Qu’est ce que le droit de grève ?
A défaut de définition légale, la jurisprudence définit la grève comme la « cessation collective, concertée et totale du travail, en vue de présenter à l’employeur des revendications professionnelles » [1]. Le salarié gréviste ne réalise pas le travail demandé ; l’employeur ne lui verse donc pas de rémunération.
La grève a constitué un délit pénal jusqu’en 1864 - année de l’abrogation de la loi Chapelier, qui prohibait toute coalition. Désormais intégrée au bloc de constitutionnalité, le droit de grève a pleinement valeur constitutionnelle. Il s’exerce toutefois « dans le cadre des lois qui le règlementent » [2]. Depuis la loi du 25 juillet 1985 [3], le Code du travail [4] protège explicitement « l’exercice normal du droit de grève » contre toute sanction.
Un mouvement relève de « l’exercice normal du droit de grève » lorsque 3 conditions cumulatives sont réunies :
- la cessation franche du travail,
- le caractère collectif et concerté du mouvement,
- des revendications d’ordre professionnel.
En l’absence d’une de ces conditions, le conflit ne constitue pas une grève, mais un mouvement illicite, qui justifie une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave (voire lourde). On considère en effet à juste titre que « le droit de grève n’a pas de caractère absolu » [5].
La cessation franche du travail
A titre préliminaire, il convient de rappeler que le droit de grève est intimement lié au contrat de travail et à la subordination qui en découle. Qualifier un blocage ou un mouvement étudiant de « grève » est donc juridiquement faux. Cette précision étant faite, nous pouvons revenir à la cessation du travail, qui doit être franche, indépendamment de la durée de la grève. À cet égard, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère notamment que des arrêts francs de travail, très brefs et répétés plusieurs fois dans la journée, constituent bien une grève [6]. A fortiori, cesser le travail deux jours tous les cinq jours relève évidemment d’un mouvement de grève.
La « grève perlée » est un ralentissement de la cadence visant à désorganiser la production. En l’absence de cessation franche du travail, il ne s’agit pas d’une grève, mais d’un mouvement illicite [7], selon une jurisprudence constante depuis 1953 [8]. La « grève perlée », qui n’est donc pas une grève, ne fait bénéficier son auteur d’aucune protection et justifie un licenciement pour faute grave. Le plus souvent, les salariés qui s’y adonnent n’en sont même pas conscients – il convient de les en informer dans un premier temps par écrit.
Attention spoilers (âmes sensibles s’abstenir) : la grève des cheminots n’est pas une grève perlée.
Le caractère collectif et concerté du mouvement
Le droit de grève est un droit individuel, attaché au contrat de travail. Il ne peut toutefois s’exercer que de manière collective. Nul ne peut cesser le travail tout seul et prétendre faire grève ; il faut être au moins deux. Ce principe connaît bien entendu deux exceptions :
- lorsqu’un seul salarié de l’entreprise répond à un mouvement de grève d’ordre national,
- ou lorsqu’il n’y a qu’un seul salarié dans l’entreprise.
En l’espèce, le mouvement des cheminots est bien un mouvement collectif. Le plus souvent, pour des raisons évidentes d’organisation, de diffusion de l’information, de connaissance des pratiques, les organisations syndicales sont à l’origine des mouvements de grève. Il n’y a rien d’obligatoire à cela en France.
Des revendications d’ordre professionnel
A l’exception du cas précis d’une grève d’envergure nationale, il apparaît inutile d’engager un rapport de force avec son employeur lorsque celui-ci n’a aucun pouvoir sur les revendications demandées. C’est pourquoi tout arrêt de travail visant à soutenir ou à s’opposer à un candidat politique relève du mouvement illicite ; il ne s’agit pas d’une grève. De même, les cessations collectives de travail en soutien aux salariés d’une autre entreprise, ou en soutien à un collègue licencié en raison de sa faute (par exemple, jet délibéré de peinture sur un agent de maîtrise [9]) constituent des mouvements illicites.
Les revendications des cheminots s’opposent au projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale à une large majorité. Ce projet de loi vise à transformer la SNCF, par une ouverture à la concurrence progressive, par des garanties aux salariés en cas de transfert, et par la mise en place d’une nouvelle organisation de l’entreprise, actuellement composée de trois établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) qui auront vocation à être unifiés. Que l’on soit d’accord ou non avec les revendications des cheminots n’y change rien ; leurs revendications sont bien d’ordre professionnel.
Des spécificités propres au service public du transport terrestre de voyageurs
Dans les services publics, les salariés grévistes doivent respecter un délai de préavis de cinq jours, afin d’informer préalablement la direction de la grève à venir. Dans les entreprises de transport terrestre de voyageurs, les organisations syndicales et les représentants des employeurs ont en outre l’obligation d’engager une négociation préalable au dépôt du préavis. Ces règles ont été respectées dans le cas de la grève à la SNCF.
De l’intérêt de la distinction entre mouvement illicite et exercice normal du droit de grève
Le mouvement de grève des cheminots est l’un de ces nombreux sujets qui éveillent les passions, réveillent les luttes des classes et conduisent chacun à donner son petit avis. Avec 4 millions de voyageurs par jour, avec au moins une grève chaque année et l’impossibilité de recourir à la concurrence, je reconnais volontiers que les usagers de la SNCF ont de quoi être froissés.
Il n’en reste pas moins que ce mouvement constitue une véritable grève. Se tromper systématiquement de mot pour la définir, ce n’est pas anodin. La qualifier de « grève perlée » à longueur de journées dans la presse revient à discréditer volontairement le mouvement et à désinformer la population, en lui faisant allègrement croire que ce mouvement est illicite et qu’il justifie des sanctions disciplinaires qui jamais ne tomberont. Je ne cherche pas à apporter un quelconque soutien aux salariés qui ont choisi de faire grève pour des raisons qui leur paraissent légitimes. En fait, j’aimerais juste que certains journalistes cessent de répandre des expressions erronées, parce que leur métier, je crois que c’est de diffuser de l’information. Et aussi parce que le Parlement va bientôt examiner une proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations.
Discussions en cours :
j’ignorais cela ; merci.
C’est clair et on a l’analyse qu’il faut.