- Photo. extraite de l’ouvrage "Prison lisière" (Arnaud Théval / courtesy Dilecta).
Les prisons même si elles sont aux confins de nos villes, font partie de notre société et cela, Arnaud Théval l’a bien en tête ; par son travail artistique au sein du monde carcéral, il souhaite rapprocher ce monde (en)fermé à celui ouvert de la société.
Par ses créations (photographies, textes...) il veut générer des débats, transformer le regard que nous avons des prisons en les racontant différemment.
Dans son ouvrage, "Prison lisière", l’artiste relate en photo et par écrit son immersion dans la maison d’arrêt pour hommes de Draguignan. Durant trois ans, il a reproduit la vie de cette nouvelle prison et de ses occupants, des émotions et tensions, parfois violentes que se créent et se dénouent chaque jour.
Il a observé et mis en scène le travail des surveillants, le quotidien des détenus et leur différentes relations.
Cet ouvrage est aussi l’occasion de mettre en lumière une prison pas comme les autres dont la situation en lisière de forêt permet une interaction avec la nature.
Ce livre plein de poésie et parfois de fantaisie rappelle que les détenus sont des hommes qui ont une vie qui se conjugue au passé, au présent et au futur. Qu’ils restent des humains et que quelques soient les raisons pour lesquelles ils sont en prison, ils doivent rester connectés à la société malgré leur enfermement.
Arnaud Théval permet ainsi aux lecteurs de pénétrer et de découvrir de façon extrêmement détaillée ce qu’est une prison, ce à quoi elle ressemble, comment sont les cellules, ses différents quartiers, ceux des détenus, ceux des surveillants et des soignants.
Certes, "Prison lisière" est une œuvre artistique qui propose une mise en scène, qui montre le beau, qui décrit une prison neuve et colorée, mais, son auteur ne cache pas pour autant les travers humains. Il nous donne simplement la possibilité d’avoir une prison sous les yeux et de nous en donner une perception plus humaine.
Le Village de la Justice a été touché par le travail d’Arnaud Théval et s’est entretenu avec lui pour qu’il explique plus en détail sa démarche et ses choix artistiques.
- Arnaud Théval (photo : Géraldine Arlet.)
Quelles ont été les motivations à la réalisation de votre livre "Prison Lisière" ?
« Mon projet artistique se développe sur et dans deux institutions publiques l’hôpital et la prison [1]1, dans lesquelles je travaille sur des enjeux de représentations des corps et sur les imaginaires liés aux métiers et à leurs cultures. Après avoir enquêté et documenté la fermeture de vieux établissements [2] en m’intéressant aux traces du vivant quelques heures après leurs fermetures ainsi qu’aux récits des personnels de la pénitentiaire, j’ai poursuivi mes investigations pendant quatre années à l’école nationale d’administration pénitentiaire à Agen pour comprendre, suivre et travailler sur les grands moments de l’incorporation des élèves dans la culture pénitentiaire [3]. L’un des points sensible est le passage de l’école au terrain, car les écarts entre les représentations symboliques enseignés et les réalités des prisons sont importants.
C’est avec la double perspective de voir comment ma pratique artistique peut s’inscrire dans la vie d’un nouvel établissement et de mettre en tension les différences entre apprentissage et pratique d’un métier (en autre le refus de l’image de soi) que j’ai choisi de m’installer pendant trois années à la maison d’arrêt pour hommes de Draguignan. J’y ai vu l’arrivée des jeunes recrues, le premier détenu et peu à peu le vivant s’installer dans la structure neuve et déborder de partout. Ces passages d’un modèle à un autre, d’une école au terrain sont riches d’enseignements et d’expériences. J’ai été agréablement surpris du déplacement des agents sur leurs capacités et leurs envies de se monter à l’image, y compris dans des situations d’images décalées... et de l’assumer. Ce livre relate l’histoire réelle et imaginaire d’une prison en lisière de forêt dont la porosité aux vivants, à tous les vivants se révèle au fil des jours et au gré de mon imaginaire. Un imaginaire dont l’émergence est rendu possible grâce aux mots des agents, à ces petites histoires anodines du quotidien, comme celle du renard chassant dans le glacis autour de la prison. »
A qui s’adresse t-il ?
« Ce livre s’adresse à ceux et celles qui sont curieux d’un dialogue entre un artiste et l’institution pénitentiaire, à ceux qui soutiennent que les prisons doivent être pensées dans leurs grandes complexités pour évoluer encore et plus.
