La discussion des clauses est importante pour couvrir un risque. Pour être indemnisable, il faut au moins que le risque pertes d’exploitation soit prévu au contrat sans lien avec un dommage matériel préexistant et non exclu spécifiquement par une autre disposition (sans exclusion expresse de l’épidémie).
Dans les cas d’urgence, le juge peut prononcer toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence du litige en question. On dit à cette occasion que le juge des référés est le juge de l’évidence, de l’incontestable.
Le référé d’urgence devant le tribunal de commerce s’inscrit donc dans un contexte d’urgence où il n’est pas contestable que la décision des pouvoirs publics quant à l’arrêt de l’activité du restaurant depuis la mi-mars 2020 l’amène inéluctablement à la faillite.
Une intervention rapide du juge est donc nécessaire sous peine de dommages irréversibles ou graves, « lorsqu’une partie est exposée à un préjudice imminent, qui pourrait être irréparable ».
Quelles sont les conditions définies par l’article 872 du Code de Procédure Civile qui seront appréciées strictement par le Juge ?
Quelles sont les mesures qui peuvent être prononcées par le Juge de l’urgence ?
Qu’est ce que la passerelle de l’article 873-1 du Code de Procédure Civile ?
L’intérêt de ce référé réside indéniablement dans la possibilité pour le demandeur de solliciter du Juge des référés l’adoption de toutes mesures qu’il jugera utiles dès lors que leur prononcé n’implique pas un examen du litige au fond.
I - Le référé Urgence a autorité provisoire de chose jugée.
L’article 872 du Code de procédure civile dispose que
« dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. »
Dans les cas d’urgence, le juge peut prononcer toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence du litige en question. Lorsqu’un litige exige qu’une solution, au moins provisoire, soit prise dans l’urgence par le juge, une procédure spécifique dite de référé est prévue par la loi.
Elle est confiée à un juge unique, généralement le président de la juridiction qui rend une ordonnance de référé.
L’article 484 du Code de procédure civile définit l’ordonnance de référé comme
« une décision provisoire rendue à la demande d’une partie, l’autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires ».
Il ressort de cette disposition que la procédure de référé présente trois caractéristiques :
Elle conduit au prononcé d’une décision provisoire, en ce sens que le juge des référés ne se prononce pas sur le fond du litige. L’ordonnance rendue en référé n’est donc pas définitive,
La procédure de référé offre la possibilité à un requérant d’obtenir du Juge toute mesure utile afin de préserver ses droits et intérêts,
La procédure de référé est, à la différence de la procédure sur requête, placée sous le signe du contradictoire, le Juge ne pouvant statuer qu’après avoir entendu les arguments du défendeur.
Le juge des référés, juge de l’urgence, juge de l’évidence, juge de l’incontestable, paradoxalement si complexes à saisir, est un juge au sens le plus complet du terme.
Il remplit une fonction sociale essentielle, et sa responsabilité propre est à la mesure du pouvoir qu’il exerce.
Selon les termes de Pierre DRAI, ancien Premier Président de la Cour de cassation
« toujours présent et toujours disponible (…) (il fait) en sorte que l’illicite ne s’installe et ne perdure par le seul effet du temps qui s’écoule ou de la procédure qui s’éternise ».
Le référé a autorité provisoire de chose jugée.
L’ordonnance de référé ne tranche donc pas l’entier litige. Elle est cependant exécutoire à titre provisoire.
Le recours au juge des référés, qui n’est qu’un juge du provisoire et de l’urgence, n’est possible que dans les cas d’urgence, le juge peut prononcer toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence du litige en question. On dit à cette occasion que le juge des référés est le juge de l’évidence, de l’incontestable.
Le juge du référé est souvent compris dans l’inconscient collectif comme le juge de l’évidence qui se doit de se prononcer sans attendre qu’un débat contradictoire plus chronophage ne s’installe selon la procédure ordinaire. Mais le juge des référés n’est pas le juge de l’interprétation du contrat d’assurance.
Il faut se méfier de cette idée commune, car le juge du référé est un juge du provisoire dont les décisions sont dépourvues d’autorité de la chose jugée au principal.
II. Les conditions de l’action en référé sur le fondement de l’article 872 du Code de procédure civile.
Il faut démontrer la réunion de plusieurs conditions qui seront appréciées strictement par le Juge.
La recevabilité d’une action en référé sur le fondement de l’article 872 du Code de procédure civile est subordonnée à la satisfaction de deux conditions :
A) L’établissement d’un cas d’urgence.
Première condition à remplir pour solliciter le Juge des référés sur le fondement de l’article 872 du CPC : l’établissement d’un cas d’urgence. La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par urgence.
Classiquement, on dit qu’il y a urgence lorsque
« qu’un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur » [1].
Il appartient de la sorte au juge de mettre en balance les intérêts du requérant qui, en cas de retard, sont susceptibles d’être mis en péril et les intérêts du défendeur qui pourraient être négligés en cas de décision trop hâtive à tout le moins mal-fondée.
