Comme son objet l’indique le décret n° 2023-1156 du 7 décembre 2023 relatif aux personnes exécutant un travail non rémunéré dans le cadre d’une transaction proposée par le maire (ci-après le « décret ») a vocation à faire « bénéficier du régime de protection sociale du livre IV de la partie législative du Code de la sécurité sociale les personnes effectuant un travail non rémunéré proposé dans le cadre d’une transaction municipale ». Cette publication vise à offrir à la fois un décryptage des évolutions apportées par ce texte et aussi une réflexion sur les dynamiques plus structurelles dans lesquelles se place le décret.
I- L’évolution du régime de protection sociale.
Afin d’envisager les nouveautés propres au décret, il faut préalablement revenir sur le régime tel qu’il existait avant l’entrée du vigueur de ce texte (A), ce qui permettra donc d’envisager son extension (B).
A) Un régime de protection déjà existant.
Le régime de protection sociale trouvait à s’appliquer dans deux hypothèses distinctes : d’une part, les travaux d’intérêt général (1) et, d’autre part, le travail non rémunéré (2).
1) Les travaux d’intérêt général [1].
L’article D412-72 du Code de la sécurité sociale prévoyait, préalablement à l’entrée en vigueur du décret, que : les personnes mentionnées au 5° de l’article L412-8 sont : 1° Les personnes condamnées à un travail d’intérêt général en application des articles 131-8,131-17, deuxième alinéa, et 132-54 du Code pénal […] » [2]. En ce sens, le condamné à un travail d’intérêt général bénéficie d’une protection sociale similaire à celle d’un salarié [3]. Dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du décret, l’article D412-74 du Code de la sécurité sociale disposait que : l’exécution des obligations de l’employeur relatives notamment à l’affiliation des personnes mentionnées à l’article D412-72, au versement des cotisations et à la déclaration de l’accident, incombe au directeur interégional sic des services pénitentiaires ». À titre superfétatoire, le directeur interrégional des services pénitentiaires étant un élément d’une direction interrégionale des services pénitentiaires [4], elle-même un « service déconcentré de l’administration pénitentiaire » en vertu de l’article R112-7 du Code pénitentiaire, il en découle que le respect des obligations tenant à la protection sociale effective des condamnés à un travail d’intérêt général incombe à l’État, les services déconcentrés étant dirigés par le préfet [5].
En somme, les personnes condamnées à l’accomplissement d’un travail d’intérêt général sur la base de l’article 131-8 alinéa 1er du Code pénal bénéficiaient - et en bénéficient toujours - du régime de protection sociale. L’enjeu est désormais de montrer quoi la protection sociale ne concernait pas seulement les condamnés à un travail d’intérêt général mais aussi les travailleurs non rémunérés.
2) Le travail non rémunéré.
Sont pareillement envisagées au 5° de l’article L412-8 du Code de la sécurité sociale « […] les personnes effectuant un travail non rémunéré ». La question se pose toutefois de déterminer ce qu’il y a lieu d’entendre par cette formule. Il s’agit, comme le montre l’article 41-2, 6° du Code de procédure pénale d’une mesure parallèle et substituable au déclenchement de l’action publique [6]. En conséquence, et afin d’éviter toute répétition, l’adjonction des articles L412-8, 5° du Code de la sécurité sociale et 41-2, 6° du Code de procédure pénale montre l’application du régime de protection sociale aux personnes acceptant une composition pénale substituant un « travail non rémunéré » à une peine prononcé par une juridiction de jugement.
Avant l’entrée en vigueur du décret, un régime de protection sociale existait déjà, comme l’ont montré les deux exemples supra. Ainsi, il sera désormais question de l’extension du régime de protection sociale, par le décret, à la transaction municipale.
B) L’extension du régime à la transaction municipale.
Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de cette extension, il faut d’une part envisager le champ d’application de la transaction municipale (1) puis les obligations administratives subséquentes dont doit s’acquitter le maire concluant une telle transaction vis-à-vis de son interlocuteur (2).
