L’automobiliste peut faire un recours contre cette décision administrative individuelle devant le tribunal administratif, il devra pour cela déposer un recours pour excès de pouvoir dans lequel il lui faudra démontrer, infraction par infraction, l’illégalité des retraits de points et en demander la restitution.
L’automobiliste se heurte dès lors à une contrainte inévitable : les délais judiciaires.
En effet, le tribunal administratif peut fort bien rendre son jugement de nombreux mois après le dépôt du recours pour excès de pouvoir.
L’automobiliste n’a pas forcément le temps d’attendre jusque-là, surtout lorsqu’il a besoin de son permis de conduire pour des raisons professionnelles.
Il lui faut donc déposer un recours en référé-suspension.
Il peut donc également déposer une requête en référé-suspension afin d’obtenir plus rapidement le droit de conduire son véhicule malgré l’invalidation de son permis de conduire.
Dans l’esprit des justiciables, il s’agit là d’un permis blanc.
Juridiquement, le permis blanc n’existe plus et le régime juridique du recours en référé n’est absolument pas le même.
Pour autant, et pour des commodités de langage, on entend encore souvent et l’on utilise encore souvent cette expression pour désigner la décision qui sera rendue par le juge des référés.
Quoi qu’il en soit, le régime juridique du recours en référé obéit à des conditions strictes que nous allons détailler.
Il existe des conditions légales et jurisprudentielles.
1. Les conditions légales.
Il existe quatre conditions légales que doit remplir tout recours en référé :
il faut tout d’abord déposer un recours pour excès de pouvoir.
il faut joindre au recours en référé une copie du recours pour excès de pouvoir préalablement déposé.
- Il faut démontrer qu’il y a urgence à suspendre la décision d’invalidation du permis de conduire.
- Il faut démontrer qu’il existe une illégalité manifeste qui affecte la décision d’invalidation du permis de conduire.
a) Le dépôt préalable du recours pour excès de pouvoir.
Il n’est pas possible de déposer uniquement une requête en référé.
Il faut préalablement déposer un recours pour excès de pouvoir.
Cela peut paraître logique : en effet, l’objectif de la requête en référé est de demander la suspension de la décision d’invalidation du permis de conduire.
Par définition, une suspension est toujours temporaire, c’est-à-dire dans l’attente d’une autre décision.
Il est donc logique que l’on ne puisse demander la suspension sans avoir demandé préalablement l’annulation de la décision litigieuse.
Un recours en référé-suspension qui ne serait pas précédé du dépôt d’un recours pour excès de pouvoir serait tout simplement irrecevable.
b) Le dépôt d’une copie du recours pour excès de pouvoir.
Il faudra également joindre au recours en référé-suspension une copie du recours pour excès de pouvoir préalablement déposé.
Attention : il ne s’agit pas d’une formalité anodine.
Si aucune copie du recours pour excès de pouvoir n’est jointe à la requête en référé-suspension, celle-ci sera irrecevable.
L’article R522-1 du Code de justice administrative dispose :
"À peine d’irrecevabilité, les conclusions tendant à la suspension d’une décision administrative ou de certains de ses effets doivent être présentées par requête distincte de la requête à fin d’annulation ou de réformation et accompagnées d’une copie de cette dernière."
Il s’agit donc là de règles de procédure qui sont de véritables couperets dans la mesure où il n’est pas possible de régulariser quoi que ce soit en cas d’erreur.
c) La notion d’urgence.
Le requérant doit démontrer qu’il y a urgence à suspendre la décision attaquée.
La notion d’urgence est bien entendu toute relative, elle dépendra donc du contexte.
La jurisprudence tend à reconnaître l’urgence lorsque le requérant a un besoin impérieux de son permis de conduire pour des raisons professionnelles.
L’exemple classique est celui du chauffeur de taxi.
Il est évident qu’un chauffeur de taxi dont le permis de conduire vient d’être annulé se trouve dans une situation d’urgence.
En effet, tant que celui-ci ne retrouve pas le droit d’utiliser son véhicule, il ne peut pas travailler avec tout le cortège de conséquences qui s’en suit.
Il en est de même pour les ambulanciers, les chauffeurs poids-lourds, plus généralement tous les routiers, les commerciaux et les VRP, les chefs d’entreprise, les conducteurs d’engins de chantier, les livreurs, etc.
Dans d’autres cas, la notion d’urgence sera beaucoup plus difficile à démontrer.
Ce sera le cas de tous ceux qui occupent un emploi " sédentaire" pour lequel ils n’ont pas un besoin impérieux de leur permis de conduire.
Toutefois, la jurisprudence connaît un certain assouplissement et tend à reconnaître l’urgence pour des personnes au chômage et qui font des formations visant des emplois pour lesquels un permis de conduire sera nécessaire.
Ainsi, un arrêt rendu par le Conseil d’État a fait droit à la requête présentée par un automobiliste en considérant que la formation professionnelle suivie par ce dernier nécessitait la possession d’un permis de conduire et a donc accueilli favorablement la demande de suspension.