Si le dispositif d’enfermement est le même depuis des décennies, les tentatives d’accompagner les personnes détenues changent peu à peu, voir grandement, tout en étant relatif à la nature de l’établissement.
Mon expérience d’une pratique artistique sur et dans les prisons tend à ouvrir des perspectives et en particulier des possibilités de travailler avec tous les points de vues en s’adossant aux récits cachés au fond des poches, à la poésie et en accentuant nos capacités d’imaginations.
Le réel est parfois si absurde qu’une entrée du sensible se révèle à l’inverse d’un grand pragmatisme pour questionner quelques assignations (y compris chez les personnels).
Ce récit d’une expérience artistique impliquant tous les acteurs du système carcéral, tente d’embarquer les uns et les autres, dans une porosité imaginaire entre les vivants, tous les vivants. »
S’il ne fallait en retenir qu’un, quel est le point fort de votre livre ?
« Le moment le plus émouvant et exceptionnel est sans doute la réunion à l’image d’une personne détenue, d’une surveillante et d’un oiseau. La scène se déroule dans une cellule d’un quartier de détention nommé Respect (dans une maison d’arrêt c’est inédit et c’est un endroit où les détenus acquièrent un peu plus d’autonomie).
Ce qui est inédit c’est de voir que les deux protagonistes acceptent de poser et d’être reconnaissable sur l’image, alors que l’un et l’autre s’exposent extraordinairement. Le détenu car sa situation est en soi quelque chose de compliqué à assumer socialement et la surveillante car la relation au détenu est en soi quelque chose de suspicieux dans la culture professionnelle. Tous deux observent un oiseau, c’est absurde mais la situation contient une sorte de promesse poétique. L’animal est l’objet intermédiaire déplaçant et affirmant les sensibilités. Ce qui se partage ici, c’est une histoire commune autour d’une relation à une autre fragilité, révélant de surcroit celles des deux protagonistes... »
- Photo. extraite de l’ouvrage "Prison lisière" (Arnaud Théval / courtesy Dilecta).
Pourquoi mener vous votre travail artistique auprès des prisonniers, des prisons et de leurs gardiens ? Qu’est-ce que cela vous apporte ?
« En réfléchissant à la question de l’émancipation des personnes dans les institutions, la prison semble être le lieu le plus opposé a priori de cette question. Mais l’institution pénitentiaire contient des oxymores impressionnants dont celui de la mise en scène de la punition et de la réparation en même temps. Dès lors les questions des enfermements et des assignations se trouvent être poussées à des paroxysmes qu’une expérience artistique peut à la fois montrer tout en révélant des impensées et en co-construisant avec tous les acteurs un autre récit, dans les interstices, dans les failles et par l’imaginaire. C’est donc pour moi l’endroit où ma pensée artistique et philosophique trouvent des résistances propices à la création et au déplacement politique des assignations (y compris chez les spectateurs du travail, dehors). La prison et ses représentations sont le « théâtre » par excellence du dissensus entre les visions et les discours, entre les dogmes et les gestes, entre les fantasmes et les réalités... il est l’endroit de tous les écarts et ma pratique de l’art vient « jouer » avec, en construisant avec chaque acteur d’autres images... en produisant de nouvelles porosités. »
Quel message souhaitez-vous transmettre ?
« Ma pratique artistique consiste à agiter l’espace social afin d’en révéler les contradictions ou les impensés, de créer du dissensus et du débat sur des aspects complexes et irréductibles aux raccourcis, en somme de réveiller le politique.
Les prisons sont complexes, malgré le fait qu’elles soient aux confins de nos villes, elles méritent d’être encore plus investies par tous les acteurs qui fabriquent du commun, de la cité et surtout autrement racontées. Non pas qu’il faille masquer la violence du système – indéniable - mais je pense qu’il y a d’autres récits existants ou à créer ouvrant notre société à d’autres avancées, à plus d’audaces. L’intrusion d’animaux dans la prison neuve de Draguignan révèle une porosité jusque là peu explorée, celle de présences vivantes bouleversant les codes établis, dépassant les relations, grâce à une illusion certes, mais une illusion qui infiltre les imaginaires et qui sait demain ? »
Informations techniques :
Titre : Prison lisière ;
Auteur : Arnaud Théval ;
Editeur : Dilecta ;
ISBN 978-2-37372-114-0 ;
Parution : novembre 2020 ;
Nombre de pages : 128 pages ;
Prix : 28, 00 euros.
Discussion en cours :
Quelle expérience...Selon vous pourrait-on imaginer un système alternatif à l’incarcération ?