1) Le champ d’application de la transaction municipale.
Le décret comprend deux articles, le second portant sur son exécution et sa parution au Journal Officiel de la République Française. Le premier article, celui qui fait l’objet de l’analyse, modifie les deux dispositions, déjà envisagées, du Code de la sécurité sociale que sont les articles D412-72 et D412-74. L’article D412-72, en sa version modifiée, comprend un nouveau point : « 3° Les personnes effectuant un travail non rémunéré au profit de la collectivité dans le cadre d’une transaction proposée par le maire en application de l’article 44-1 du Code de procédure pénale ». L’on sait que l’article D412-72 du Code de la sécurité sociale précise les catégories de personnes envisagées au point 5° de l’article L412-8 du même code. Ainsi, le décret vient compléter les bénéficiaires du régime de protection sociale, en renvoyant toutefois, pour ce qui concerne la transaction conclue avec le maire, à l’article 44-1 du Code de procédure pénale [7] en incluant les personnes ayant commis des infractions relatives à l’ordre, la tranquillité, la sécurité et la salubrité publiques [8], lesquelles sont, en plus, dommageables pour la commune ou l’un de ses biens, pour autant qu’une transaction municipale ait été conclue. En outre, le premier alinéa de l’article 44-1 du Code de procédure pénale précise que l’action publique doit n’avoir pas été mise en mouvement [9].
Quelles sont, dans l’hypothèse d’un travail non rémunéré sur la base d’une transaction municipale, les obligations du maire en matière d’effectivité de la protection sociale de la personne concernée ?
2) Les obligations administratives du maire.
L’article 1er, alinéa 1er, 2° du décret emporte aussi modification de l’article D412-73 du Code de la sécurité sociale en adjoignant le maire [10] aux côtés du « magistrat compétent et du directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation » [11]. Il s’ensuit qu’il est de la responsabilité du maire de garantir « les accidents survenus quelle qu’en soit la cause par le fait ou à l’occasion du travail exécuté ». Les enjeux concrets de cette garantie sont envisagés par l’article D412-74 du Code de la sécurité sociale : il s’agit des « […] obligations de l’employeur relatives notamment à l’affiliation des personnes mentionnées à l’article D412-72, au versement des cotisations et à la déclaration de l’accident […] ». La formulation n’étant pas limitative, il incombera donc à la mairie de faire preuve de vigilance et de précaution en s’acquittant, à l’instar de tout employeur diligent, des diverses obligations qui lui incomberaient dans l’hypothèse de l’embauche d’un salarié. Poursuivant l’optique d’une symétrie d’obligations entre un employeur privé et le maire, le décret fait peser à la victime d’un accident du travail une obligation : celle d’informer ou faire informer le service utilisateur qui, lui, devra déclarer la survenance de l’accident au maire dans un délai de 24 heures [12]. Il est à noter qu’en vertu de l’arrêté du 25 février 2005 relatif à la cotisation accidents de travail et maladies professionnelles versée pour le travail des personnes condamnées à exécuter un travail d’intérêt général et des personnes effectuant un travail non rémunéré au profit de la collectivité dans le cadre d’une composition pénale ou d’une transaction proposée par le maire tel que modifié par l’arrêté du 7 décembre 2023 modifiant l’arrêté du 25 février 2005 précité, « le montant annuel de la cotisation forfaitaire due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles pour toute personne condamnée à exécuter un travail d’intérêt général, conformément aux dispositions des articles 131-8, 131-17, deuxième alinéa, et 132-54 du Code pénal et pour toute personne effectuant un travail non rémunéré au profit de la collectivité dans le cadre d’une composition pénale conformément aux articles 41-2 (6°), 41-3 ou 44-1 du Code de procédure pénale, est déterminé par application au salaire de base défini à l’article D412-77 du Code de la sécurité sociale du taux de 3,7%, quels que soient les travaux effectués ».
