Le réchauffement climatique est originairement un phénomène naturel. Les rayonnements du soleil, tout comme divers facteurs internes, tels les nuages de cendres, participent à l’augmentation de la température terrestre. La planète restitue une partie des rayonnements solaires sous forme de rayons infrarouges, il s’agit du « rayonnement du corps noir ». Le reste est absorbé par la surface terrestre, ou par l’atmosphère. Dans l’atmosphère, des gaz, dénommés « gaz à effet de serre » (GES) [1], interceptent le rayonnement et le réémettent dans toutes les directions. Ce phénomène naturel crée, ainsi, un effet de serre indispensable au maintien de la température nécessaire à la vie sur Terre [2].
Depuis le début de l’ère industrielle dans les années 1850, les émissions de gaz à effet de serre et leurs concentrations dans l’atmosphère ont augmenté de manière exponentielle [3], entraînant le réchauffement du climat. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) [4], le rythme du réchauffement depuis 50 ans serait ainsi deux fois supérieur au rythme moyen des cent dernières années [5]. Les enjeux économiques et sociaux pour l’Homme, liés notamment à la détérioration de la biodiversité et donc de ses ressources naturelles, sont multiples et difficilement quantifiables avec précision [6].
Ce n’est qu’en 1992, soit bien postérieurement à 1896, moment où le scientifique Svante Arrhenius fit le rapprochement entre la combustion des combustibles fossiles et l’augmentation de la température, que le premier accord environnemental multilatéral sur le sujet, la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), fut adopté [7]. Les États construisirent au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU), au fil du temps, un véritable régime juridique international du climat visant à limiter l’impact des actions humaines sur le climat.
Compte tenu de la situation d’urgence climatique actuelle [8], pour quelles raisons cet arsenal juridique peine-t-il à s’imposer comme mécanisme efficace de lutte contre le réchauffement climatique ?
I. Des accords au contenu limité.
Tout d’abord, lors de négociations à l’ONU, ce sont près de 200 États qui doivent s’accorder, sans compter le rôle des parties invitées comme observatrices aux discussions [9]. Les ambitions des dispositions sont de fait constamment revues à la baisse pour contenter les États, qui craignent l’effritement de leur souveraineté. Les États en développement, par exemple, ne souhaitent pas voir leur élan freiné, ils redoutent les conséquences économiques des mesures environnementales. Les États pétroliers, eux, ne désirent pas renoncer aux raisons premières de leur enrichissement. À titre d’illustration de ces difficultés, le protocole de Kyoto, qui est le protocole d’application de la CCNUCC et le fruit de la réunion annuelle des parties à la CCNUCC de 1997, la Conférences des Parties (COP) [10], a mis quinze ans à se mettre en place [11].
Il en découle des accords dont les objectifs sont insuffisants pour éviter une perturbation anthropique [12] croissante du système climatique. A titre d’exemple, la limitation de l’augmentation des températures est un des objectifs phares des discussions internationales sur le climat. Or, le seuil limite à ne pas excéder des 2°C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, inscrit dans l’Accord de Copenhague adopté en 2009, serait trop bas selon les scientifiques [13].
De plus, le contenu des obligations présentes dans les accords est souvent imprécis, laissant une marge d’interprétation individuelle aux États. Les accords indiquent rarement de dates [14] ou de repères chiffrés. Par exemple, concernant la limitation de l’augmentation des températures en dessous de 2°C, le texte ne précise pas de température de référence pour calculer l’augmentation [15], ni de date à laquelle il faudra y parvenir [16].
Les États sont d’ailleurs de plus en plus souvent invités à prendre leurs propres engagements en dehors de la politique globale, tant est si bien que la politique d’atténuation internationale est souvent décrite comme une « agrégation de politiques nationales » [17]. L’Accord de Paris [18], adopté en 2015 durant la COP21, troisième accord environnemental multilatéral après la CCNUCC et le protocole de Kyoto, semble de fait très flexible. En effet, les États sont invités à fixer leurs propres objectifs de réduction d’émissions [19] et à renforcer leurs ambitions de manière quinquennale [20].
Le système économique actuel étant fréquemment désigné comme source du réchauffement [21], la lutte contre le réchauffement devrait rationnellement passer par sa remise en cause. Cependant, la logique capitaliste est rarement remise en question et les réflexions quant à un autre modèle économique stagnent. La transition énergétique, solution communément admise pour maintenir un mode de production capitaliste [22] est, de plus, elle-même peu mentionnée. Cela dit, les Accords de Cancún, découlant de la COP16 de 2010, invitent pour la première fois les États à réorienter la société vers une économie moins polluante [23]. Cette idée sera reprise par la suite mais sans conviction. A titre d’exemple, l’Accord de Paris mentionne, certes, les énergies renouvelables, mais seulement dans son préambule et uniquement pour les États en développement. Rien n’est écrit sur les énergies fossiles ni sur les émissions liées aux transports maritime et aérien [24].
La logique de marché est bien présente dans le régime juridique international du climat. Par exemple, dès 1992 est inscrit dans la CCNUCC que la protection de l’environnement ne doit pas entraver le libre-échange [25]. Le protocole de Kyoto met aussi en place un système d’échange de droits d’émission [26], et l’Accord de Paris deux nouveaux mécanismes de marché [27], dispositifs qui ont tous vu leurs limites. En ce qui concerne le système d’échange de droits d’émission du Protocole, les problèmes sont, entre autre, l’assignation d’un trop grand nombre de droits aux États, le manque de prévisibilité du marché et un prix de la taxe carbone trop bas pour influencer les choix économiques [28]. Au sujet de l’Accord de Paris, le problème tient en particulier au fait que les Etats membres n’ont pas d’obligation de participer [29].
