisses de sécurité sociale.
Cette convention d’indemnisation amiable doit prévoir :
le type de dommages corporels susceptibles de résulter du ou des faits incriminés ;
les modalités d’expertise individuelle contradictoire et les conditions dans lesquelles la charge des expertises est supportée par les personnes mises en cause ;
les conditions dans lesquelles les offres transactionnelles individuelles sont présentées aux personnes intéressées ainsi qu’aux tiers payeurs ayant supporté des frais du fait des dommages subis par ces personnes ;
Le délai dans lequel doivent intervenir les demandes de réparation pour bénéficier des conditions qu’elle prévoit ;
les modalités de suivi du dispositif ;
les mesures de publicité mises en œuvre par les personnes mises en cause pour informer les usagers du système de santé concernés de l’existence de la convention, de la possibilité de demander réparation aux conditions qu’elle fixe ainsi que du délai et des modalités applicables.
Elle est proposée aux parties et doit être acceptée par l’association et au moins une des personnes mises en cause.
La convention d’indemnisation amiable fait l’objet d’une homologation par le juge.
Étape 2 : la mise en œuvre du jugement et la réparation des préjudices
La ou les personnes reconnues responsables procèdent à l’indemnisation des victimes.
La demande d’indemnisation est adressée par la victime, soit à la personne responsable, soit à l’association. Si elle adresse sa demande à la personne responsable, elle en informe l’association (article R. 1443-7 et R. 1443-8 CSP).
Si l’association perçoit des sommes pour le compte de particuliers, elle doit les consigner à la Caisse des dépôts et consignation, sauf à ce que l’association soit assistée d’un avocat, au quel cas, les sommes transiteront sur le compte CARPA de l’avocat (article R. 1143-11 CSP).
Les victimes dont la demande n’a pas été satisfaite par les personnes déclarées responsables peuvent demander au juge ayant statué sur la responsabilité la réparation de leur préjudice dans les conditions et limites fixées par le jugement en reconnaissance de responsabilité (article L. 1143-12 CSP). Si l’association agit à cette fin pour les victimes, elle doit préciser les noms des victimes concernées par l’action (article R. 1143-12 CSP).
Si l’avancée de la procédure doit être saluée, on peut néanmoins regretter que faute de disposition spécifique du décret, des actions de groupe pourront être initiées à partir de l’entrée en vigueur du décret, soit le 28 septembre 2016, au titre de produits de santé mis sur le marché et/ou de manquements commis préalablement à l’entrée en vigueur de la loi… Ce silence peut être source d’insécurité juridique.