Le décret élargit donc le champ de la protection sociale aux personnes ayant accepté de conclure une transaction municipale, leur offrant dès lors des garanties face à l’hypothèse d’un accident du travail, faisant réciproquement peser des obligations de droit social sur les épaules des maires. Face à cette dialectique, il convient d’envisager maintenant les enjeux de l’extension du régime de protection sociale, autrement dit, la dynamique de fond de cette évolution.
II- Les enjeux de l’extension du régime de protection sociale.
Deux traits sont particulièrement saillants dans l’appréciation des motivations de cette extension : d’une part, la mise en place d’une logique de responsabilisation (A) et, d’autre part, une horizontalisation plus générale de la justice et des rapports de l’État aux citoyens (B).
A) Une logique de responsabilisation.
Cette dynamique de responsabilisation des contrevenants à l’ordre public passe par la réalisation d’activités concrètes au bénéfice de la collectivité. Il s’agit donc d’amener le contrevenant à réparer plutôt qu’à le sanctionner (1), le corollaire d’une telle entreprise étant l’élaboration d’une alternative au déclenchement de l’action publique par le procureur de la République (2).
1) Une prestation plutôt qu’une sanction.
Le décret étend le régime de protection sociale aux personnes effectuant un « travail non rémunéré », il ne s’agit donc pas de travail d’intérêt général. En d’autres termes, la transaction municipale n’est pas corrélée au prononcé d’une peine : il s’agit, au contraire, d’une alternative à une poursuite judiciaire. En quelques sortes, qu’un contrevenant accepte le processus et le contenu d’une transaction pénale revient, pour lui, à faire amende honorable en reconnaissant sa culpabilité et en corrigeant sa faute par un effort ne lui rapportant aucun gain financier. Il y a donc bien une prestation plutôt qu’une sanction puisque s’il y avait sanction, le contrevenant en viendrait à perdre de l’argent par le paiement d’une amende, ou de son temps – par une peine d’emprisonnement. Par la transaction municipale, il ne perd rien mais gagne à réparer la faute qu’il a pu commettre. Dans cette perspective, l’idée du décret est de mettre en place un processus de responsabilisation des contrevenants : plutôt que de les amener sur la pente du ressentiment à l’égard d’une autorité qu’ils jugeraient comme violente - par le prononcé d’une condamnation pénale -, cette dernière cherche bien davantage à leur inculquer le sens des responsabilités par une réparation effective des torts qu’ils ont pu causer. En termes de bases légales, cette logique ressort du deuxième alinéa de l’article R15-33-61 du Code de procédure pénale qui fait surtout savoir que la proposition de transaction comprend le montant à verser ou la prestation à accomplir en guise de réparation [13]. Le récipiendaire de la transaction municipale est donc placé face à un choix : ou bien verser la somme indiquée en guise de dédommagement pour les frais encourus ou s’atteler à un effort concret, toujours dans l’optique de réparer ses torts.
La poursuite judiciaire est marquée par la volonté de traduire l’auteur d’une contravention devant les juridictions en vue de faire reconnaître sa culpabilité et le soumettre à la condamnation. Il s’agit de le mettre en lumière : le décret participe à cet effritement du monopole de l’enclenchement publique en faisant de la transaction municipale un mode de résolution des conflits.
2) L’alternative à l’action publique.
Par ses modalités, la transaction municipale se pose comme une alternative à l’action publique. En effet, comme le prévoient les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale, le procureur de la République communique la proposition de transaction à la juridiction concernée qui pourra procéder à l’homologation de la transaction [14]. En admettant que la proposition de transaction soit homologuée par le juge, il incombera alors au contrevenant de verser la somme envisagée dans le projet de transaction homologué ou d’accomplir la prestation exigée. En outre, l’article R15-33-66 du Code de procédure pénale précise, en son second alinéa, qu’« en cas d’exécution intégrale de la transaction, le maire en informe également le procureur de la République, qui constate alors l’extinction de l’action publique ». Dans la mesure où le versement de la somme indiquée ou la réalisation de la prestation amènent à l’« extinction » de la puissance publique, le procureur de la République ne disposera plus de l’opportunité d’engager ou non une poursuite pour la contravention ayant conduit à la transaction municipale puisque le dommage ayant été réparé - ou, du moins, compensé en une certaine manière -, l’enjeu même de la poursuite qui est d’obtenir la réparation du dommage subi par la collectivité n’est plus. En ce sens, la transaction municipale se pose effectivement comme une alternative à la mise en œuvre de l’action publique.
