A/ Le ministère d’avocat, condition sine qua non de recevabilité des recours devant la CCJA.
Selon l’article 23 al 1 du règlement de procédure de la CCJA modifié :
« le ministère d’avocat est obligatoire devant la cour. Est admis à exercer ce ministère toute personne pouvant se présenter en qualité d’avocat devant une juridiction de l’un des Etats parties au Traité. Il appartient à toute personne se prévalant de cette qualité d’en apporter la preuve à la cour. Elle devra en outre produire un mandat spécial de la personne qu’elle représente ».
Il résulte de cette disposition une exigence catégorique : nul ne peut comparaître devant la CCJA sans se faire représenter par un avocat, ou par une personne ayant cette qualité dans l’un des États parties. Autrement dit, l’autoreprésentation y est prohibée, de même que la représentation par un simple mandataire non-avocat. Cette exigence se justifie par la nature même de la juridiction. En effet, à l’instar des Cours de cassation nationales, la CCJA statue en droit, et non en fait. Elle n’a pas vocation à réexaminer les éléments de preuve ou à trancher des questions factuelles, mais uniquement à contrôler la bonne application de la règle de droit. Le ministère d’avocat apparaît ainsi comme une garantie procédurale essentielle, en ce qu’il permet d’élever le débat au niveau attendu dans une juridiction de cassation.
D’un point de vue pratique, cette obligation vise également à assurer une certaine qualité des écritures et des moyens soulevés. Puisque la procédure devant la CCJA est principalement écrite, il est impératif que les actes soient techniquement fondés, précis et rigoureux. L’intervention d’un professionnel du droit contribue donc à la sécurité juridique du contentieux. Le caractère obligatoire du ministère d’avocat devant la CCJA se justifie par le fait que, l’attribution essentielle de la CCJA étant d’agir comme juge de cassation, l’assistance de l’avocat permettrait de dépouiller les actes de procédure des questions de fait inutiles dans ce cadre. De plus, la procédure devant la CCJA étant essentiellement écrite, l’intervention d’un professionnel du droit assure mieux les intérêts des parties [1]. Par ailleurs, il convient de rappeler que la mission de la CCJA est double : juridictionnelle (juge de cassation et d’appel en arbitrage) et consultative (avis sur l’interprétation du droit uniforme) [2]. Cette spécificité appelle une certaine rigueur procédurale. Enfin, il importe de souligner que le fondement du pourvoi en cassation devant la CCJA est strictement encadré. Le pourvoi en cassation formé devant la CCJA à l’encontre d’un arrêt rendu par une cour suprême d’un Etat partie n’est recevable que s’il est fondé sur l’article 18 du Traité de l’OHADA [3] ; Est donc irrecevable celui fondé sur l’article 14 dudit traité dans de telles conditions [4]
Petite parenthèse.
L’article 14 alinéa 3 du Traité OHADA précise que la CCJA ne peut être saisie « à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales » . D’aucuns pourraient, à la lecture de cette clause, en déduire que la CCJA serait incompétente en toute matière impliquant une sanction. Une telle interprétation serait cependant réductrice car en réalité, cette disposition vise exclusivement le droit pénal stricto sensu. Elle signifie que la CCJA ne peut être saisie d’un recours dirigé contre une décision juridictionnelle qui inflige une peine au sens du droit pénal général. En d’autres termes, elle demeure compétente en cassation en matière commerciale, même si le contentieux est teinté d’éléments répressifs, tant que la question soulevée ne concerne pas directement l’application d’une peine privative ou restrictive de liberté, ou d’une amende pénale. La CCJA peut être saisie en cassation en matière pénale tant que la question soulevée ne concerne pas l’application d’une peine répressive [5].
Prudence ! Les actes uniformes OHADA définissent plusieurs comportements répréhensibles qualifiables d’« infractions », et assortis de sanctions administratives ou disciplinaires. Dès lors, on peut légitimement se poser les questions suivantes :
- En cas de contentieux portant sur l’interprétation ou l’application de ces sanctions, la CCJA peut-elle être saisie sans contrevenir à l’article 14 alinéa 3 ?
- Ou bien laisse-t-on ce pan du contentieux à la discrétion exclusive des juridictions nationales, avec tous les risques d’interprétations divergentes que cela comporte pour les justiciables et la sécurité juridique régionale ?
La cohérence du système en devient incertaine, car il existe un flou juridique entre le champ du droit pénal et celui des sanctions civiles ou commerciales à effet répressif. L’enjeu n’est pas négligeable : faut-il exclure toute intervention de la CCJA dans ce champ, alors même que c’est elle qui a pour mission d’unifier le droit des affaires dans l’espace OHADA ?
