Découvrir / Tourisme) : Balade en terres corréziennes : entre noix, château et chat perché…
Tout commence à Brive-la-Gaillarde, ville qui a l’âme gaillarde mais le charme discret. On y flâne comme on ouvrirait un bon roman, à la recherche d’un chapitre caché dans les ruelles pavées. Le marché de Brive ? Un poème à ciel ouvert. On y trouve de tout, surtout des sourires et de la bienveillance. Les fromages locaux y fricotent avec les charcuteries, les truffes s’y font rares mais arrogantes, et les producteurs parlent aux clients comme à de vieux amis.
Mais avant de succomber aux plaisirs du marché, une halte s’impose à la Liquoristerie Denoix, véritable temple de l’élixir noixien. Fondée en 1839, elle résiste vaillamment aux diktats du mojito et du spritz. Là-bas, on murmure à l’oreille des alambics. On y croise l’Armagnac dans les couloirs et le vin de noix (AOC Noix du Périgord) dans les verres, avec l’élégance d’un gentleman-farmer.
- Les Pans de Travassac © Photo JLRF
L’ancienne salle des coffres d’une banque toute proche ne renferme plus de lingots, mais des trésors bien plus fondants. Dans cet écrin atypique, Éric Lamy, roi chocolatier et amoureux du cacao, a transformé une ancienne banque en une chocolaterie d’exception. Derrière les vitres du laboratoire, visible comme une scène ouverte, les fèves venues du monde entier livrent leurs arômes sous les gestes précis du maître torréfacteur. Une adresse où l’on vient autant pour savourer que pour admirer le spectacle du goût en train de naître.
À un souffle de route, la Corderie Palus, dont le nom évoque à la fois un domaine viticole et un personnage de roman gothique, nous propose une parenthèse bucolique, le genre de lieu où l’on rêve secrètement de se réincarner en chat d’atelier pour siroter la lumière entre deux bobines de corde. Répartie sur quatre sites, la Corderie, créée en 1908, entreprise du patrimoine vivant, s’étend sur 10 000 m² de bâtiments couverts, mêlant héritage et activité. Parmi eux, la spectaculaire corderie de long, édifice emblématique, impressionne par ses dimensions : 280 mètres de long pour 16 mètres de large, nous indique Stéphane Assolari son directeur. La corderie répond à tous les usages : agricoles, sportifs, décoratifs… Longes pour les veaux, cordes pour les gymnases, ameublement, accessoires de tapisseries… ficelles et cordages.
Et puis, cap sur Saint-Robert, un village qui semble avoir été inventé un dimanche après-midi par un dieu amoureux de la pierre blonde et des hortensias bien élevés. Ici, chaque fenêtre raconte une histoire, chaque pas fait crisser le passé sous la semelle. Si la France avait une carte postale officielle, elle serait probablement photographiée depuis le clocher du XIIe siècle de Saint-Robert, par temps clair, avec un chat qui dort sur la place. Ses ruelles pavées, ses maisons de grès ocre et ses toits d’ardoise tissent un décor d’une harmonie parfaite. Loin de toute ostentation, le charme opère dans le détail : un linteau sculpté, un rosier ancien, une échappée vers les prés dorés. C’est ici que l’on comprend que le luxe véritable réside dans le silence, dans la lumière d’une fin d’après-midi, dans le sourire du boulanger du village qui cuit son pain à l’ancienne dans un four à bois. On comprend pourquoi tant de peintres et d’écrivains s’y sont arrêtés et pourquoi il est classé parmi les Plus Beaux Villages de France.
À quelques virages de là, surgissent les Jardins de Colette, hommage grandeur nature à l’écrivaine qui, entre deux bons mots, savait reconnaître un bon haricot vert. Le lieu est à la fois labyrinthique et lumineux, parfait pour perdre un enfant une minute ou deux, juste assez pour goûter à cette liberté d’enfance que l’on croyait perdue dans les embouteillages du quotidien. Un mini tour de France des arbres et des fleurs, à travers 6 régions où vécut l’autrice de « Claudine à l’école ».