En toute hypothèse, l’urgence est appréciée in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.
Son appréciation relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. L’urgence de l’article 872 du code de procédure civile ne fait, en effet, pas l’objet d’un contrôle de la part de la Cour de cassation, en raison de son caractère factuel, ce qui donne aux arrêts rendus sur cette question la valeur de simples exemples, qui se bornent à constater que les juges l’ont caractérisée.
B) L’absence de contestation sérieuse ou l’existence d’un différend.
Pour saisir le juge des référés sur le fondement de l’article 872 du CPC, l’établissement d’un cas d’urgence ne suffit pas. Il faut encore démontrer que la mesure sollicitée :
Soit ne se heurte à aucune contestation sérieuse,
Soit se justifie par l’existence d’un différend.
Il convient d’observer que ces deux conditions énoncées, en sus de l’exigence d’urgence, sont alternatives, de sorte que la non satisfaction de l’une ne fait pas obstacle à l’adoption par le juge de la mesure sollicitée par le demandeur
Ainsi, dans l’hypothèse où ladite mesure se heurterait à une contestation sérieuse, tout ne serait pas perdu pour le requérant qui peut toujours obtenir gain cause si l’adoption de la mesure est justifiée par l’existence d’un différend.
Reste que, en pareille hypothèse, le pouvoir du Juge des référés sera limité à l’adoption d’une mesure conservatoire, soit d’une mesure qui ne consistera pas en l’application de la règle de droit substantielle, objet du litige. A contrario, en l’absence de contestation sérieuse, le juge sera investi d’un pouvoir des plus étendue, en sorte qu’il pourra prononcer une mesure d’anticipation de la décision au fond.
Lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article 872 du CPC, l’étendue du pouvoir du Juge des référés dépend ainsi de l’existence d’une contestation sérieuse, la démonstration de l’existence d’un différend n’étant nécessaire qu’en présente d’une telle contestation.
1°- Sur l’absence de contestation sérieuse.
Dès lors que la mesure sollicitée se heurtera à une contestation sérieuse, le juge des référés saisi sur le fondement de l’article 872 du CPC sera contraint de rejeter la demande formulée par le requérant.
Il convient d’observer que l’existence d’une contestation sérieuse ne constitue pas une exception d’incompétence, mais s’apparente à un défaut de pouvoir du juge. Elle n’a donc pas à être soulevée avant toute défense au fond
A l’instar de la notion d’urgence, la référence à l’absence de contestation sérieuse ne se laisse pas aisément définir. Que faut-il entendre par cette formule ?
Elle doit se comprendre comme l’interdiction pour le juge de prononcer une mesure qui supposerait qu’il tranche une question au fond. En d’autres termes le prononcé de la mesure sollicité ne doit, en aucun cas, préjudicier au principal.
La contestation sérieuse s’oppose ainsi à ce qui est manifeste et qui relève de l’évidence.
A cet égard, la contestation sera qualifiée de sérieuse toutes les fois qu’il s’agira :
Soit de trancher une question relative au statut des personnes,
Soit de se prononcer sur le bien-fondé d’une action en responsabilité,
Soit d’interpréter ou d’apprécier la validité un acte juridique.
Plusieurs exemples peuvent être convoqués pour illustrer les limites du pouvoir du juge des référés saisi sur le fondement de l’article 872 du CPC.
Ont été considérés comme constitutifs d’une contestation sérieuse et donc ne relevant pas du pouvoir du juge des référés :
L’interprétation de la volonté des parties,
L’appréciation du bien-fondé d’un droit de rétention,
L’appréciation de la validité d’un arrêté préfectoral autorisant la résiliation d’un bail,
L’appréciation de la nullité éventuelle d’un contrat.
Si le Juge des référés excède ses pouvoirs et encourt la cassation pour violation de la loi dans l’hypothèse où il est contraint de se livrer à l’interprétation pour statuer, il en va autrement lorsqu’il lui incombe, pour statuer sur le caractère non sérieusement contestable d’une obligation, d’interpréter non pas un contrat, mais la loi.
A cet égard, la Cour de cassation a pu censurer le juge du provisoire qui s’était refusé à mettre en œuvre une telle interprétation et s’est alors prononcé au visa de l’article 12 du code de procédure civile selon lequel le juge (des référés également) doit trancher le litige conformément aux règles de droit
S’agissant de l’appréciation de l’absence de contestation sérieuse, elle ne relève plus du pouvoir souverain des juges du fonds depuis un arrêt rendu par l’assemblée plénière en date du 16 novembre 2001 [2].
2°- Sur l’existence d’un différend.
Si la démonstration de l’existence d’un différend n’est pas nécessaire lorsque, en cas d’urgence, il est établi l’absence de contestation sérieuse, tel n’est pas le cas en présence d’une contestation sérieuse.
Dans cette dernière hypothèse, il appartiendra, en effet, au demandeur, de démontrer que la mesure sollicitée est justifiée par l’existence d’un différend.
