Le Conseil d’État vient de rendre un arrêt le 24 juillet 2024 qui entraîne beaucoup de conséquences désastreuses pour les droits de la défense.
En effet, le Juge du Palais Royal vient d’annuler l’article 10 de ce décret à la suite de deux recours déposés par deux syndicats de magistrats.
La premier recours a été introduit le 2 juin 2022 sous le numéro 464641 par l’Union syndicales des magistrats (USM) qui demandait l’annulation pour excès de pouvoir des articles 2, 3, 5, 6, 7 et 10 du décret du 13 avril 2022.
Le deuxième recours a été formé le 9 juin 2022 sous le numéro 464848 par l’Association française des magistrats instructeurs qui demandait uniquement l’annulation de l’article 10 du décret litigieux.
Ces deux recours ont été joints.
Pour rappel, le décret n° 2022-546 du 13 avril 2022 portant application de diverses dispositions de procédure pénale de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a été publié au Journal Officiel du jeudi 14 avril 2022. Parmi les dispositions décrétales figuraient celles novatrices sur les modalités selon lesquelles les avocats avaient accès aux dossiers des procédures pénales. Ces dispositions étaient en vigueur depuis le vendredi 15 avril 2022.
Pour rappel cet article 10 du décret du 13 avril 2022, querellé par les deux syndicats de magistrats, avait permuté le chapitre III du livre XII qui était devenu un chapitre IV intitulé « De l’accès des avocats au dossier de la procédure ».
Il avait ainsi inséré après l’article D. 593-1 du Code de procédure pénale un nouvel article D. 593-2 qui disposait :
« Dans tous les cas où, en application des dispositions du présent code, un avocat peut demander la délivrance d’une copie du dossier de la procédure pénale, ainsi que dans les cas où, en application des articles 77-2,80-2,114,388-4,393,394,495-8,627-6,696-10,706-105 et 803-3, il peut consulter ce dossier, l’avocat, son associé ou son collaborateur ou un avocat disposant d’un mandat écrit à cette fin peut, à l’occasion de cette consultation, réaliser lui-même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l’utilisation d’un scanner portatif ou la prise de photographies. Il en est de même lorsque l’avocat consulte le dossier dans le cadre des procédures prévues par les articles 41-1 à 41-3-1 A. Cette reproduction est réalisée pour l’usage exclusif de l’avocat, qui ne peut la remettre à son client, si elle concerne un dossier d’instruction.
Cette reproduction ne fait pas obstacle au droit de l’avocat d’obtenir, dans les cas et dans les délais prévus par le présent code, une copie du dossier auprès de la juridiction.
Si le dossier est numérisé, l’avocat ne peut refuser d’en recevoir une copie sous forme numérisée, le cas échéant selon les modalités prévues par l’article 803-1, sauf, dans le cas prévu par les articles 114 et R. 165, décision contraire du juge d’instruction ; en cas de numérisation partielle du dossier, la copie de la partie du dossier non numérisée est remise sur support papier ».
Aux termes de cet article novateur, dans tous les cas où, en application des dispositions du Code de procédure pénale, un avocat pouvait demander la délivrance d’une copie du dossier de la procédure pénale, ainsi que dans les cas où, en application des articles 77-2, 80-2, 114, 388-4, 393, 394, 495-8, article 627-6, 696-10, 706-105 et 803-3 du Code de procédure pénale, il pouvait consulter ce dossier, l’avocat, son associé ou son collaborateur ou un avocat disposant d’un mandat écrit à cette fin pouvait, à l’occasion de cette consultation, réaliser lui-même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l’utilisation d’un scanner portatif ou la prise de photographies.
L’avocat n’avait donc pas à attendre la délivrance de la copie du dossier par le greffe et pouvait ainsi réaliser, par tout moyen, la reproduction du dossier consulté.
Il en était donc de même lorsque l’avocat consultait le dossier dans le cadre des procédures prévues par les articles 41-1, 41-1-2, 41-1-3, 41-2, 41-3 et 41-3-1 A du Code de procédure pénale, lesquels concernent les modes alternatives aux poursuites laissées au procureur de la République dans un nombre conséquent d’infractions.
Cette reproduction était réalisée pour l’usage exclusif de l’avocat, qui ne pouvait la remettre à son client, si elle concernait un dossier d’instruction.
Cet article D593-2 du Code de procédure pénale permettait à l’avocat intervenant dans l’urgence notamment de disposer rapidement d’éléments pour travailler sur le dossier et préparer avec plus d’efficacité la défense de son client.
