Par Alicia Renard, Juriste.
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  • 1re Parution: 2 janvier 2023

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L’enregistrement et la diffusion des procès.

En France, par principe toute captation ou enregistrement sonore ou audiovisuel d’un procès est interdit, et ce depuis 1954.
Mais des motifs pédagogiques ou historiques peuvent justifier l’enregistrement et la diffusion de procès...

L’interdiction générale d’enregistrement des procès.

En France, toute captation ou enregistrement sonore ou audiovisuel d’un procès est interdit, et ce depuis 1954, à la suite des bousculades et nombreux flashs intempestifs au procès Dominici.

C’est l’article 38 Ter de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse qui instaure cette interdiction générale :
- « Dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdit. Le président fait procéder à la saisie de tout appareil et du support de la parole ou de l’image utilisés en violation de cette interdiction.
(…)
- Est interdite, sous les mêmes peines, la cession ou la publication, de quelque manière et par quelque moyen que ce soit, de tout enregistrement ou document obtenu en violation des dispositions du présent article
 ».

Le non-respect de cette disposition constitue un délit puni de 2 mois d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende. Le Tribunal peut également prononcer la confiscation du matériel.

Récemment saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire sur la constitutionnalité de cette interdiction, le Conseil constitutionnel a décidé que l’atteinte portée à l’exercice de la liberté d’expression et de communication était adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis (garantir la sérénité des débats et prévenir les atteintes que la diffusion des images ou des enregistrements issus des audiences pourrait porter au droit au respect de la vie privée des parties au procès et des personnes participant aux débats, à la sécurité des acteurs judiciaires et, en matière pénale, à la présomption d’innocence de la personne poursuivie) [1].

Pour la petite histoire, le Conseil Constitutionnel n’est pas concerné par cette interdiction de diffusion (seules les juridictions des ordres judiciaire et administratif le sont), et les débats concernant cette QPC ont été enregistrés et diffusés sur le site internet du Conseil Constitutionnel.

Il existe une disposition spécifique au procès d’assises : c’est l’article 308 du Code de procédure pénale qui prévoit que

« dès l’ouverture de l’audience, l’emploi de tout appareil d’enregistrement ou de diffusion sonore, de caméra de télévision ou de cinéma, d’appareils photographiques est interdit sous peine de 18 000 euros d’amende ».

En principe, les seules images possibles de l’intérieur des tribunaux, pendant les procès, sont celles des dessinateurs de presse judiciaire. Des autorisations d’enregistrement et de diffusion peuvent toutefois être accordées...

Les exceptions qui permettent l’enregistrement de certains procès.

Plusieurs exceptions à l’interdiction d’enregistrement des procès sont prévues :
- L’article L111-12 du Code de l’organisation judiciaire permet la diffusion en circuit fermé des débats, lorsque ceux-ci sont retransmis dans une autre salle que la salle d’audience : le lieu de la diffusion n’est ici qu’une extension de la salle d’audience à proprement parler et tout enregistrement est exclu.
- L’article 308 du Code de procédure pénale prévoit l’enregistrement des débats pour permettre l’accès aux propos tenus en cas de révision du procès.
- L’article 38 Ter de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse prévoit que le président peut autoriser des prises de vues quand les débats ne sont pas commencés, sur demande présentée avant l’audience, et à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent.
- L’article 38 Quater de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse issu d’une loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire autorise l’enregistrement sonore ou visuel d’une audience et sa diffusion pour un motif d’intérêt public d’ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique.

La demande d’autorisation d’enregistrement et de diffusion doit être adressée au ministre de la justice. L’autorisation est délivrée, après avis du ministre de la Justice, par le premier président de la Cour d’appel concernant les audiences de la Cour d’appel et des juridictions de l’ordre judiciaire de son ressort.

Lorsque l’audience n’est pas publique, l’enregistrement est subordonné à l’accord préalable et écrit des parties au litige. Lorsqu’un majeur bénéficiant d’une mesure de protection juridique est partie à l’audience, qu’elle soit publique ou non, l’enregistrement est subordonné à l’accord préalable du majeur apte à exprimer sa volonté ou, à défaut, de la personne chargée de la mesure de protection juridique.

Lorsqu’un mineur est partie à l’audience, qu’elle soit publique ou non, l’enregistrement est subordonné à l’accord préalable du mineur capable de discernement ainsi qu’à celui de ses représentants légaux ou, le cas échéant, de l’administrateur ad hoc désigné.

Le magistrat chargé de la police de l’audience peut, à tout moment, suspendre ou arrêter l’enregistrement. Cette décision constitue une mesure d’administration judiciaire qui n’est pas susceptible de recours.

Les audiences intervenant au cours d’une enquête ou d’une instruction ainsi que les auditions, interrogatoires et confrontations réalisés par le juge d’instruction peuvent également faire l’objet d’un enregistrement.

- L’article 1er de la loi du 11 juillet 1985 tendant à la constitution d’archives audiovisuelles de la justice, dite loi Badinter, codifié à l’article L221-1 du Code du patrimoine depuis 2004 autorise l’enregistrement audiovisuel ou sonore des audiences publiques devant les juridictions de l’ordre administratif ou judiciaire « lorsque cet enregistrement présente un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice ». Le régime de l’enregistrement et de sa diffusion est fixé par les articles L221-1 et suivants et R221-1 et suivants du Code du patrimoine.

En matière de constitution des archives de la Justice, pour les procès qui se tiennent devant la Cour d’appel ou toute autre juridiction de son ressort, c’est le premier président de la Cour d’appel qui est compétent pour décider de l’enregistrement de l’audience. Il peut se saisir d’office, ou être saisi par requête d’une partie ou du Ministère public au plus tard 8 jours avant l’ouverture du procès.