Autant de questions fondamentales, auxquelles la pratique judiciaire future devra répondre. Mais laissons cette réflexion en suspens pour l’instant, et revenons au cas qui nous occupe.
Bien évidemment, l’absence de représentation par un avocat régulièrement habilité, ou le défaut de production d’un mandat spécial autorisant ce dernier à représenter une partie devant la cour, vaut irrémédiablement irrecevabilité de la requête. Cette irrégularité constitue une condition de fond du droit d’agir, et non une simple formalité susceptible de régularisation.
En effet, le ministère d’avocat devant la CCJA est d’ordre public de procédure : il s’agit d’un filtre institutionnel destiné à garantir le respect des exigences formelles de la procédure en cassation. À défaut, la requête ne peut prospérer. La jurisprudence de la CCJA est constante sur ce point. Ainsi, dans un arrêt, la cour a déclaré irrecevable une requête pour défaut de qualité du représentant, l’avocat n’ayant pas justifié d’un mandat spécial conforme aux exigences de l’article 23 du Règlement de procédure [6]. Cette position a été confirmée quelques semaines plus tard [7] cela démontre la fermeté de la cour sur cette question de régularité procédurale initiale. Il s’en déduit aussi que le doute sur la qualité du mandataire suffit à emporter l’irrecevabilité.
Le ministère d’avocat constitue une exigence procédurale incontournable devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA). Cette obligation, consacrée à l’article 23 alinéa 1 du Règlement de procédure de la cour [8], se présente comme un principe fondamental régissant la recevabilité de toute saisine.
L’importance de cette exigence a d’ailleurs été réaffirmée avec force par la jurisprudence. Dans un arrêt rendu le 26 avril 2018 (n°095/2018) [9], la cour a rappelé que le changement d’avocat en cours d’instance implique nécessairement la délivrance d’un nouveau mandat spécial. À défaut, la requête encourt l’irrecevabilité. En d’autres termes, le mandat d’un précédent avocat ne saurait se transférer automatiquement à un successeur : la cour exige une régularité formelle stricte à chaque étape de la représentation. De même a été déclaré irrecevable le mémoire en réponse produit par un avocat ne justifiant pas d’un mandat spécial de la personne qu’il représente [10]. Enfin lorsque l’avocat constitué se trouve être une société civile professionnelle d’avocats, la signature d’un seul avocat appartenant à ladite société d’avocats est suffisante [11].
Comme nous l’avons dit, devant la CCJA le ministère d’avocat est obligatoire mais qu’en est-il lorsque le justiciable qui se pourvoi en cassation devant la cour est lui-même un avocat inscrit au barreau de l’un des Etats membres de l’OHADA ? doit-il donner mandat à un autre avocat pour le représente ?
B/ L’exception au principe de constitution obligatoire du ministère d’avocat devant la CCJA.
Ce point a été examiné par la CCJA dans l’affaire Tonye Arlette. La cour a, à juste titre, décidé que l’avocat qui se pourvoit en cassation devant elle n’a pas à déférer à l’exigence du ministère d’avocat. De même, s’étant donné lui-même mandat, en agissant par lui-même, on ne peut exiger de lui un mandat spécial, lorsqu’il se pourvoit en cassation [12]. L’arrêt Maître Tonye constitue vraisemblablement la première décision dans laquelle la cour s’est plus appesantie sur cette question.
Résumé de faits et question de droit.
Sur fondement d’une décision de justice, Mme Arlette Tonye, avocate au Barreau du Cameroun et, dans l’espèce sous examen, demanderesse au pourvoi devant la CCJA, pratiquait une saisie-attribution de créance au préjudice de Mobil Oil Cameroun, débitrice saisie, entre les mains de la Banque Internationale du Cameroun pour l’Epargne et le Crédit (ci-après BICEC), tierce saisie et défenderesse au pourvoi dans la présente cause, afin d’obtenir le paiement d’une somme d’argent précise. Cependant, la débitrice saisie et la tierce saisie initiaient sans succès diverses procédures dans le but manifestement de se soustraire à ce paiement.
