De nombreuses personnes se sont évidemment déjà posé la question des capacités de ChatGPT et les ont testées. Les constats sont assez unanimes chez toutes celles et tous ceux qui ont eu l’occasion d’utiliser l’outil : la rapidité des réponses, leur justesse aussi, c’est vrai, sont assez bluffantes. Ses possibilités sont vertigineuses.
(Pour tout comprendre du fonctionnement de ChatGPT, nous vous conseillons de visionner cette vidéo, Monsieur Phi, sur YouTube : De quoi ChatGPT est-il vraiment capable ?)
Certains ont par ailleurs, sans ambages, posé l’une des "questions qui fâchent" :« L’intelligence artificielle peut-elle remplacer les avocats ? » [1]. Voici ce qu’aurait répondu ChatGPT :
« Il est possible que l’intelligence artificielle puisse être utilisée pour effectuer certaines tâches qui sont actuellement accomplies par des avocats, comme l’analyse de grandes quantités de données juridiques ou l’aide à rédiger des documents juridiques. Cependant, il est peu probable qu’elle puisse remplacer complètement les avocats ou d’autres professionnels du droit, du moins dans un avenir proche. Cela s’explique par le fait que la pratique du droit implique une prise de décision et une résolution de problèmes complexes qui dépassent les capacités de la technologie actuelle en matière d’IA. De plus, le système juridique repose sur des principes de justice et d’équité, ce qui est difficile à comprendre et à appliquer pour l’IA. Pour ces raisons, il est peu probable qu’elle puisse remplacer les avocats dans un avenir proche ».
Une réponse aussi consensuelle, que rassurante… Mais qui fait de nouveau apparaître le spectre de l’avocat-robot/robot-avocat, du magistrat-robot/robot-magistrat, etc. La chose n’est pas récente ; les enjeux juridiques et éthiques sont connus, bien que toutes les réponses n’aient pas encore été apportées.
Cela étant, l’utilisation de technologies avancées et d’outils "boostés" à l’intelligence artificielle est désormais répandue, y compris dans notre écosystème juridique : l’IA dans la gestion des contrats, dans la recherche de jurisprudence, etc. ne sont que quelques exemples des possibilités proposées, notamment par la legaltech aux professionnels du droit, pour simplifier leur travail quotidien.
L’utilisation de l’intelligence artificielle dans des systèmes d’aide à la décision, y compris au sein de notre système judiciaire notamment, à l’instar de ce qui peut se faire en santé, est un mythe qui pourrait devenir réalité. Mais il est vrai que cette annonce (toujours aux États-Unis), selon laquelle une IA (conçue par DoNotPay) va accompagner et assurer la défense d’un justiciable [2], fait ressurgir les fantômes d’une Justice déshumanisée.
Nous partageons le constat selon lequel ChatGPT est « un vulgarisateur du droit » [3] et qu’il représente, à ce titre, une opportunité de gagner du temps, pour formuler des réponses très acceptables à des questions non seulement simples, mais aussi plus compliquées [4].
Il en est de même, au moins en partie, de l’opinion d’Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens [5], selon lequel : « la qualité de ce robot conversationnel pourrait rendre inutile le recours à l’humain pour tant de tâches relativement qualifiées. C’est l’aspect troublant de la révolution à l’œuvre : après avoir laminé les tâches faiblement qualifiées et répétitives, l’automatisation est en train de grignoter peu à peu des strates d’activités qui demandent compétence, voire (et c’est nouveau), créativité. »
Mais introduisez une réelle dose de complexité, d’ambiguïté, d’humour ou d’ironie dans votre demande, juridique ou non d’ailleurs et vos attentes seront vraisemblablement déçues. Subtilités du langage et nuances de droit ne sortiront pas du chapeau de l’IA ; le système n’est d’ailleurs pas conçu pour cela. Laissons donc les fantasmes là où ils sont, du moins pour l’instant.
Au demeurant, un autre spectre surgit avec ChatGPT, celui d’un potentiel bouleversement de l’enseignement, dans le droit comme ailleurs.
Peut-être avez-vous en effet pris connaissance des informations suivantes :
la réussite de ChatGPT à l’examen du barreau (États-Unis) [6] ;
l’engouement estudiantin pour cette, disons, "source d’inspiration" [7], comme d’autres ont pu l’avoir dans d’autres temps, notamment pour une certaine encyclopédie collaborative…
Du retour à l’"interro surprise" pour certains, à l’utilisation d’outils de contrôle pour d’autres [8] en passant par une autre manière d’enseigner et d’évaluer… Les contrepoids s’inventorient progressivement.
Il est possible que nous soyons un jour confronté(e)s au « syndrome de la calculatrice : son usage n’a pas nécessairement rendu les gens meilleurs en mathématiques. Elle est, pour des gens formés, un outil précieux qui augmente leurs capacités à aller plus loin. Mais elle a aussi fait disparaître les compétences de calcul mental chez une partie de la population. À un moment, la béquille devient prothèse ; elle remplace sans améliorer. Elle abaisse ce qu’elle était censée élever » [9]. Nous vous laissons évidemment libre de votre opinion sur les vices et vertus de l’IA sur l’enseignement.
