Village de la Justice : Pouvez-vous nous préciser les circonstances qui ont rendu nécessaire cette uniformisation des règles de communication ?
Dominique de Ginestet : La déontologie, qui est l’ensemble des règles et des devoirs qui régissent la profession, la conduite de ceux qui l’exercent, les rapports entre ceux-ci, leurs clients et le public, n’est pas édictée dans l’intérêt des avocats mais dans l’intérêt des clients actuels ou prospects. Les règles relatives à la communication de l’avocat, parce qu’il n’est pas un marchand du droit ordinaire relève de la déontologie. Ces règles ne sont pas destinées à être figées, ni à se transformer en dogme, mais à suivre l’évolution du marché du droit tout en respectant ses objectifs : le premier est la parfaite et sincère information du client, chaland ou prospect. Le deuxième est le développement de l’activité des avocats dans les domaines du droit de plus en plus concurrentiels.
La rédaction actuelle de l’article 10 du RIN, laquelle prévoit des règles différentes, en matière, d’une part, de publicité personnelle (article 10.3) et, d’autre part, d’information professionnelle (article 10.6) en fonction des supports utilisés, n’est plus adaptée. Les supports de communication se multiplient et même si les règles applicables n’ont pas été remises en cause par la Cour de cassation, le Conseil d’État ou l’Autorité de la concurrence, une réforme était nécessaire.
Il n’est en effet plus compréhensible, tant pour les avocats que pour le consommateur, que certaines mentions, comme celles relatives au domaine d’activité soient autorisées sur le site internet du cabinet, sur un affichage dans la salle d’attente, sur Facebook, mais pourquoi pas aussi sur d’autres médias dans le cadre de campagne publicitaire de l’avocat ( journaux, affichage, etc..), alors qu’elle est interdite sur le papier à entête de l’avocat, ou sur la façade vitrée ou non de son cabinet, sur sa plaque.
Les règles régissant la communication doivent permettre son efficacité et être claires et simples. Les règles limitatives qui régissent ce support de communication ne paraissent plus adaptées aujourd’hui à notre exercice professionnel, compte tenu de l’évolution du contexte sociétal et économique dans lequel les avocats sont amenés à intervenir. L’interdiction d’y faire figurer les domaines d’activités des avocats est vécue comme un frein à la communication des avocats, et comme un obstacle aux possibilités de développement de leurs cabinets selon des concepts innovants, plus modernes et/ou ciblés sur une clientèle particulière. À l’heure où la profession d’avocat est de plus en plus concurrencée par des tiers, qui mettent à profit tous les supports de communication existants, les règles qui leur sont applicables pénalisent les avocats.
Dès lors qu’elle correspond à une information exacte (l’activité est effectivement pratiquée au sein du cabinet qui l’affiche), la démarche qui consiste pour un avocat à afficher sur la façade de son cabinet ses domaines d’activités, est non seulement de nature à promouvoir le cabinet, mais s’inscrit également dans un souci de simplicité d’accès au droit. Il n’est plus concevable d’interdire à un avocat d’afficher ses domaines d’activités sur sa façade vitrée ou non, alors qu’il peut parfaitement le faire sur un panneau publicitaire installé juste devant celle-ci. On ne peut plus distinguer la vitrine physique d’un cabinet d’avocat et sa vitrine sur Internet, pour affirmer que certaines mentions ne pourraient pas figurer sur l’une, mais le pourraient sur l’autre. Cette prohibition ne paraît pas non plus justifiée au regard de nos règles déontologiques, puisque la publicité est très encadrée par le RIN et que, plus généralement, les principes essentiels de la profession permettent de réguler la communication des avocats.
En outre, certains conseils de l’Ordre ont déjà validé, sous des réserves diverses, l’affichage de mentions de domaines d’activités sur des vitrines, ce qui ne va pas sans poser difficultés au regard du principe d’égalité des avocats et impose une harmonisation claire des règles qui régissent la profession. C’est pourquoi la commission des règles et usages a engagé dès le début de la mandature une réflexion pour une uniformisation des règles de communication quel que soit le support utilisé et que la modification en ce sens du RIN fut adoptée par l’AG du CNB du 3 avril 2020 et va donner lieu à une publication du Journal Officiel [1]. Désormais, la distinction la publicité personnelle et l’information professionnelle n’existe plus et les règles régissant la communication des avocats sont les mêmes, quel que soit le support utilisé.
VJ : Quelles sont les conséquences concrètes des modifications de l’article 10 du RIN pour les avocats ?
DDG : L’article 10 du RIN régit les règles de communication des avocats. Dans sa rédaction actuelle, l’article 10.1 du RIN distingue l’information professionnelle de la publicité personnelle de l’avocat, de la façon suivante :
« La communication de l’avocat s’entend de sa publicité personnelle et de son information professionnelle.
La publicité personnelle s’entend de toute forme de communication destinée à promouvoir les services de l’avocat.