C’est ainsi que la demanderesse au pourvoi obtint une autre décision judiciaire condamnant la BICEC au paiement des causes de la saisie sous astreinte d’une somme précise par jour de retard. Se basant sur cette dernière décision, la demanderesse au pourvoi assigna la BICEC en liquidation d’astreinte et obtint contre celle-ci une Ordonnance de référé, qui liquidait l’astreinte provisoirement à une somme précise. Toutefois, la BICEC obtint à son tour une décision judiciaire suspendant l’exécution de cette Ordonnance. Et, c’est cette décision de suspension de l’exécution qui a fait l’objet du pourvoi en cassation devant la CCJA. En dépit du fait que la demanderesse était, elle-même, avocate à un Barreau de l’espace géographique OHADA et n’a pas par conséquent jugé nécessaire de se faire représenter par un autre avocat devant la CCJA, la défenderesse a in limine litis conclu à l’irrecevabilité de son pourvoi en cassation du fait notamment que la demanderesse n’aurait pas déféré à l’exigence de la représentation obligatoire par avocat. Cela étant, il s’est entre autres posé la question de savoir si un avocat, agissant par lui-même devant la CCJA, devrait toutefois déférer à l’exigence de la représentation obligatoire par avocat. En d’autres mots, il s’est agi de savoir si le justiciable, se pourvoyant en cassation devant la CCJA est un avocat d’un Barreau de l’espace géographique OHADA, doit tout de même se faire représenter par autre avocat ou non [13].
Après avoir rappelé les termes de l’article 23 du Règlement-CCJA selon lesquels le ministère d’avocat devant la haute juridiction de l’OHADA est obligatoire, la CCJA a jugé qu’il serait contraire à l’esprit de cet article de priver la demanderesse, qui est une avocate inscrite à un Barreau de l’espace OHADA et à ce titre peut représenter tout justiciable devant elle, son droit d’agir par elle-même [14].
La jurisprudence ultérieure a confirmé ce raisonnement. La CCJA a décidé que l’obligation de se faire représenter par un avocat ne s’applique pas aux avocats lorsqu’ils sont parties aux instances devant elles. En conséquence il ne peut leur être imposé de se délivrer mandats à eux-mêmes [15].
C/ La forme du mandat spécial.
L’obligation de représentation par un avocat devant la CCJA implique nécessairement la délivrance d’un mandat ad litem [16], c’est-à-dire un mandat spécial donné à un avocat pour représenter une partie dans une procédure déterminée. Ce mandat constitue une condition de fond pour la recevabilité de l’action. L’article 23 du Règlement de procédure de la CCJA ne laisse guère place à l’interprétation : la personne se prévalant de la qualité d’avocat doit produire un mandat spécial émanant de la partie qu’elle entend représenter.
Sur ce point, la jurisprudence de la cour est constante : la forme du mandat importe peu, pourvu que le document fasse clairement apparaître la mission confiée à l’avocat. Ainsi, dans l’arrêt n°030/2010 du 29 avril 2010 ainsi que dans celui du 11 novembre 2014 (n°141/2014), la cour a estimé qu’il n’était pas nécessaire de produire un acte sous forme notariée ou authentique. Il suffit que le mandat explicite de manière non équivoque les pouvoirs conférés à l’avocat, notamment celui d’agir en justice devant la CCJA. Ce principe a été réaffirmé avec clarté dans l’arrêt n°103/2016 du 2 juin 2016 [17].
Autrement dit, ce n’est pas la forme extérieure du mandat qui prime, mais son contenu substantiel. En l’absence de ces mentions essentielles, le document ne saurait être considéré comme un mandat valable, et la requête déposée sur cette base est alors frappée d’irrecevabilité pour défaut de capacité de représentation.
Toutefois, dans une logique de préservation des droits de la défense et de souplesse procédurale, la jurisprudence admet la possibilité de régulariser a posteriori un mandat irrégulier ou inexistant au moment de l’introduction du recours. C’est ce qu’illustre l’arrêt n°027/2013 du 18 avril 2013 [18], où la CCJA a jugé qu’un recours déposé sans mandat spécial pouvait être régularisé par la production ultérieure d’un tel mandat, sans que cela n’affecte la recevabilité initiale de la requête. Ainsi, le vice de forme peut être couvert, à condition qu’il le soit dans un délai raisonnable.
Conclusion.
La représentation par un avocat devant la CCJA ne saurait être reléguée au rang d’une simple formalité procédurale. Elle constitue un impératif de droit, une exigence de qualité et un filtre institutionnel au service de la cohérence du contentieux communautaire. Fondée sur la spécificité de la mission de la cour - à la fois juridictionnelle et consultative - cette obligation garantit une élévation du débat juridique à la hauteur des enjeux de l’intégration régionale. Néanmoins, la souplesse jurisprudentielle observée à travers l’arrêt Maître Tonye révèle une approche nuancée : lorsqu’un avocat régulièrement inscrit au barreau de l’un des États membres agit en son propre nom, il ne peut être contraint à se représenter par un autre avocat. Cette exception, bien que marginale, souligne l’équilibre subtil entre le respect strict des règles procédurales et une lecture pragmatique des textes, à la lumière des réalités professionnelles. Elle rappelle que la rigueur du droit n’exclut pas une certaine flexibilité dès lors qu’elle est encadrée par la logique du système.