Cependant, comme nous avions formulé en 2022 des réserves notamment sur la création de cet article D593-2 du Code de procédure pénale par la voie décrétale. En effet, cette norme nous paraissait fragile sur le plan juridique dans la mesure où une telle disposition relevait à notre sens de dispositions législatives au regard de l’article 34 de la Constitution [1].
Le Conseil fait à ce niveau deux constats qu’il convient de rappeler et qui confirment au demeurant notre réserve formulée à l’époque.
En premier lieu, il indique dans sa décision que :
« il ne résulte pas des dispositions législatives du Code de procédure pénale prévoyant qu’un avocat peut demander à l’autorité compétente la délivrance d’une copie du dossier de la procédure pénale que le législateur aurait, dans ces cas, également entendu permettre que l’avocat puisse réaliser, par lui-même, une reproduction de tout ou partie de ce dossier à l’occasion de la consultation de celui-ci » [2].
En second lieu, il précise que :
« les articles 77-2, 80-2, 114, 393, 394, 495-8, 627-6, 696-10, 706-105 et 803-3 du Code de procédure pénale prévoient, dans le cadre des procédures qu’ils encadrent respectivement, que les avocats peuvent consulter le dossier ou que celui-ci est mis à leur disposition » [3].
Il en tire comme conséquence que :
« le législateur a entendu, s’agissant des procédures concernées, limiter le droit des avocats à une simple consultation du dossier, sans leur permettre d’en obtenir une copie ni a fortiori d’en réaliser par eux-mêmes une reproduction intégrale ou partielle dans le cadre de cette consultation ».
Le Conseil d’État rappelle ainsi au garde des Sceaux un adage latin fondamental hérité du droit romain « Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus » [4].
En clair, pour le Juge du Palais Royal, le ministre a fait une confusion entre la consultation et la reproduction des pièces du dossier qui sont deux choses différentes et répondent à deux normes de niveau différent : en l’espèce, sur le plan lexical, le législateur ne mentionne qu’un droit à la consultation au profit de l’avocat.
Le Juge du Palais Royal porte l’estocade dans son considérant n° 22 en indiquant que :
« les dispositions de l’article D. 593-2 du Code de procédure pénale, qui prévoient que l’avocat peut réaliser lui-même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l’utilisation d’un scanner portatif ou la prise de photographies, dans tous les cas où, en application de ce code, un avocat peut demander la délivrance d’une copie du dossier de la procédure pénale, ainsi que dans les cas où, en application des articles 77-2, 80-2, 114, 393, 394, 495-8, 627-6, 696-10, 706¬105 et 803-3 du même code, il peut consulter le dossier, ont fixé des règles nouvelles et ne peuvent être regardées comme ayant simplement déterminé les modalités d’application des règles déjà fixées en ce domaine par le législateur. Il en va de même des dispositions de ce même article D. 593-2 qui permettent aux avocats de réaliser eux-mêmes des reproductions du dossier dans le cadre des procédures prévues aux articles 41-1 à 41-3-1 A du Code de procédure pénale, lesquels ne comportent aucune précision relative à l’accès des avocats au dossier. Par suite, l’ensemble des dispositions introduites dans le Code de procédure pénale par l’article 10 du décret attaqué relèvent du domaine réservé à la loi par l’article 34 de la Constitution et sont entachées d’incompétence ».
Tout l’édifice réglementaire de reproduction de copie du dossier pénal accordé à l’avocat en avril 2022 s’écroule uniquement pour une question d’incompétence de l’auteur à l’origine de la disposition litigieuse.
En Droit, nous ne pouvons que nous rattacher à l’analyse faite par le Conseil d’État, la possibilité de reproduction d’un dossier pénal par l’avocat au moyen d’un procédé scanner ou photographique ne pouvant selon nous que relever des dispositions de l’article 34 de la Constitution pour deux raisons objectives qui constituaient deux obstacles juridiques dirimants pour le garde des Sceaux.
La première vient du fait que le législateur n’a pas prévu de manière expresse dans la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire de dispositions particulières habilitant le ministre à prendre des mesures pour fixer les modalités de reproduction de dossier par l’avocat. Dans la norme législative, seule la mention "consultation" apparaissait à ce niveau.
La seconde résulte du fait que le pouvoir réglementaire autonome dont bénéficie le Premier ministre, et par voie de conséquence les ministres, en application de l’article 21 de la Constitution ne permettait, en l’absence d’habilitation législative expresse, au garde des Sceaux de prendre des dispositions qui conduisaient à ajouter à la norme législative. Cette dernière ne prévoit que la consultation du dossier pénal et aucunement sa reproduction, hors les cas expressément prévus légalement.
