Le 21 décembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la question de savoir si, pendant la période de cinq ans suivant l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, le risque de confusion devait s’apprécier soit sur la base des produits et services pour lesquels la marque a été enregistrée, soit uniquement sur la base des produits et services pour lesquels le titulaire a déjà entamé un usage sérieux de ladite marque.
En résumé : l’usage sérieux d’une marque de l’Union européenne doit-il être pris en compte pendant cette période de cinq ans pour apprécier le risque de confusion ?
Retour sur les faits
Cette affaire oppose la société Länsförsäkringar à la société Matek.
La société Länsförsäkringar est titulaire d’une marque de l’Union européenne enregistrée le 4 janvier 2008, notamment pour les services des classes 36 (les affaires immobilières, les évaluations de biens immobiliers, la location d’appartements et de locaux commerciaux ainsi que la gérance de biens immobiliers) et 37 (la construction, la réparation et l’entretien ainsi que les services d’installation) (point 11).
En 2009, la société Matek dont l’activité principale consiste en la fabrication et en l’assemblage de maisons en bois, enregistre un logo qu’elle avait déjà commencé à utiliser depuis 2007. Le logo fut enregistré pour les produits relevant de la classe 19 (matériaux de construction non métalliques ; tuyaux rigides non métalliques pour la construction ; asphalte, poix et bitume ; constructions transportables non métalliques ; monuments non métalliques). (point 12)
Estimant que la société Matek a violé son droit exclusif conféré par sa marque de l’Union européenne, la société Länsförsäkringar décide de saisir le tribunal de première instance de Stockholm et demande à ce que soit interdite à la société Matek l’utilisation de signes similaires à ladite marque (point 15). Le tribunal accepte la demande.
Or, la cour d’appel de Svéa remet vite en cause cette décision car, selon elle, « l’examen de la similitude des produits et des services en cause devait être effectué sur la base de l’activité réellement exercée par le titulaire » (point 14). Ainsi, il n’existait pas de risque de confusion.
Les questions préjudicielles posées par la Cour Suprême de Suède
Insatisfaite de cette décision, la société Länsförsäkringar introduit un pourvoi devant la Cour suprême de Suède. A cet effet, elle fait valoir que pendant la période de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque de l’UE, l’appréciation du risque de confusion doit se fonder exclusivement sur cet enregistrement et non pas sur l’utilisation réelle de cette marque.
C’est là que la Cour suprême de Suède décide de surseoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union Européenne :
1°) « Le fait que la marque [de l’Union européenne] n’ait pas fait l’objet par le titulaire, au cours d’une période comprise dans le délai de cinq ans qui suit l’enregistrement, d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services visés par l’enregistrement a-t-il une incidence sur le droit exclusif du titulaire ? » (point 17)
et
2°) « S’il est répondu par l’affirmative à la première question, dans quelles conditions et de quelle manière cette circonstance affecte-t-elle le droit exclusif ? » (point 17)
La réponse de la Cour de justice de l’UE : « l’admission d’un « délai de grâce » de cinq ans après l’enregistrement de la marque de l’Union européenne »
Face à ces deux questions préjudicielles posées par la Cour suprême de Suède, la Cour de justice de l’Union européenne devait donc se prononcer sur la question de savoir si l’existence d’un risque de confusion doit s’apprécier sur la base de l’ensemble des produits et services pour lesquels cette marque a été enregistrée, ou bien sur la base uniquement des produits et services pour lesquels le titulaire a déjà entamé un usage sérieux de ladite marque (point 21).
Selon l’interprétation de la Cour, le titulaire d’une marque de l’UE dispose d’« un délai de grâce pour entamer un usage sérieux de sa marque au cours duquel il peut se prévaloir du droit exclusif conféré par celle-ci, […] pour l’ensemble de ces produits et services, sans devoir démontrer un tel usage » (point 26).
Cela implique alors que, pendant ce délai de cinq ans, l’étendue du droit exclusif s’apprécie « en ayant égard aux produits et services, tels que visés par l’enregistrement de la marque et non pas par rapport à l’usage que le titulaire a pu faire de cette marque pendant cette période » (point 27).
La Cour de Justice de l’Union européenne choisit donc de trancher pour la seconde solution. C’est l’ensemble des produits et services pour lesquels la marque a été enregistrée qui doit être pris en compte pour l’appréciation du risque de confusion et non l’usage réel qui a été fait par le titulaire.
Finalement, grâce à ce délai de grâce de cinq ans, aucun usage sérieux de la marque de l’UE n’a à être démontré. Il s’en déduit de manière évidente que l’appréciation du risque de confusion ne se fasse pas sur la base de cet usage.
Ce pourquoi la Cour de Justice de l’UE conclut que « au cours de la période de cinq ans qui suit l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, son titulaire peut, en cas de risque de confusion, interdire aux tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique ou similaire à sa marque pour tous les produits et les services identiques ou similaires à ceux pour lesquels cette marque a été enregistrée, sans devoir démontrer un usage sérieux de ladite marque pour ces produits ou ces services » (point 29).