Le Conseil d’état énonce expressément :
"considérant, d’autre part, qu’il ressort des pièces du dossier que l’exécution de la décision contestée porterait une atteinte grave et immédiate à la situation de Madame A qui est dépourvue d’emploi et qui est inscrite à une formation devant débuter le 2 novembre 2016 et nécessitant la possession d’un permis de conduire.
Que dans ces conditions, la condition d’urgence fixée par l’article L 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie".
Il s’agit là d’une décision réaliste et pragmatique.
L’urgence n’est pas toujours que professionnelle.
La réalité est plus complexe.
Tous les justiciables n’ont pas la même vie.
L’urgence peut donc revêtir plusieurs visages : elle peut aussi être familiale.
Ainsi, et par exemple, une mère isolée pourra démontrer que l’utilisation de son véhicule lui est indispensable pour emmener ses enfants à l’école le matin et les rechercher le soir.
Les hypothèses peuvent ainsi être nombreuses.
L’appréciation de l’urgence doit s’accompagner d’une certaine bienveillance.
Cela sera d’autant plus logique que le code de justice administrative ne définit pas l’urgence et ne pose donc aucune limite.
Il appartient donc au juge administratif, saisi de cette question, de l’apprécier au cas par cas pour suspendre ou non une décision d’annulation du permis de conduire.
d) L’illégalité manifeste de la décision d’invalidation du permis de conduire.
C’est la dernière condition légale : le requérant doit démontrer que la décision attaquée est manifestement illégale.
Pour cela, les arguments repris dans le recours pour excès de pouvoir pourront être repris.
Rappelons en effet que le recours pour excès de pouvoir a pour but de faire annuler la décision d’annulation du permis de conduire.
Pour cela, l’automobiliste reprendra, infraction par infraction, telles que celles-ci sont listées dans le formulaire 48SI, pour démontrer que selon la procédure suivie, les retraits de points sont illégaux.
Il s’agit là d’une démonstration extrêmement technique qui ne s’invente pas.
Il faut donc avoir une connaissance particulière de la jurisprudence rendue en la matière.
Au stade de la requête en référé, il conviendra donc d’insister sur les arguments indiscutables développés dans le recours pour excès de pouvoir afin de faire reconnaitre le caractère manifestement illégal de la décision d’annulation du permis de conduire.
2. Les conditions jurisprudentielles.
Aux conditions légales, la jurisprudence a rajouté des conditions qui touchent au comportement de l’automobiliste.
Mais ces conditions ne sont pas appréciées de la même manière et varient d’un tribunal à l’autre.
Le juge administratif va parfois se livrer à une appréciation, forcément subjective, de la dangerosité du requérant.
Il appartiendra donc à celui-ci de produire tout élément démontrant qu’il n’est pas spécialement dangereux au regard des impératifs de la sécurité routière.
Pour cela, deux critères vont entrer en ligne de compte :
La nature des infractions ayant entrainé l’annulation du permis de conduire ;
Le nombre des infractions commises.
La lecture du relevé intégral d’information de l’automobiliste va s’avérer ici incontournable.
a) La nature des infractions commises.
Le juge administratif est nécessairement sensible aux impératifs de la sécurité routière.
Celui-ci regardera d’un œil plus sourcilleux l’automobiliste qui a commis des infractions graves par rapport à celui qui a commis de petits délits routiers.
L’exemple classique est de la conduite d’un véhicule en état d’ébriété ou sous l’emprise de produits stupéfiants.
Mais il y a d’autres hypothèses telles que les délits de grande vitesse.
Il va de soit qu’en pareilles circonstances, la notion d’urgence risque d’être balayée par celle de la dangerosité.
Mais cela n’est pas automatique.
Rappelons que le juge administratif aura sur ces sujets sa propre conviction.
Il n’existe pas d’unicité de la jurisprudence en ce domaine.
Ce qui paraîtra très grave pour l’un le sera moins pour un autre et il n’est pas rare que sur des dossiers identiques, l’on ait des décisions différentes.
Il est vrai que le tribunal administratif, saisi en référé, ne juge théoriquement pas de la gravité de l’infraction commise par l’automobiliste, mais doit en principe répondre à une seule question : y a-t-il urgence pour le requérant de récupérer son permis de conduire ?
La nécessité de lutter contre l’insécurité routière, qui est un objectif noble, n’est pas un critère de l’urgence puisque cet objectif ne participe pas à la définition de la condition d’urgence.
Il s’agirait alors d’une 3ème condition non posée par l’article L 521-1 du Code de Justice Administrative.
Ainsi, certaines décisions ont affiché une véritable clémence pour les automobilistes dont la dangerosité pouvait être dénoncée.
Ordonnance du 6 mars 2008, Tribunal Administratif de Versailles, FORQUES / Ministre de l’Intérieur.