Cette logique de responsabilisation alliée à la poursuite d’un mécanisme alternatif à l’enclenchement de l’action publique s’inscrivent dans une ultime dynamique : celle d’une horizontalisation des rapports entre les pouvoirs publics et les individus.
B) Vers une horizontalisation de la justice.
L’horizontalisation de la justice va de pair avec l’extension de la protection sociale aux travailleurs non rémunérés dans le cadre d’une transaction municipale (1) et participe, plus généralement, d’une stratégie de mise en œuvre des politiques publiques locales (2).
1) L’extension de la protection sociale comme intériorisation des rapports avec la collectivité.
L’extension de la protection sociale aux travailleurs non rémunérés dans le cadre d’une transaction municipale amène nécessairement à pallier le risque de la survenance d’un accident de travail. Ce faisant, l’extension participe à la promotion de la transaction municipale comme alternative à l’action publique mais, surtout, à rendre plus attractive la réalisation d’une prestation de sorte à ne pas avoir à verser une indemnité financière possiblement plus contraignante qu’une prestation. En quoi la promotion de la prestation plutôt que le versement d’une compensation financière est-elle significative par rapport à une dynamique d’horizontalisation ? Précisément parce que le versement d’un dédommagement financier consiste en une action désincarnée car il ne s’agit pas pour l’individu de réparer, par un effort particulier, les dommages qu’il a pu causer mais tout simplement d’opérer un transfert de valeurs économiques. Ainsi, l’extension de la protection sociale aux travailleurs non rémunérés vise, en ce qu’elle offre des garanties à ces travailleurs non rémunérés, que ces derniers soient plus prompts à opter pour la prestation. Ce faisant, en choisissant la prestation, le rapport entre le contrevenant et la collectivité est davantage intériorisé, en d’autres termes il apparaît moins abstrait que s’il ne s’était agi que d’un rapport purement financier. L’individu fautif va donc littéralement œuvrer pour la communauté, certes en vue de réparer un tort qu’il a causé, mais parallèlement - ou surtout - afin d’intégrer les règles de la vie en communauté. En conséquence, l’extension de la protection sociale participe de l’intériorisation des règles de la vie en société et d’un resserrement des liens entre l’individu et le réel en ce qu’il intériorise que les conséquences de ses fautes amèneront à un effort de sa part, d’où s’en suit une logique de responsabilisation comme il a été envisagé plus haut.
L’extension de la protection sociale aux travailleurs non rémunérés dans le cadre d’une transaction municipale, à la lumière des éléments envisagés jusqu’ici, participe d’une possible mise en œuvre d’une stratégie par la mairie en vue de la concrétisation de politiques publiques.
2) La prestation transactionnelle comme outil de mise en œuvre des politiques publiques locales.
L’expression contractualisation de l’action publique renvoie à ce phénomène en vertu duquel l’État, et l’administration de manière plus générale, délaisse de plus en plus le rapport verticalement descendant en vue d’opter davantage pour un rapport plus horizontal. L’enjeu de la présente publication n’est pas d’opérer une présentation de ce phénomène mais toujours est-il que la promotion de la prestation au détriment du simple versement d’une contrepartie financière participe de cette logique. En effet, dans la mesure où la mairie de la commune sur le territoire de laquelle a eu lieu le fait fautif est en mesure de proposer, dans le cadre du projet de transaction municipale, une prestation, celle-ci peut donc être orientée par la mairie en fonction de ses besoins, par exemple dans l’optique de la réalisation d’une politique publique locale particulière.