Souvent, il est objecté que l’interventionnisme des associations dans le champ économique ou commercial est la résultante d’un comportement déviant [2], qu’il convient par conséquent de le limiter à tout prix afin d’écarter tout risque de dénaturation de ces institutions sans but lucratif (ISBL) et/ou de banalisation de leur action. Aussi, cette question du rapport entre secteur associatif et activité économique doit nécessairement être clarifiée, sans quoi l’économie sociale et solidaire (ESS) – composée à plus de 80 % d’associations – demeurera encore longtemps en quête de sens. Quant à son action, celle-ci restera trop résiduelle pour pouvoir déboucher sur un véritable projet de transformation sociale.
I - Comment les associations peuvent-elles exercer dans le secteur économique ?
Distinction entre activité économique et activité commerciale.
La notion d’activité économique ne fait l’objet d’aucune définition formelle, à la différence de celle d’activité commerciale.
Ainsi, l’activité économique se caractérise, selon la jurisprudence européenne, par le simple fait de s’immiscer dans la circulation des richesses ou encore de concourir à la production et à la commercialisation de produits ou de services [3]. En effet, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), aujourd’hui devenue Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), a rappelé que « constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens et des services sur un marché donné » [4]
Quant à l’activité commerciale, pour le Code de commerce, la réalisation d’« actes de commerce », dont la liste est dressée aux articles L. 110-1 et L. 110-2 dudit code, constitue le préalable indispensable à l’exercice de toute activité présentant un caractère commercial par nature (industrie, commerce, services). Toutefois, ceux-ci ne présenteront un caractère commercial définitif que dans la mesure où leur commercialité est démontrée au regard de deux autres critères : d’une part, un élément intentionnel qui nécessite que son auteur soit animé d’une intention spéculative [5] ; d’autre part, un élément matériel qui implique que l’activité soit exercée à titre principal et de façon répétée. [6]
La confrontation de ces deux notions définit en creux le rapport original que le secteur associatif entretient avec ces différentes sphères : [7].
– La première différence réside dans le fait que la notion d’activité économique est plus large que celle d’activité commerciale : en définitive, si toute activité lucrative présente incontestablement un caractère économique, l’inverse n’est pas vrai. C’est pourquoi le champ des activités civiles de nature mobilière, libérale, agricole et artisanale, sociale et culturelle, sans que cette liste soit exhaustive, est partie prenante de l’économie [8] dès lors que les prestations réalisées sont effectuées moyennant une rémunération. [9] L’important est que ces prestations soient rendues moyennant une rémunération correspondant au moins à leur prix de revient. Ce qui permet d’écarter du domaine des activités économiques les associations purement caritatives ou de bienfaisance dont les « ressources échappent au critère de l’activité économique dans la mesure où leurs ressources ne proviennent que des cotisations de leurs membres, de subventions ou de dons » [10]
– La seconde différence est que la notion d’activité économique privilégie une approche plus neutre que la notion d’activité commerciale. En effet, la notion d’activité commerciale repose essentiellement sur une définition arbitraire dont « les normes sont la consécration d’usages peu à peu établis et non une construction de la raison » [11]. Or, ces normes, servant essentiellement à définir les caractéristiques de la profession commerciale, ont progressivement consacré le mobile de l’exploitant (élément intentionnel) comme l’élément pivot du rattachement à un régime exclusivement réservé au commerçant [12]. À l’inverse, pour la jurisprudence européenne et française, l’activité économique se définit essentiellement par rapport à un « objectif d’entreprise » [13], voire en fonction du mode de gestion entrepreneuriale [14] adopté par la structure concernée, les institutions européennes précisant même qu’en dehors de la recherche de bénéfices, toute activité, dès lors qu’elle participe aux échanges économiques, revêt une nature économique [15].
Distinction entre activités et but associatif.
La confrontation de la notion d’activité économique avec celle d’activité commerciale (ou lucrative) permet, par ailleurs, d’opérer une distinction entre, d’une part, les activités et, d’autre part, le but de l’association. Cette distinction entre activités et but du groupement démontre l’existence d’entreprises capables de réaliser des opérations à titre onéreux, tout en conservant un but qui, lui, demeure non lucratif. Or, aujourd’hui, c’est précisément cette spécificité qui fonde l’appartenance des associations « à caractère économique » au secteur de l’ESS. En effet, pour bon nombre de ces « entreprises associatives » [16], la réalisation d’activités économiques, voire commerciales, ne constitue qu’un moyen au service d’un but non lucratif, comme l’a d’ailleurs confirmé le Conseil constitutionnel : « […] le principe, constitutionnellement garanti, de liberté d’association n’interdit pas aux associations de se procurer les ressources nécessaires à la réalisation de leur but, qui ne peut être le partage de bénéfices entre leurs membres, par l’exercice d’activités lucratives […] » [17].
Incidences sur le régime fiscal des associations.