Nous pouvons tenter de lutter, de nous arc-bouter contre ces transformations. Mais une chose semble certaine : l’IA facilite le travail de collecte de l’information et permet de rédiger plus vite. Que l’on soit encore en études ou non. Et réussir à dégager du temps pour réfléchir, à libérer cette fameuse "bande passante" pour être créatif(ve), n’est-ce pas là, en réalité, l’un des intérêts majeurs de la digitalisation ?
À la condition de ne pas se contenter de "cocher la case" des "livrables", l’occasion serait-elle trop belle pour se priver de la possibilité de (re)mettre la focale sur la construction de véritables réflexions et prises de position, sur la curiosité et l’importance de (ré-)apprendre à se poser les (bonnes) questions ?
Ce qui, en somme, fait la force dans notre milieu, de la compétence juridico-stratégique des professionnels du droit, augmentés ou non [10], dont on peut légitimement douter qu’elle soit, à court ou moyen terme, remplaçable ?
D’ailleurs, dans le même ordre d’idée, sans être trop "réac’ " : ChatGPT ne cite pas ses sources, ce qui reste un vrai sujet évidemment, en premier lieu au regard de la fiabilité de l’information délivrée… Mais ne serait-ce pas là, aussi, un autre terrain sur lequel l’expertise et la formation pourraient pleinement (re)prendre leur place ?
Quoi qu’il en soit, avec un usage massifié de l’IA dans nos quotidiens juridiques, les enjeux se déplacent. Avec une autre certitude : celle que d’autres garanties, particulièrement en termes de sécurité, de transparence, de contrôle et de responsabilités devront être apportées.
Discussions en cours :
Il y a trois jours j’ai surveillé le Galop d’essai de mes étudiants. un sujet est sur toutes les lèvres chat GPT j’avais déjà testé la version gratuite et j’ai été bluffé et cela a soulevé chez moi une certaine inquiétude mêlée d’une fascination me poussant à acquérir la version payante.
J’ai payé l’abonnement et me voilà devant cette cyber entité savante, chatgpt4
L’échange est tout aussi cordial qu’avec son prédécesseur chatGPT 3.5 la seule différence notable est la couleur du logo.
Je commence par échanger avec cette nouvelle entité des formules de politesse, mais mon objectif est clair, simple je veux ma réponse à cette simple question, dois-je craindre pour mon emploi de juriste fiscaliste aujourd’hui et si non es-tu susceptible de me remplacer demain ?
Je commence à lui poser des questions de droit sur le droit civil en général, je lui demande d’effectuer l’examen du galop d’essai de mes élèves, je lui pose des questions de plus en plus précises, je l’interroge sur le plan de mon sujet de thèse, je lui demande de développer les parties, je lui donne des faits et lui demande d’appliquer tel régime juridique, malgré ses réticences me disant que pour ce genre de question il est plus prudent de consulter un spécialiste, je le contrains à me dire ce qu’il sait, à se dévoiler, à me montrer que derrière ce simple changement de couleur de logo il se cache un monstre redoutable rendant obsolète le moindre de mes confrères généralistes et dont le successeur aura raison du reste des spécialistes.
Non !!! Non ce n’est pas un outil à destination des juristes, c’est un outil à destination de nos clients, de nos employeurs et accessible à tout Etre aussi simple d’esprit soit-il pouvant décemment expliquer ce qui lui est arrivé dans un français approximatif.
Je ne dors plus depuis 3 jours, il est urgent d’agir, il faut pas commencé à le réglementer il faut tout simple arrêter cette innovation de malheur il faut interdire son usage en droit, je vous le dis, je vous le crie.
Ce matin après une nuit de 2h j’en avais mare d’être angoissé, les vertueux effets apaisants de ma fatigue ont vites cessés, quand j’ai lu cette tribune cossignée par 1000 experts dont Elon Musk et le cofondateur d’apple qui pointent le risque que l’IA fait peser sur nos emplois. Ouvrez les yeux et réagissez, il faut se dépêcher, dépêchons nous avant qu’elle nous débauche !
Bonjour,
Sans offense, je pense qu’un bœuf aurait pu écrire le même commentaire, mutatis mutandis, lorsque l’on a inventé le tracteur. Malgré tout, le tracteur était-il une invention à proscrire au nom de l’intérêt supérieur des animaux de trait ? :)
Au fond, cette affaire de ChatGPT et plus généralement de l’AI fait renaitre les débats autour de la transition Schumpetérienne. Est-ce un fantasme néo-libéral ? Une invention est-elle toujours neutre à moyen long terme sur le nombre global d’emplois ? N’est-ce pas une illusion toute macronienne que d’imaginer que les gens n’ont qu’à se reconvertir et traverser la rue pour retrouver un emploi ? Je ne suis pas affirmatif.
