La règle de la décimale
Cette règle est apparue avec le décret 85-944 :
« Lorsque les versements sont effectués avec une fréquence autre qu’annuelle, le taux effectif global est obtenu en multipliant le taux de période par le rapport entre la durée de l’année civile et celle de la période unitaire. Le rapport est calculé, le cas échéant, avec une précision d’au moins une décimale. »
Par un arrêt non publié Civ 1ère du 1er octobre 2014 pourvoi 13-22778 la Cour de cassation affirme que l’exacte application de cette disposition impose au juge du fond de vérifier si l’erreur fait passer ou non le résultat du calcul du taux effectif global stipulé à l’acte de prêt au delà du seuil légal.
Un second arrêt non publié Civ 1ère du 26 novembre 2014 pourvoi 13-23033 sera plus explicite : l’écart entre le taux effectif global mentionné dans le contrat de crédit et le taux réel n’ouvre aucune sanction lorsqu’il est inférieur à la décimale prescrite par l’article R. 313-1.
Deux arrêts publiés rendus en 2017, Civ 1ère 25 janvier 2017 pourvoi 15-24607 et Com 18 mai 2017 pourvoi 16-11147,claquent la porte à toute remise en cause de cette règle :
Dans la première espèce une Cour d’appel juge que les parties avaient entendu fixer un taux effectif global à trois décimales et que l’erreur affectant la troisième emporte la nullité de la stipulation du taux des intérêts conventionnels.
Dans la seconde la règle de la décimale était contestée en ce qu’elle n’a pas pour objet d’édicter une marge d’erreur admissible, mais de déterminer le niveau de précision dans l’expression arrondie du TEG (sous entendu non dans le TEG lui-même).
La première espèce fut cassée et la seconde rejetée sans la moindre explication, les deux chambres à l’unisson pour laconiquement constater « que l’écart entre le taux effectif global mentionné dans le contrat de crédit et le taux réel était inférieur à la décimale prescrite par l’article R. 313-1 ».
Les méthodes règlementaires de calcul
Les décrets 2002-927 et 2002-928 relatifs au calcul du TEG et fixant la formule mathématique d’équivalence des flux contiennent les remarques suivantes :
« L’écart entre les dates utilisées pour le calcul est exprimé en années ou en fraction d’années. Une année compte 365 jours, ou, pour les années bissextiles, 366 jours, 52 semaines ou 12 mois normalisés. Un mois normalisé compte 30,41666 jours (c’est-à-dire 365/12), que l’année soit bissextile ou non. »
« Le résultat du calcul est exprimé avec une exactitude d’au moins une décimale. Lorsque le chiffre est arrondi à une décimale particulière, la règle suivante est d’application : si le chiffre de la décimale suivant cette décimale particulière est supérieur ou égal à 5, le chiffre de cette décimale particulière sera augmenté de 1. »
Ces remarques étaient celles annexées à la Directive du 16 février 1998 relative au crédit à la consommation [1], elles sont toujours annexée à la nouvelle Directive du 23 avril 2008 [2].
La période étant l’écart de date entre deux versements, elle s’exprime donc indifféremment en jours, en semaine ou en mois normalisé, et c’est précisément là que s’ouvre une première option de calcul :
Rappel : TEG = taux de période x (Rapport durée année civile/durée période unitaire)
Option 1 : calcul de la durée d’une période mensuelle en jours exacts 365
Une année de 365 jours compte 1 mois de 28 jours, 4 mois de 30 jours et 7 mois de 31 jours.
1 mois de 28 jours donne un rapport de 365/28= 13,0357142857143
1 mois de 30 jours donne un rapport de 365/30= 12,1666666666667
1 mois de 31 jours donne un rapport de 365/31= 11,7741935483871
Le rapport en jours exacts/365 durée année/durée période=
(1 x 13,03...) + (4 x 12,16...) + (7 x 11,77...) le tout sur 12.
Le Rapport en jours exacts/365 est de 12,0101446492576
Option 2 : calcul de la durée d’une période mensuelle en mois normalisé
Une année, bissextile ou non, compte 12 mois de 30,41666 jours chacun.
1 mois normalisé donne un rapport de 365/30,41666 = 12,00000263
Le Rapport en mois normalisé = (12 x 12,00000263)/12 ;
Le Rapport en mois normalisé est de 12,00000263.
Prenons l’hypothèse d’un taux de période d’exactement 0,00302 (=0,302 %), nous avons :
TEG Option 1 = 0,00302 x 12,010144649258 = 3,62706... % arrondi à 3,63 %
TEG Option 2 = 0,00302 x 12,0000026301376 = 3,62400... % arrondi à 3,62 %
Une autre remarque, qui ne figure ni dans la Directive du 16 février 1998 ni dans celle du 23 avril 2008, ouvre encore une alternative de calcul en cas de différé total d’amortissement :
« Deux méthodes peuvent indifféremment être utilisées pour déterminer le TEG selon le principe suivant : les écarts entre deux dates peuvent être mesurés soit en rapportant le nombre exacts de jours de cette période à 365, soit en fraction entière d’année pour la partie bornée par des quantièmes mensuels identiques, à laquelle on ajoute ou soustrait le nombre de jours restants rapporté à 365. »
il s’ensuit deux exemples de calculs où :
pour le premier exemple le TEG est de 9,0561 % ou de 9,0548 %, soit avec un arrondi sur la deuxième décimale : TEG = 9,06 % ou 9,05 % ;
pour le second exemple le TEG est de 9,0449 % ou de 9,0548 %, soit avec un arrondi sur la deuxième décimale : TEG = 9,04 % ou 9,05 %.