" Contrairement à ce que soutient le Ministre de l’Intérieur, en dépit de la gravité des infractions commises par le requérant les 5 octobre 2005 et 13 octobre 2006, dont la 2nde est à l’origine de la perte de quatre points, la suspension de cette décision n’est pas inconciliable avec les exigences de la sécurité routière ;
Que, dans ces conditions, la condition d’urgence est remplie".
L’intérêt collectif est assuré par les juridictions pénales et trouve sa fonction dans les peines prononcées par le juge répressif.
Le juge administratif n’est pas un ultime stade de sanction d’un comportement répréhensible.
Il est le juge de l’acte administratif, pas celui du comportement du requérant qui a déjà été sanctionné en amont.
En appréciant la nature et les conditions des infractions commises, le juge des référés adopterait la posture du juge pénal et prendrait en considération des éléments de fait qui n’ont pas leur place dans l’examen de l’irrégularité supposée et des conséquences d’un acte administratif individuel sur la seule personne de l’automobiliste.
Il n’appartiendra donc pas théoriquement au juge des référés de se pencher sur la nature des infractions reprochées au justiciable, mais uniquement sur l’urgence qu’il y a à lui restituer son permis de conduire.
Le juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg a eu l’occasion de confirmer cet état du droit dans une affaire qui ne laissait en apparence que peu d’espoir à l’automobiliste.
Celui-ci a perdu l’ensemble de ses points en commettant des infractions au code de la route particulièrement graves : conduite en état d’ébriété à deux reprises avec tentative de fuite...
Tout laissait penser à ce conducteur qu’il aurait droit à un accueil plus que glacial devant la juridiction administrative et que sa requête serait rejetée eu égard à sa dangerosité supposée.
Pour autant, le magistrat a fait une stricte application des règles de droit et s’est refusé à rajouter à l’article L 521-1 du code de justice administrative une condition que celui-ci ne posait pas.
La décision d’invalidation du permis de conduire de cet automobiliste a été suspendue en référé, de telle sorte que ce justiciable a recouvré le droit de conduire.
Ultérieurement, la décision d’invalidation a été définitivement annulée par le tribunal, les retraits de points opérés à l’occasion de la commission de ces infractions pourtant graves ayant été effectués contrairement à la procédure prévue par le Code de la route.
Voir ainsi Tribunal Administratif de Strasbourg, Pichon / Ministre de l’intérieur :
"Considérant que M. P. qui exerce la profession de tuyauteur au sein de la société X et qui est tenu, par le contrat de travail qui le lie à son employeur, de disposer de son permis de conduire sous peine de licenciement, justifie de l’existence de la situation d’urgence."
Cela étant, une observation accrue de la jurisprudence montre que le critère de la dangerosité de l’automobiliste, s’il ne se retrouve pas expressément dans la loi, a forcé la porte des tribunaux.
De plus en plus de juridictions intègrent ainsi ce concept dans le corps de leurs décisions pour accueillir ou non la requête de l’automobiliste.
b) Le nombre des infractions commises.
Là encore, le regard du juge va s’avérer d’une importance capitale.
Le nombre d’infractions commises par l’automobiliste va s’apprécier en fonction de la durée durant laquelle celui-ci a conduit sans en commettre.
Ainsi, un nombre élevé d’infractions commises sur une courte durée sera évalué avec plus de sévérité que le fait de commettre 12 infractions à un point sur une longue période de temps.
Mais il ne faut pas oublier que tout est affaire de corde sensible…
Donc il ne faut pas hésiter, en fonction de chaque dossier, d’insister sur l’absence de toute dangerosité du requérant en s’appuyant soit sur la nature des infractions commises, soit sur leur nombre.
Il faut donc savoir préparer un dossier et ne pas se contenter de dire qu’il y a urgence et que l’automobiliste n’est pas dangereux.
L’urgence se démontrera en produisant au tribunal tous les éléments professionnels et personnels du requérant qui démontrent qu’il doit impérativement utiliser son véhicule chaque jour et que la privation de son permis de conduire entraînerait pour lui des conséquences préjudiciables incompatibles avec les impératifs louables voulus par la sécurité routière.
L’absence de toute dangerosité se déduira d’une lecture forcément partisane du relevé d’information intégral.
Conclusions.
Le référé-suspension en matière de permis de conduire répond donc à des conditions que le requérant doit toutes remplir.
Il ne s’agit pas d’un parcours d’obstacles, mais de la bonne tenue d’un dossier afin de le rendre crédible.
Cela est d’autant plus exact que le contentieux du permis de conduire a connu un essor fulgurant ces dernières années.
Les juridictions administratives sont littéralement submergées de requêtes.
Il est donc normal qu’une seule règle prévaut.
C’est le but recherché par les conditions légales, mais qui elles seules ne suffisent pas.
Dans le même temps, le grand nombre de recours montre qu’il existe un vrai problème comportemental de la part de certains automobilistes.
Il était donc attendu que les magistrats de l’ordre administratifs viennent au secours des impératifs défendus par la sécurité routière.
C’est l’objectif clairement visé par les conditions jurisprudentielles.
L’essentiel sera toujours de trouver le juste équilibre entre le deux.