Cependant, dans les faits, on voit les limites du Droit face à la réalité du quotidien : la disposition annulée présentait un dispositif très pragmatique et efficace pour l’exercice rapide des droits de la défense souvent mis à mal par des retards de délivrance de copies de dossiers.
Or, quelles que soient les postures que nous prenons ou défendons, il ressort en tout état de cause que le Droit ne peut être pertinent s’il n’intègre pas l’efficacité exigée par le corps sociétal.
Il est dès lors difficilement compréhensible qu’une telle disposition ait pu être contestée alors qu’elle allait dans le sens de l’évolution des choses et surtout constituait un gain d’efficacité dans l’exercice des droits de la défense, allégeant par effet induit le travail déjà lourd des greffes.
De même, le Conseil national des barreaux et de la Conférence des bâtonniers de France se sont trouvés dans l’impossibilité absurde de pouvoir obtenir copie des requêtes et des mémoires présentés par les deux syndicats de magistrats, cela afin de leur permettre de présenter des mémoires en intervention pertinents et répondant aux critiques soulevés.
En effet, les conséquences de ce contentieux entre les deux syndicats de magistrats et le ministre dépassaient le cadre de ces trois protagonistes pour s’étendre à d’autres acteurs extérieurs au dit contentieux.
Car, au final, au-delà de l’avocat, c’est le justiciable qui paie la facture finale au regard de l’indigence chronique de l’institution judiciaire en termes de moyens matériels et humains [5] et des inégalités territoriales qui existent quant à l’exercice effectif des droits de la défense.
Dès lors, il est plus qu’impératif que soit déposé dans les meilleurs délais une proposition de loi qui reprendrait le texte de l’article D. 593-2 annulé et l’érigerait en disposition législative dans le Code de procédure pénale, à savoir pour rappel :
« Dans tous les cas où, en application des dispositions du présent code, un avocat peut demander la délivrance d’une copie du dossier de la procédure pénale, ainsi que dans les cas où, en application des articles 77-2,80-2,114,388-4,393,394,495-8,627-6,696-10,706-105 et 803-3, il peut consulter ce dossier, l’avocat, son associé ou son collaborateur ou un avocat disposant d’un mandat écrit à cette fin peut, à l’occasion de cette consultation, réaliser lui-même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l’utilisation d’un scanner portatif ou la prise de photographies. Il en est de même lorsque l’avocat consulte le dossier dans le cadre des procédures prévues par les articles 41-1 à 41-3-1 A. Cette reproduction est réalisée pour l’usage exclusif de l’avocat, qui ne peut la remettre à son client, si elle concerne un dossier d’instruction.
Cette reproduction ne fait pas obstacle au droit de l’avocat d’obtenir, dans les cas et dans les délais prévus par le présent code, une copie du dossier auprès de la juridiction.
Si le dossier est numérisé, l’avocat ne peut refuser d’en recevoir une copie sous forme numérisée, le cas échéant selon les modalités prévues par l’article 803-1, sauf, dans le cas prévu par les articles 114 et R. 165, décision contraire du juge d’instruction ; en cas de numérisation partielle du dossier, la copie de la partie du dossier non numérisée est remise sur support papier ».
Une telle réforme qui est plus qu’urgente permettrait ainsi de corriger ce dispositif d’efficacité des droits de la défense sanctionné uniquement en raison de l’incompétence rationae materiae du garde des sceaux pour l’ériger.
Il est temps de vivre avec notre époque numérique et de suivre une pensée de François-René de Chateaubriand, pleine de sagesse dans notre monde actuel tourbillonnant dans le Numérique et l’IA : « Pour être l’homme de son pays, il faut être l’homme de son temps ».
Il est particulièrement regrettable que dans ce monde qui impose à chaque acteur de justice d’emprunter la voie du numérique [6] que l’on puisse au 21ème siècle dénier à l’avocat la possibilité, par souci d’efficacité dans l’exercice des droits de la défense, de faire des copies scannées ou photographiées d’un dossier pénal pour lequel il rencontre souvent des difficultés pour en avoir une copie numérisée.
Il est indiqué que le Conseil d’État, eu égard aux conséquences manifestement excessives sur le fonctionnement du service public de la justice qui résulteraient de l’annulation rétroactive de l’article 10 annulé, il a dérogé au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et de regarder comme définitifs les effets produits par ces dispositions antérieurement à leur annulation par la décision rendue [7].
À cet effet, son article 3 prévoit que les effets produits antérieurement à la date du 24 juillet 2024 par les dispositions notamment de l’article 10 du décret du 13 avril 2022 sont définitifs.