Avec de pareilles options réglementaires de calcul, l’erreur ne peut pas être sanctionnée a partir de la seconde décimale.
Un décret fixant une modalité unique apparaît nécessaire
Les taux interbancaires Euribor et Eonia, fondamentaux en matière de crédit, s’expriment avec 3 décimales et les taux d’usure avec 2 décimales (Banque de France)(Direction générale du Trésor).
Pour mémoire le TEG a été créé par la loi 66-1010 pour mesurer le niveau d’usure des crédits. Codifié sous L. 314-6 du code de la consommation, il précise :
« Constitue un prêt usuraire tout prêt conventionnel consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus du tiers, le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des opérations de même nature comportant des risques analogues... »
La règle de la décimale n’est cohérente ni avec les taux interbancaires, ni avec le taux d’usure. Cette règle n’est pas l’arbitraire de la Cour de cassation mais le fait du pouvoir règlementaire qui pourrait y mettre fin en regard de ses conséquences pour le moins surprenantes.
Car selon le montant et la durée du prêt, la règle de la décimale permet à l’établissement financier de passer sous silence une somme pouvant aller jusqu’à plusieurs milliers d’euro.
Soit un prêt immobilier de 150 000 € au taux de 1,54 % sur 15 ans remboursé par des échéances mensuelles et constantes de 933,82 € :
sans prime d’assurance ni aucun frais, son TAEG est de 1,55 %, et il peut "absorber" jusqu’à 1002 € de frais avant de passer à 1,65 % ;
avec pour seuls frais une prime d’assurance mensuelle de 30 €, son TAEG est de 2 %, et il peut "absorber" jusqu’à 1026 € de frais supplémentaires avant de passer à 2,1 %.
Le TEG n’est pas un taux financier mais un taux juridique et il appartient à chaque État membre de choisir, parmi les méthodes mathématiques de calcul proposées par la directive, une et une seule méthode. C’est une question de sécurité juridique, d’efficacité de la règle et de moralité bancaire.
La règle de la décimale existerait toujours, mais s’en trouverait déplacée dans le champ de la concurrence entre les TEG du secteur bancaire européen dans l’intérêt des consommateurs européens, ce qui semble être la préoccupation de ces Directives.
Discussions en cours :
La seconde justification utilisée par la Cour au sujet de cette prétendue validité d’un taux effectif global à la première décimale est un extrait de l’annexe de R313-1 qui indique, dans les remarques liées à la formule d’annulation des flux que : "Le résultat du calcul est exprimé avec une exactitude d’au moins une décimale.". Le seul soucis est que, comme l’indique encore R313-1, cette formule n’est à utiliser que dans le cas des emprunts hors II de ce même article : " Pour toutes les opérations de crédit autres que celles mentionnées au II , le taux effectif global est dénommé " taux annuel effectif global " et calculé à terme échu, exprimé pour cent unités monétaires, selon la méthode d’équivalence définie par la formule figurant en annexe au présent article. La durée de la période doit être expressément communiquée à l’emprunteur.".
Dès lors, cette formule d’équivalence n’étant pas du tout identique à la formule de proportionnalité du II, cette formule ne s’applique que dans le cas des TAEG. Donc tous les dossiers de constatation d’un TEG de prêts immobiliers ne peuvent être impactés par cette remarque du TAEG. Pourquoi ? Simplement car la formule du TAEG retourne directement un taux annuel et non un taux de période. Hors tous les taux concernés par le II doivent déterminer un taux de période dont on déduira proportionnellement un taux annuel. Ce qui doit être correct dans ce cas est donc le taux de période et non le taux annuel.
De plus, cette formule du TAEG est totalement infondée, puisqu’elle ne permet pas de calculer un taux effectif global dans tous les cas ou le tableaux d’amortissement n’est pas à échéance constante. Il suffit pour s’en convaincre de calculer le TAEG d’un emprunt sans aucun frais dont on fait varier le tableau d’amortissement. Le montant d’intérêt sera toujours différent alors que le TAEG sera toujours constant et égal au taux nominal.
De plus, dans sa rédaction initiale, cette formule pouvait mener à des taux totalement ubuesque par application de cette remarque des annexes : "Si un échéancier est fixé pour le remboursement, mais que les sommes à rembourser varient, le montant de chaque remboursement est réputé être le plus bas prévu dans le contrat ;".
Je passe sur le fait que l’exemple 4 ne respectait en rien cette hypothèse de calcul imposée et sur le fait que l’exemple 5 bis n’est reproductible que si et seulement si on capitalise les intérêts du 15 au 30 septembre. Ce qui est totalement contraire à la règle de l’anatocisme (article 1154 (ou 1343-2 depuis peu) du Code Civil).
Ce qui prouve que cette annexe a été rédigée par les banques et non par les juristes. Mais passons.