En droit fiscal, bien que le raisonnement soit autonome, la distinction possible entre activité économique et commerciale/lucrative a été révélée par l’instruction fiscale du 15 septembre 1998 [18], confortant un peu plus encore ce rapport original que les associations sont capables d’entretenir avec le monde des affaires. En effet, toute association peut exercer des activités commerciales lucratives pour compléter ses ressources et boucler ainsi son budget. Néanmoins, ces activités doivent demeurer accessoires pour pouvoir bénéficier de la franchise commerciale dont le seuil est limité, pour 2018, à 62.250 euros par année civile [19]. Et pour éviter tout risque de globalisation fiscale, ces ISBL, à l’instar des fondations et fonds de dotation, doivent procéder par voie de sectorisation [20] , voire de filialisation [21], en cas de dépassement de ce seuil ou lorsque les activités lucratives deviennent prépondérantes. En parallèle, les associations peuvent s’adonner sans réserve – c’est-à-dire quel que soit le montant du chiffre d’affaires réalisé – à des activités économiques jugées hors champ concurrentiel si ces ISBL présentent une utilité sociale [22] Tel est le cas dès lors que les critères principaux du « produit » proposé par l’organisme, du « public bénéficiaire » et de l’« affectation des excédents » sont remplis [23]. S’agissant de ce dernier critère, la doctrine fiscale a d’ailleurs réaffirmé le principe selon lequel « il est légitime qu’un organisme non lucratif dégage, dans le cadre de son activité, des excédents, reflets d’une gestion saine et prudente » [24].
II - Pourquoi les associations sont-elles légitimes à intervenir dans le secteur économique ?
L’exégèse de l’article 1er de la loi du 1er juillet 1901.
Le poids économique des associations [25] témoigne des nombreux changements intervenus dans la pratique associative au cours de ces dernières années, alors même que le cadre juridique est demeuré pratiquement inchangé (L. du 1er juill. 1901, JO du 2, art. 1er.). En effet, l’article 1er de la loi 1901 définit toujours l’association comme une « convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices ». Or, en qualifiant les associations d’« organismes à but non lucratif », la doctrine majoritaire a longtemps été partisane ou prisonnière d’une conception strictement philanthropique du secteur associatif, contribuant ainsi à propager, au sein du monde associatif lui-même, l’idée d’une incompatibilité de principe entre les associations et le monde des affaires. Or, en entretenant une confusion entre la capacité juridique dont dispose ce type d’ISBL et celle de ses membres, il apparaît aujourd’hui que cette approche s’est longtemps fondée sur une interprétation erronée de l’article 1er de la loi 1901. En effet, l’exégèse de cet article démontre que la contrainte de non-distribution des bénéfices s’analyse au niveau des membres, ce qui induit a contrario que le groupement associatif est, quant à lui, en droit de réaliser ces mêmes bénéfices [26]
Émergence du concept d’entreprise associative.
La notion d’entreprise ne fait l’objet d’aucune définition légale dans le droit positif français, à la différence de celle de société qui s’annonce comme un groupement institué « par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter » [27]. Pour la jurisprudence européenne, la notion d’entreprise « comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette activité et de son mode de fonctionnement » [28]. Par conséquent, rien ne s’oppose désormais à ce que l’association à caractère économique soit reconnue comme une véritable entreprise, ce qui a d’ailleurs été confirmé par le Conseil constitutionnel à deux reprises en 2006 : « doit être regardée comme une entreprise » une association « qui a pour activité principale la prestation de services » [29].
L’entreprise associative n’est pas un commerçant.
Dès 1988, la Cour de cassation affirme qu’une association exerçant des activités commerciales à titre principal ne saurait être un commerçant [30]. En effet, en raison du principe de propriété impartageable des bénéfices imposé par la loi 1901, une association ne peut avoir un objet statutaire commercial au sens de l’article L. 121-1 du code de commerce et exercer ainsi la profession de commerçant. En d’autres termes, la juridiction suprême confirme que si l’association peut réaliser des actes de commerce à titre accessoire [31], voire habituel [32], ceux-ci ne peuvent primer sur son objet statutaire au point d’entraîner une assimilation du statut de cette dernière avec celui de commerçant [33]. C’est précisément la solution retenue par la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg le 27 août 2014, confirmée depuis par une décision de la cour d’appel de Grenoble du 13 juin 2017 [34], jugeant qu’une association organisatrice de plusieurs représentations artistiques par an, qui détenait une licence d’entrepreneur du spectacle et dont les ressources provenaient principalement de la billetterie et de l’achat/revente de spectacles, ne pouvait avoir la qualité de commerçant, notamment en raison du fait « qu’elle ne distribue pas de bénéfice, les excédents éventuels étant réaffectés dans la réalisation de l’objet social ».
En confirmant la distinction fondamentale entre activité et profession, les juridictions refusent toute idée d’une assimilation de principe entre association à caractère économique et société commerciale, confirmant au passage l’hétérogénéité des modes d’entreprendre en France.
L’entreprise à objet statutaire autre que la recherche du profit maximum existe déjà.
Il semble important de le rappeler au moment où il est question de traduire juridiquement, à travers la loi relative au plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), le très controversé rapport sur « l’entreprise, objet d’intérêt collectif ». [35]
Cet article a été précédemment publié aux éditions Juris Associations (Dalloz). [36]