Ce qui est certain, c’est qu’il va falloir s’adapter et utiliser ces outils d’AI plutôt que de tenter, complètement en vain (et de façon ridicule a posteriori), de vouloir stopper le progrès pour préserver son confort et ses revenus.
Cela étant, pour avoir testé l’outil, je le trouve pour l’instant étonnement médiocre en droit comparé à la plupart des autres domaines, notamment scientifique. A la rigueur, il est plus doué en rhétorique. Il pourrait aider à préparer des plaidoiries.
La raison, je pense, est qu’en dehors de Legifrance, qui ne comprend que de la législation et de la jurisprudence, les bases de données juridiques sont principalement privées.
L’outil serait redoutablement bon s’il avait un accès libre aux bases Dalloz, EFL, à toutes les revues juridiques et surtout, j’insiste sur le surtout, aux milliards de courriers et conclusions d’avocat qui dorment sur les disques durs des cabinets d’avocat. Mais il n’aura que difficilement à l’avenir accès à toutes ces précieuses sources.
Je pense donc que la progression dans ce domaine sera, somme toute, plus lente que dans d’autres où l’information est massivement disponible en opensource.
Peut être que les fiscalistes sont plus menacés du fait du caractère public du BOFIP.
Bien cordialement,
Merci pour cet éclairage sur les skills de notre ami ChatGPT. Dans notre test de l’outil côté étudiants en droit, nous voyons qu’il n’est pas à jour de pas mal de décisions de justice, et pas encore au point sur le plan de la réflexion. Sur ce dernier point, on a du mal à croire qu’il sera aussi puissant que 5 années d’apprentissage de raisonnement juridique enseigné à la fac.
Mais il s’avère diaboliquement efficace sur certains points (on cite les cas) et nul doute que bien utiliser, il permettra aux étudiants de prendre de l’avance sur les autres. L’article est ici pour ceux que ça intéresse : 14 façons d’utiliser ChatGPT en fac de droit https://www.pamplemousse-magazine.co/post/chatgpt-etudes-droit"
Article intéressant. Sur votre point côté étudiants, nul doute que ChatGPT sera utilisé par des milliers d’étudiants. Nous avons alerté sur les côtés négatifs (raisonnement juridique, prise de décision...) mais il faut avouer que l’on devra tout de même adapter nos pratiques pour profiter des attributs de cette révolution (comme à chaque innovation).
Nous avons listé sur notre site d’ailleurs 14 manières d’utiliser ChatGPT quand on est étudiant en droit. Sur certains points, l’outil nous amène aujourd’hui dans le mur (la future version saura probablement être meilleure). Sur d’autres, l’intelligence artificielle se révèle diaboliquement efficace. Je ne sais pas si l’on peut mettre un lien vers cet article, sinon je laisse le Village nous le dire <3 :) https://www.pamplemousse-magazine.co/post/chatgpt-etudes-droit
Voyons l’IA comme une aide et non une menace ! Elle arrivera quoiqu’il arrive...
Bonjour,
J’étudie et je publie sur les (soi disant) IA juridiques depuis 2017.
Si je peux me permettre, vous allez un peu vite en besogne.
ChatGPT, « un vulgarisateur du droit » ? Ce chatbot ne raisonne aucunement. Si on reste et teste et évalue, on se rend compte que le taux d’erreur de ChatGPT (et leur profondeur) est effrayant :
https://mobile.twitter.com/precisement/status/1611305632556257284
https://mobile.twitter.com/JeanMassiet/status/1611372539388862465
ChatGPT a réussi le barreau américain ? Non, GPT-3.5 (et non ChatGPT), dûment entraîné, n’a réussi, au bout d’une centaine d’essais que 2 matières sur 7 de la partie QCM de droit fédéral. C’est un QCM, pas une dissertation ni un cas pratique https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4314839
ChatGPT ne cite pas ses sources ? Oui, mais en revanche Perplexity.ai les cite (il a beau faire du copier-coller, il fait encore beaucoup d’erreurs — un peu moins que ChatGPT).
Les versions commerciales de GPT-4 (c’est lui qui comptera, il sort en 2023) — et peut-être LaMDA de Google https://www.journaldunet.fr/web-tech/guide-de-l-intelligence-artificielle/1513013-google-lamda/ ) — devraient avoir pour premières utilisations la synthèse de documents juridiques et la production de clauses. C’est en tout cas ce que fait déjà Lexion en droit américain, à partir de GPT-3.
Pourra-t-on aller plus loin ? Certains disent que oui, d’autres qu’ ”éduquer" suffisamment correctement ces IA génératives est intrinsèquement impossible. Microsoft voit, selon le Financial Times, ChatGPT d’abord comme une interface de dialogue homme-ordinateur, pour remplacer clavier souris et les commandes vocales primaires de Dragon Naturally Speaking.
Pour en savoir plus : https://www.precisement.org/blog/Intelligence-artificielle-en-droit-derriere-la-hype-la-realite.html (article synthétisé au JCP G en 2019 et mis à jour depuis sur cette URL)