Mais si la terre corrézienne est douce, elle a aussi ses muscles. Direction les Pans de Travassac, vertigineuses entailles d’ardoise où les hommes grimpent à la verticale comme des chats philosophes. On y extrait depuis des siècles ce que le ciel refuse de donner : une pierre aussi bleue que les colères d’un ciel d’orage.
- Le château d’Hautefort © Photo JLRF
Impossible de passer sous silence un autre trésor de la région : les Vins des coteaux de la Vézère. Cet ancien vignoble renaît grâce à une poignée de passionnés qui, depuis 2003, y cultivent chenin, merlot et autres cépages nobles sur un terroir de schistes. Le chai, installé en 2007, produit désormais des blancs, rouges et rosés labellisés « IGP Pays de Brive » et « AOC Corrèze ». Jadis prisés par les moines de Cluny, ces vins corréziens conjuguent tradition, élégance et originalité.
Et puisque tout bon conte se doit de finir dans les tours d’un château, le pays briviste ne déroge pas à la règle et en déroule entre autres, deux, majestueux, comme une révérence finale.
Le premier, le château de Hautefort, semble tout droit sorti d’un rêve de scénographe. Perché sur un éperon rocheux, il domine les vallées comme un roi bienveillant ses terres. Son élégante silhouette classique, toute en symétrie et en équilibre, contraste avec son passé médiéval. D’abord forteresse austère au XIe siècle, il devient au XVIIe une demeure de plaisance sous l’impulsion du marquis Jacques-François de Hautefort, ami de jeunesse de Louis XIII. Il y a du Versailles dans ses jardins à la française, dessinés au cordeau, et un soupçon de « Game of Thrones » dans les remparts qui ont tout vu, guerres, passions, incendies et résurrections. En 1968, le château est ravagé par les flammes, mais renaît grâce à l’obstination de la baronne de Bastard, qui y consacra sa vie.
À Brive, blotti dans un écrin de verdure, le château de Castel Novel joue la carte de la discrète intensité. Mi-château fort, mi-demeure romantique, il semble hésiter entre deux siècles comme on hésite entre deux vies. Ancien relais défensif du Moyen Âge, il fut profondément remanié au XIXe siècle, époque où l’on aimait donner aux pierres une âme et aux tourelles des élans de poésie.
Mais ce qui fait battre le cœur de Castel Novel, c’est Colette. L’écrivaine devenue baronne y séjourna régulièrement aux côtés de son mari Henri de Jouvenel, propriétaire des lieux, elle y écrivit en particulier « Le Blé en Herbe ».
Entre deux escapades dans les bois et quelques lignes griffonnées au petit matin, elle y laissa une trace sensible, presque palpable, comme si en tendant l’oreille, on pouvait encore entendre le froissement de sa plume dans les couloirs. De nos jours, Castel Novel ne se visite pas seulement : il se vit. Transformé en hôtel de charme, le château accueille les épicuriens dans un cadre raffiné où l’Histoire veille discrètement sur chaque détail. Moulures anciennes, parquets cirés, tapisseries feutrées : le confort moderne s’y marie à l’élégance surannée d’antan. Dans le parc, centenaire et ombragé, dont une partie à fait place aux Jardins de Colette décrit ci-dessus, il fait bon flâner avant de prendre place à une table de la terrasse du restaurant. Le chef y propose une cuisine de terroir revisitée, célébrant les produits locaux, foie gras, cèpes, couronne de truite, avec justesse et créativité. Loin du tumulte, Castel Novel offre une escale à la fois noble et intime, comme un chapitre suspendu entre nature et mémoire.
Corrèze, donc. Une terre où l’on boit la vie en digestif, où les pierres parlent bas et les villages chantent fort. Une ode à la lenteur joyeuse, à la beauté simple. Bref, un coin de France qui ne cherche pas à briller, mais qui vous reste en tête comme une bonne chanson entendue par hasard un soir d’été. Et on se dit qu’on reviendra. Rien que pour goûter, encore une fois, cette fameuse liqueur de noix.
- Le château de Castel Novel décoré de ses pots de pétunias © Photo JLRF
Informations : https://www.brive-tourisme.com/fr
Château d’Hautefort : https://chateau-hautefort.com
Photo en logo : Vue aérienne du village de Saint-Robert © Corrèze Tourisme MGV Drone