L’information professionnelle s’entend des dénominations, des plaques, des cartes de visite et de tout document destiné à la correspondance. »
L’information professionnelle renvoie à un critère d’objectivité : le nom, la localisation, l’adresse, la spécialisation sanctionnée par le certificat délivré par le CNB. La publicité, si elle doit être loyale et sincère, comporte forcément un caractère laudatif, étant destinée à la promotion de l’avocat à l’endroit du public. Ainsi, la mention des domaines d’activité de l’avocat non titulaire du certificat de spécialité correspondant, relève de la publicité. Le site Internet du cabinet d’avocat relève de la publicité personnelle (article 10.5 du RIN).
En revanche, les mentions figurant sur la façade (vitrée ou non) d’un immeuble furent considérées comme relevant de l’information professionnelle de l’avocat, et non de la publicité [2]. Cette position n’a pas été remise en question par l’arrêt du Conseil d’État du 3 octobre 2018. Ainsi, la possibilité de mentionner les domaines d’activités juridique ou judiciaire réellement pratiqués, mais qui ne correspondent pas à des certificats de spécialisations régulièrement obtenus, dépend du support de communication.
La réforme de l’article 10 du RIN adoptée par le CNB supprime la distinction entre la publicité personnelle et l’information professionnelle. Les règles régissant la communication des avocats sont désormais les mêmes, quel que soit le support utilisé. Désormais l’avocat pourra communiquer sur son ou ses domaines d’activité quel que soit le support. Il n’en demeure pas moins que l’information doit être sincère et doit garantir la parfaite information du consommateur. Il ne s’agit pas d’autoriser un avocat à revendiquer un domaine d’activité qui n’est pas le sien, ou de faire croire à un chaland que derrière une façade il trouvera un avocat exerçant dans ce domaine d’activité alors que ce n’est pas le cas, et que celui-ci exerce en réalité à 800 km et/ou dans une autre structure.
L’avocat peut ainsi, quel que soit le support, faire mention :
- De sa ou ses spécialisations ainsi que de sa ou ses qualifications spécifiques régulièrement obtenues et non invalidées ;
- De ses domaines d’activités dominantes dans la limite de trois ;
- Des missions visées à l’article 6 du présent règlement qui peuvent lui être confiées. Lorsqu’il agit dans le strict cadre d’une telle mission, il doit l’indiquer expressément.
L’avocat doit bien entendu, dans toute communication, veiller au respect des principes essentiels de la profession. Lorsqu’il communique sur la nature des prestations de services proposées, il doit procurer une information sincère. Demeurent prohibées :
- Toute publicité mensongère ou trompeuse ;
- Toute mention comparative ou dénigrante ;
- Toute mention susceptible de créer dans l’esprit du public l’apparence d’une structure d’exercice
- Toute référence à des fonctions ou activités sans lien avec l’exercice de la profession d’avocat ainsi que toute référence à des fonctions juridictionnelles.
Rappelons enfin que la communication de l’avocat, dont la sollicitation personnalisée, doit faire état de sa qualité et permettre, quel que soit le support utilisé, de l’identifier, de le localiser, de le joindre, de connaître le barreau auquel il est inscrit, la structure d’exercice à laquelle il appartient et, le cas échéant, le réseau dont il est membre.
VJ : Les dispositions relatives à la mention des spécialisations et aux domaines d’activités dominantes (dont le nombre revendiqué ne peut être supérieur à trois) ont également été retouchées. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Quel est l’impact de ces modifications sur la publicité faite par les cabinets eux-mêmes ?
DDG : L’information relative aux spécialisations, aux qualifications spécifiques, aux domaines d’activités dominantes et/ou aux missions visées à l’article 6 du RIN, quel que soit le support, doit correspondre à l’avocat personne physique membre de la structure. L’avocat qui communique sur ses spécialisations, ses qualifications spécifiques, et/ou domaines d’activités dominantes et/ou missions visées à l’article 6, ou modifie substantiellement cette communication, quel que soit le support, doit transmettre les termes de cette communication sans délai au conseil de l’Ordre.
Concernant la communication sur les mentions de spécialisation : seul l’avocat titulaire d’un ou de plusieurs certificats de spécialisation, véritable expert en la matière concernée, ainsi que de sa ou ses qualifications spécifiques, régulièrement obtenus et non invalidés peut utiliser pour sa communication, quel qu’en soit le support, les mots « spécialiste », « spécialisé », « spécialité » ou « spécialisation » et le signe distinctif instauré par le Conseil national des barreaux pour symboliser la qualité d’avocat spécialiste.
L’information sur les qualifications spécifiques faisaient partie de la publicité personnelle et donc limitée à certains supports, ce qui n’était pas justifié. Cette règle était même contraire à la politique de développement des spécialisations voulue par le CNB. En effet, on ne voit pas de raison de réserver un sort distinct à la spécialisation d’une part et à la qualification spécifique d’autre part, sachant que cette dernière est validée à la fois :
- dans son contenu et dans sa réalité d’exercice, par l’obtention du certificat de spécialisation correspondant à l’issue de l’entretien de validation des compétences professionnelles du candidat,
- ainsi que dans sa formulation, puisqu’elle a été admise sur la liste du CNB.