Par différend, il faut entendre tout litige ou désaccord, de quelque nature que ce soit, entre les parties.
Reste que pour que le juge prononce une mesure conservatoire s’il constate l’existence d’un différend entre les parties, celui-ci devra justifier l’adoption de la mesure.
Autrement dit, la mesure sollicitée ne devra pas être étrangère au différend. Elle devra être en lien avec lui.
III - Les mesures prononcées.
1°- Les mesures autorisées.
Pour mémoire, l’article 872 du CPC prévoir que, lorsque le juge des référés en cas d’urgence il peut
« ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ».
A l’examen, il apparaît que l’article 872 du CPC confère au juge le pouvoir de prononcer deux sortes de mesures, selon qu’il existe ou non une contestation sérieuse :
En l’absence de contestation sérieuse :
Le juge dispose du pouvoir de prononcer des mesures d’anticipation, soit des mesures qui sont très proches de celles susceptibles d’être prononcées à l’issue de l’instance au fond,
Dans cette hypothèse, l’application de la règle de droit substantielle n’est contestée, de sorte que le juge des référés dispose du pouvoir de lui faire produire ses effets.
En présence d’une contestation sérieuse:Le juge des référés sera privé de son pouvoir de prononcer une mesure d’anticipation de la décision au fond :
Il ne pourra prononcer des mesures conservatoires, soit des mesures qui, en raison de l’existence d’un différend, doivent permettre d’attendre la décision au principal,
La mesure prononcée sera donc nécessairement éloignée des effets de la règle de droit substantielle dont l’application est débattue par les parties,
Il pourra s’agir, par exemple, de la désignation d’un administrateur provisoire ou de la mise sous séquestre d’une somme d’argent,
Ainsi, la mesure prise ne consistera pas à anticiper la décision rendue au fond, mais seulement à geler une situation conflictuelle (suspension de travaux dans l’attente de la décision du juge du fond, désignation d’un administrateur judiciaire pour une association ou une copropriété, suspension des effets d’un commandement de payer, désignation d’un séquestre etc.).
2°- Les mesures interdites.
Bien que le Juge des référés dispose, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article 872 du CPC du pouvoir de prononcer des mesures d’anticipation de la décision au fond, il lui est interdit d’ordonner une mesure qui se heurte à une contestation sérieuse.
Ainsi lui est-il interdit de prononcer une mesure qui procède :
Soit de l’appréciation du statut des personnes ou de biens,
Soit de l’appréciation du bien-fondé d’une action en responsabilité,
Soit de l’interprétation des termes d’un acte juridique ou de l’appréciation de sa validité
IV- La passerelle de l’article 873-1 du Code de Procédure Civile.
L’article 873-1 du Code de procédure civile dispose que dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, renvoyer l’affaire à une audience dont il fixe la date pour qu’il soit statué au fond.
Il veille à ce que le défendeur dispose d’un temps suffisant pour préparer sa défense. L’ordonnance emporte saisine du Tribunal.
Dans une affaire de même type, le juge s’est déclaré incompétent pour traiter du dossier au fond.
L’argumentation suivie montre surtout une certaine prudence du juge tout en s’abritant derrière la passerelle que l’article 873-1 du Code de procédure civile permet le renvoi de l’affaire.
Au cas particulier, un contrat d’assurance « pertes d’exploitation » pour fermeture administrative liée à une épidémie contenait une clause restrictive.
Celle-ci était ainsi rédigée :
« les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental, que celui de l’établissement assuré, d’une mesure administrative, pour une cause identique ».
Le demandeur entendait faire valoir une application concomitante des articles 1170 du Code civil et 873, alinéa 2, du Code de Procédure Civile en considérant que, la clause d’exclusion étant réputée non écrite car abusive, l’obligation de règlement est non sérieusement contestable.
Le juge a estimé :
« Attendu cependant que l’exclusion n’étant pas totale et illimitée, il convient d’analyser si l’essentiel de l’obligation a été retiré ; que ce pouvoir n’appartient pas au juge des référés mais au juge du fond ».
Sauf les cas, limitativement prévus par la loi , le juge des référés du Tribunal de Commerce reste compétent pour accorder une provision, même lorsque le juge du fond est saisi.
Le Tribunal de commerce peut donc ordonner à l’assureur de verser « une provision ».
L’objet de l’assurance pertes d’exploitation est de replacer l’assuré dans la situation financière qui aurait été la sienne en l’absence de sinistre.
L’indemnisation est ainsi soumise au principe indemnitaire défini par l’article L121-1 du Code des assurances : elle ne peut être une cause d’enrichissement.
La provision d’indemnité versée correspondra à la marge effectivement perdue et aux frais réellement supportés, même si ces montants sont inférieurs aux capitaux ayant servi d’assiette au calcul de la prime.
Discussion en cours :
Article d’une grande qualité : précis et clair, un véritable plaisir,
Merci pour ces commentaires et ces observations