Le 1er juillet 2015, Sylvia Pinel, Ministre du Logement, de l’Egalité des territoires et de la Ruralité, a inauguré le portail internet du Plan Transition Numérique dans le Bâtiment (PTNB). Cette annonce fait suite à la présentation par Manuel Valls, Premier Ministre, des 14 mesures emblématiques de la stratégie numérique du Gouvernement, présentées le 18 juin 2015.
Un élément phare du PTNB est le BIM (Building Information Model), qui doit permettre de représenter numériquement l’ouvrage à réaliser : construire (en numérique) avant de construire (en ‘béton et mortier’).
De nombreux travaux sont en cours dans le milieu du bâtiment sur ce sujet ; l’association française des industries des produits de construction (AIMCC) vient d’ailleurs de publier ses « Recommandations aux industriels dans la numérisation de leurs données produits pour le BIM » [1].
Ces recommandations font la part belle à la normalisation et à l’outil informatique, et à la participation des entreprises du secteur.
Or le cadre législatif doit également évoluer.
En effet, un des principes de base du BIM est la collaboration entre les différents métiers qui peuvent alors travailler en parallèle sur la même maquette numérique de l’ouvrage. Le BIM n’est alors qu’un moyen permettant de bénéficier des avantages de l’ingénierie concourante : savoir figer un certain nombre d’hypothèses qui servent de données d’entrée au design, afin de paralléliser un certain nombre de tâches et de réduire ainsi les coûts (y compris la non-qualité) et les délais.
Les industries navale et aéronautique sont des exemples d’utilisation du BIM qui montrent que ce travail en parallèle des différents métiers (conception, ingénierie, calculs, …) n’est pas compatible avec le séquençage classique d’un projet tel qu’il est présenté dans la loi MOP (esquisse, APS, APD, …).
Dans le Bâtiment et Travaux Publics (BTP), la majorité des projets sont ainsi gérés en mode séquentiel, l’architecte donnant ses travaux à l’ingénieriste, qui donne lui même ses travaux au constructeur. Le principe de l’ingénierie concourante est au contraire de permettre à chaque métier de progresser alors que les autres n’ont pas encore achevé leurs parts ; les effets bénéfiques sont une prise en compte des contraintes et exigences de l’aval par les acteurs de l’amont.
Des contraintes constructives peuvent alors être prises en compte lors de la conception, de même que des contraintes de maintenance peuvent orienter les options de construction.
Le mode de fonctionnement actuel où chaque acteur remet sa liasse de documents au suivant ne permet pas ce re-bouclage, allonge les délais, et augmente les coûts de modification (il est plus économique de modifier sur la planche à dessin que sur le chantier).
Une façon de contourner cela est de nommer une entreprise pour la réalisation de l’ouvrage, qui coordonnera les autres. Là encore, les pratiques doivent évoluées ; les entreprises ont un mode de fonctionnement calqué sur la loi MOP jusque dans leurs contrats, puisque les termes et conditions de paiement inclus comme jalons la livraison de livrables (les plans et documents techniques pour l’ingénieriste par exemple). Le BIM étant une plateforme collaborative de conception pour tous métiers, le travail ne se fait pas sur la base des documents finalisés remis par les autres métiers, mais au fil de l’eau et en parallèle ; ces documents ne seront édités, si besoin, qu’à la fin de la construction dans l’outil.
Ainsi, la mise en place du BIM nécessite plus que la bonne volonté des acteurs et la définition de normes. Les pratiques contractuelles et le paysage législatif doivent aussi évoluer pour faciliter cette transition numérique.
Une des premières mesures facilitant la mise en place du BIM serait alors de définir des termes de paiements en lien avec la réalité opérationnelle des projets qui change pour intégrer le BIM et le numérique dans les projets de BTP.
Les acteurs s’attaqueront-ils à ce chantier de modification de la loi MOP pour faciliter le Plan de Transition Numérique dans le Bâtiment ? Voilà une question qu’il faudra suivre de près.
Discussions en cours :
La MIQCP l’a rappelé recemment et tous ceux qui pratiquent le BIM depuis longtemps - c est mon cas - le savent : le BIM est parfaitement compatible avec la loi MOP ; un groupe de travail MAITRISE D OEUVRE animé par la MIQCP (mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques) a d’ailleurs élaboré un guide qui précise les livrables BIM a chaque phase ; il sera publié à la rentrée.
La seule chose à changer - mais cela ne nécessite aucune modification de la loi MOP - c’est le cadencement des honoraires ; si l on veut que les architectes forgent la maquette dés l’esquisse et il faut revoir la pourcentage de rémunération de chaque phase pour injecter plus en amont la bonne dose
Le loi MOP a eu des avantages, et en a encore. Mais regardons objectivement les faits.
L’intégration du BIM dans la cadre législatif actuel est-elle si simple ou automatique ?
Une mission interministérielle s’est penchée sur le sujet, et une recherche rapide sur le web nous montre que les avis divergent ; ce n’est donc ni simple, ni immédiat.
(Je serais par ailleurs ravi de lire le guide issu du groupe de travail).
Ensuite, ouvrons-nous à d’autres secteurs d’activités, sans parler d’autres pays. Le principe même d’ingénierie concourante, de parallélisation des tâches, est antinomique avec le séquençage actuel. Alors oui, le BIM pourrait s’intégrer dans le cadre de la loi MOP si l’on n’en fait qu’un outil informatique, une visualisation d’un objet à construire ; alors que le potentiel de réduction des délais et des coûts est énorme par une prise en compte en amont des contraintes et exigences de l’aval du projet. D’autres secteurs l’ont bien compris, alors pourquoi pas le BTP ?
Le BIM doit être un outils au service du processus à définir, et non un outil qu’on rajoute à un processus existant inadapté. L’intégration du BIM doit permettre de se poser la question plus large de la stratégie d’exécution des projets.
Cela indépendamment de toute considération politique et de parti pris, là n’est évidemment pas le sujet.