L’autorité compétente statue par une décision motivée, qui est notifiée sans délai aux parties ou à leurs représentants, au président de l’audience et au Ministère public. Lorsque la décision prescrit l’enregistrement de l’audience, elle est communiquée en outre au Garde des Sceaux, ministre de la Justice.

L’enregistrement est de droit s’il est demandé par le Ministère public en cas de procès pour crime contre l’humanité ou pour actes de terrorisme.

Dans les autres cas, les parties peuvent contester la décision d’enregistrer ou de ne pas enregistrer une audience, dans les huit jours de sa notification. Ce recours en annulation n’a pas d’effet suspensif, et est porté devant la Cour de cassation lorsque l’enregistrement concerne un procès judiciaire, par simple déclaration au secrétariat-greffe de cette Cour. Le recours est examiné par la chambre de la Cour de cassation compétente à raison de la nature du procès.

L’enregistrement est réalisé à partir de points fixes.

La diffusion des enregistrements de procès.

En l’état du droit, les procès ne peuvent pas être retransmis en direct à la télévision ou à la radio.

Intérêt pédagogique, informatif, culturel ou scientifique.

La diffusion, intégrale ou partielle, de l’enregistrement n’est possible qu’après que l’affaire a été définitivement jugée.

La diffusion doit être réalisée dans des conditions ne portant atteinte ni à la sécurité, ni au respect de la vie privée des personnes enregistrées, ni au respect de la présomption d’innocence. Cette diffusion est accompagnée d’éléments de description de l’audience et d’explications pédagogiques et accessibles sur le fonctionnement de la Justice.

L’image et les autres éléments d’identification des personnes enregistrées ne peuvent être diffusés qu’avec leur consentement donné par écrit avant la tenue de l’audience.

Les personnes enregistrées peuvent rétracter ce consentement dans un délai de quinze jours à compter de la fin de l’audience. L’image et les autres éléments d’identification des mineurs ou des majeurs bénéficiant d’une mesure de protection juridique ne peuvent en aucun cas être diffusés.

Aucun élément d’identification des personnes enregistrées ne peut être diffusé cinq ans après la première diffusion de l’enregistrement ou dix ans après l’autorisation d’enregistrement.

Le fait de diffuser un enregistrement réalisé à des fins pédagogiques, informatives, culturelles ou scientifiques sans respecter les conditions de diffusion constitue un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.

Les audiences publiques devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation peuvent quant à elle être diffusées le jour même, sur décision spéciale.

Archives historiques de la justice.

La reproduction ou la diffusion (intégrale ou partielle) de l’enregistrement audiovisuel ou sonore effectué à des fins d’archives historiques est subordonnée à une autorisation accordée par le président du Tribunal judiciaire de Paris ou par le juge qu’il délègue à cet effet, dès que l’instance a pris fin par une décision devenue définitive.

Après 50 ans, la reproduction et la diffusion des enregistrements audiovisuels ou sonores sont libres.

Exemples de grands procès filmés pour l’histoire.

Dans un premier temps, la loi de 1985 relative à la constitution des archives audiovisuelles de la justice a essentiellement été utilisée pour l’enregistrement de procès pour crimes contre l’humanité ou crimes de guerre : ce fut le cas pour le procès du criminel nazi Klaus Barbie devant la Cour d’assises du Rhône en 1987, de l’ancien chef du service de renseignement collaborationniste du régime de Vichy Paul Touvier en 1994, du fonctionnaire ayant participé à la déportation de juifs dans la région bordelaise Maurice Papon en 1997-1998, pour le procès dit des disparus de Pinochet en 2010 lors duquel 14 chiliens, pour la plupart militaires durant la dictature du général Pinochet, étaient poursuivis pour des faits de tortures et de disparitions forcées, ainsi que pour le procès en 2014 de Pascal Simbikangwa, poursuivi pour crimes de génocides au Rwanda.

Le procès dit du sang contaminé a aussi donné lieu à un enregistrement sonore en première instance, en 1992, et en appel, l’année suivante.

Le procès de l’affaire AZF a aussi donné lieu à enregistrement en première instance en 2009, sur décision du premier président de la Cour d’appel de Toulouse, confirmée par la Cour de cassation [2]. Le procès d’appel qui s’est tenu en 2011/2012 a également été filmé.

Plus récemment, ce sont les procès liés au terrorisme islamiste qui ont posé la question de leur enregistrement.

Le premier président de la Cour d’appel de Paris avait refusé l’enregistrement visuel et/ou sonore du procès Merah, qui s’est tenu devant la Cour d’assises spéciale de Paris à partir du mois d’octobre 2017. La Cour de cassation avait approuvé cette décision [3].

Cependant, par la suite, tous les grands procès terroristes ont donné lieu à un enregistrement au titre des archives historiques de la justice :
- Procès des attentats de janvier 2015 (Charlie Hebdo et HyperCacher), 1ère instance de septembre à décembre 2020 et appel entre septembre et octobre 2022 ;
- Procès des attentats du 13 novembre 2015, qui s’est tenu de septembre 2021 à juin 2022 ;
- Procès de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, qui s’est tenu de septembre à décembre 2022.

Alicia Renard
Juriste - Cabinet d’Avocats 222
https://cabinet222-avocat.com

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Notes de l'article:

[1CC 6 décembre 2019, QPC n°2019-817.

[2Crim., 17 février 2009, n°09-80558.

[3Crim., 29 septembre 2017, n°17-85774.

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