En outre, on ne voit pas bien l’intérêt pour un avocat de solliciter le bénéfice d’une qualification spécifique, sanctionnée par un examen plus pointu que pour une simple spécialisation, s’il ne peut pas en faire état en même temps que cette dernière sur l’ensemble de ses supports de communication.
Par conséquent, désormais, les qualifications spécifiques peuvent figurer dans toute communication, quel que soit le support utilisé, au même titre que les spécialisations (article 10.2 nouveau), y compris dans les annuaires (article 10.4 nouveau relatif aux annuaires).
Concernant la communication sur les activités dominantes : la bonne information du consommateur doit être garantie, par une communication sincère sous le contrôle des Ordres. Le domaine d’activité sur lequel il est communiqué doit correspondre à une pratique habituelle et effective de l’avocat qui le revendique et non pas de la structure ou du réseau auquel il appartient.
Contrairement aux spécialisations, il n’existe pas de critères objectifs d’appréciation harmonisés au niveau national (diplômes, années d’expérience…) permettant de garantir au public un bon niveau de compétence et d’expérience des avocats dans les domaines d’activités mentionnés sur leur communication. L’appréciation des qualifications ou de l’expérience nécessaires pour garantir des prestations de qualité dans les domaines d’activités mentionnés sur les communications, et ainsi garantir une information sincère sur les domaines d’activités mentionnés, nécessitait que soient définis des critères. La pratique habituelle et effective de l’avocat dans le ou les domaines d’activité permet d’identifier celui ou ceux dans lesquels l’avocat traite le plus grand nombre de dossiers et qui correspond à son activité dominante, dans la limite de trois, correspond à cet objectif :
- Un ou des domaines d’activité dominante correspondant à pratique habituelle et effective de l’avocat et non de la structure au sein de laquelle il exerce ou du réseau auquel il appartient ;
- Leur communication limitée à 3.
Ainsi, dans une structure de trois avocats chacun pourra communiquer sur ses trois domaines d’activité dominante, ce qui est réaliste.
VJ : La Commission a-t-elle des préconisations spécifiques en ce qui concerne la publicité et les sollicitations personnalisées pour aider les avocats, en termes de gestion de clientèle, dans le contexte actuel de crise sanitaire ?
DDG : La sollicitation personnalisée, qui est un mode de publicité personnelle, s’entend de toute forme de communication directe ou indirecte, dépassant la simple information, destinée à promouvoir les services d’un avocat à l’attention d’une personne physique ou morale déterminée.
Régie par l’article 10.3 du RIN, elle prend la forme d’un message exclusif de toute démarche physique ou téléphonique. Sont exclus les messages textuels envoyés sur un terminal téléphonique mobile. Il est interdit à l’avocat d’utiliser les services d’un tiers dans le but de contourner ces interdictions. La sollicitation personnalisée précise les modalités de détermination du coût de la prestation laquelle fera l’objet d’une convention d’honoraires.
Dans le contexte actuel de la crise sanitaire, l’avocat continue, dans le respect des principes essentiels de la profession, à promouvoir ses services par courriel, plaquette numérique ou même par voie postale. L’avocat peut ainsi adresser à ses clients ou prospects, des offres de services pour leur permettre de répondre à leurs interrogations et montrer ainsi, tant le dynamisme de son cabinet, que sa faculté de réaction.
Par ailleurs, les outils numériques personnels ou institutionnels permettent à l’avocat assurer sa communication en période de crise sanitaire et de faire savoir à ses clients, mais aussi à tous les consommateurs du droit, les services qu’il propose notamment durant la période de crise sanitaire, dont le plan de continuité d’activité qu’il a pu mettre en place au sein de son cabinet pour assurer le service auprès des clients.
Cette période peut aussi être l’occasion être un moyen de développer son offre sur internet via la plateforme Avocat.fr du CNB. Depuis le début du confinement le nombres d’avocats inscrits sur la plateforme a augmenté de plus de 700. Droit du travail, de la famille ou mesures économiques : les particuliers et les professionnels sont nombreux à se poser des questions. Les avocats peuvent leur répondre en faisant valoir leurs expertises et ainsi développer leur activité. La plateforme Avocat.fr du CNB est incontestablement un outil de promotion et de développement de l’activité des avocats.
« Conclusion : L’intérêt général de la profession d’avocat, dont l’expression est confiée au CNB, le respect des principes essentiels de la profession et des exigences déontologiques, et enfin le respect des règles relatives à la publicité permettent que le CNB, au titre de sa mission d’harmonisation des règles et usages de la profession avec les lois et décrets en vigueur, précise les conditions selon lesquelles un avocat peut communiquer sur ses spécialisations, ses qualifications spécifiques et ses domaines d’activités.
La nouvelle rédaction de l’article 10 du RIN qui a été adoptée vise, dans le respect de la liberté de communication des avocats, à assurer :
- Le développement de l’attractivité de l’avocat ;
- Un contrôle plus efficace par les Ordres ;
- Une bonne information du consommateur en le protégeant de tout risque de confusion. »