Selon les Etats, le développement économique reste un objectif ayant une valeur supérieure à la lutte contre le réchauffement. Dans les premières décisions, les États en voie de développement et les États développés sont, de fait, séparés en deux catégories, les premiers devant mener à bien leur croissance économique [30]. Ce principe dit de la « responsabilité commune mais différenciée » [31] a permis l’adhésion presque universelle des États à la CCNUCC, qui compte 197 parties membres. La plupart d’entre eux se retrouvèrent cependant exonérés d’obligations, ce qui limita la portée des actions menées. Ce fut notamment le cas de la Chine, grand pays émetteur à l’époque de la ratification de la CCNUCC [32] et actuellement premier pays émetteur de GES au monde [33].
À partir du Plan d’action de Bali de la COP13 de 2007, la différenciation entre pays en voie de développement et pays développés se révèle moins tranchée [34]. Pour certains auteurs cependant, ce rapprochement de traitement juridique des deux catégories est un nivellement par le bas [35], le paradigme de la croissance étant récurrent comme préoccupation des Etats [36].
II. Un contrôle du respect des accords limité.
La portée du régime juridique du climat est également freinée par le manque de respect des dispositions. En ce qui concerne l’Accord de Paris par exemple, en 2019, sur les 197 Etats ayant ratifiés le traité, 58 ont adopté des mesures visant à réduire leurs émissions de GES en 2030 et 16 d’entre eux ont entrepris des actions en adéquation avec leurs engagements climatiques [37].
Ce manque de conformité aux dispositions découle de plusieurs facteurs. Tout d’abord, en ce qui concerne la valeur juridique des textes en eux-mêmes, parallèlement aux traités de nature contraignante [38], se trouvent une multitude de décisions de droit dérivé [39], plus permissives. La nature juridique des décisions découlant des COP n’a d’ailleurs pas été tranchée [40], alors qu’elles contribuent à former le corpus juridique du climat. Le choix de la nature des instruments normatifs est donc un véritable enjeu lors des négociations [41].
Les obligations juridiques découlant du droit dérivé sont peu nombreuses. Les décisions « recommandent », « invitent les États », « les encouragent » [42], etc. et sont parfois conjuguées au conditionnel [43]. Les normes sont même souvent interprétées par les États comme étant de simples indications ou directives générales [44]. Les obligations de moyens, obligeant les États à prendre des mesures pour tenter d’atteindre un but, sont enfin choses courantes [45], à l’inverse des obligations de résultat où l’on attend des États un bilan précis. Cela laisse une importante marge de manœuvre aux États et rend l’exécution de ces obligations invérifiable [46].
En outre, les mécanismes de contrôle de l’exécution des obligations sont limités. À titre d’illustration, la CCNUCC ne prévoit pas de mécanisme de réaction à la non-application des dispositions. Les États transmettent des informations sur les mesures qu’ils ont prises, puis ces informations sont examinées par les organes de la Commission. Les pays en développement peuvent invoquer des raisons économiques [47] et l’inexécution de l’obligation d’assistance technologique et financière (qu’ont les pays développés) [48] pour justifier l’inexécution de leurs propres obligations [49]. De plus, il n’existe pas d’examen individuel des mesures. En effet, seule une « compilation synthèse » des rapports de tous les États est rédigée et la procédure s’arrête là. Pour les pays développés, un examen individuel est effectué mais celui-ci n’est suivi d’aucune conséquence [50].
Les procédures de contrôle se sont alourdies dans les accords environnementaux multilatéraux précédant la CCNUCC [51] mais elles s’affichent désormais comme étant « ni intrusive[s] » [52], « ni punitive[s] » [53], « ni accusatoire[s] » [54].
III. Le dépassement des accords par les Etats.
En dernier lieu, la portée limitée du droit international du climat est due à la liberté des États à participer ou non à la négociation de ces textes [55] et à la possibilité d’abandonner leur statut de membres. Le Canada a par exemple invoqué son droit de retrait pour éviter une sanction du fait de son non-respect des dispositions du protocole de Kyoto [56].
Par ailleurs, les États sont peu inquiétés lors de leur retrait des accords [57].
L’identité des États signataires pèse sur la portée des outils de droit international. En effet, même si le nombre d’États ratifiant les traités est élevé, si les plus émetteurs n’en font pas partie ou s’en retirent a posteriori, la conformité aux engagements par les autres États n’aura que peu de conséquences [58]
Du fait de la portée limitée des instruments internationaux, les initiatives hors cadre onusien sont de plus en plus nombreuses. On observe ainsi la prolifération de l’instauration de marchés carbone nationaux [59].
À l’échelle internationale, la problématique de la transition énergétique est abordée au sein de partenariats tels que les G8 et G20 [60] ou d’autres organisations [61] créées ad hoc. On parle de « fragmentation » [62] de la gouvernance mondiale du climat. Même si les États cherchent manifestement à combler un manque du droit international, ils sont paradoxalement les créateurs des normes inadaptées qu’ils imposent à eux-mêmes [63].