II.- Le Taux Effectif Global [1].
Bien avant qu’existât un quelconque droit communautaire des crédits à la consommation, le Législateur français avait décidé dans une loi du 28 décembre 1966 la création d’un indice - le TEG - destiné au contrôle usuraire des prêts d’argent :
« Art. 1er.- Constitue un prêt usuraire tout prêt conventionnel consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus d’un quart, le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les banques et les établissements financiers enregistrés par le conseil national du crédit...
Art. 4.- Le taux effectif global déterminé comme il est dit ci-dessus doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt régi par la présente loi ».
La loi de 66 vise les prêts d’argent sans distinction de finalité professionnelle ou consumériste. La sanction du TEG absent ou erroné n’y étant pas prévue, la Cour de cassation mobilisa l’article 1907 du Code civil pour juger, en droit des obligations, qu’un TEG non erroné est une condition de validité de la clause de stipulation d’intérêt.
Les lois Scrivener I et II sont venues étendre l’obligation de mention du TEG aux offres de prêt aux particuliers en matière de crédit à la consommation et de crédit immobilier.
Au gré de la codification du droit de la consommation, les dispositions de la loi de 66 et des lois Scrivener se trouvent aujourd’hui dans les articles du Livre III du Code de la consommation.
La nature générale du TEG, en ce qu’il englobe les crédits professionnels et consuméristes, se maintient par sa présence de le Code monétaire et financier au titre des dispositions générales du taux d’intérêt des crédits.
Son article L 313-4 dispose que :
« Les règles relatives au taux effectif global des crédits sont fixées par les articles L314-1 à L314-5, L341-48-1 et L341-49 du code de la consommation ».
Le TEG procède d’une loi de police financière.
Les dispositions de la loi de 66 précitée ne laissent pas l’ombre d’un doute :
« Constitue un prêt usuraire tout prêt conventionnel consenti à un taux effectif global qui excède...
... pour la détermination du taux effectif global du prêt... sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, ... intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt...
Le TEG déterminé comme il est dit ci-dessus doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt...
Toute infraction... sera punie d’une amende de 2 000 F à 20 000 F ».
La définition de la loi de police a été harmonisée par le Règlement dit « Rome 1 » n°593/2008 du 17 juin 2008 [2] dans son article 9§1 :
« Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement ».
De l’intérêt de distinguer le prêt de l’opération de crédit.
Comme a pu le remarquer la doctrine [3] :
« Complexe, le contrat de prêt (d’argent) l’est parce qu’il s’inscrit dans un ensemble de contrats. Le besoin, pour le prêteur, de trouver des garanties et le souci, pour l’emprunteur, de coupler le crédit avec l’opération financée font que le prêt entretient des relations avec des contrats connexes ».
C’est bien sur l’idée d’opération de crédit qu’il importe de s’attarder.
L’opération de crédit est légalement définie comme :
« tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie. Sont assimilés à des opérations de crédit le crédit-bail, et, de manière générale, toute opération de location assortie d’une option d’achat » [4].
L’opération de crédit est multiforme et mobilise différents outils : contrat de prêt, contrat de location, contrat de garantie, contrat de vente, et s’agissant d’un prêt il convient d’y ajouter le contrat d’assurance. Elle met en rapport un fournisseur de crédit avec un bénéficiaire via un contrat principal et des contrats connexes.
Usant de la récente reconnaissance législative de l’ensemble contractuel, l’opération de crédit peut se décrire comme constituée par l’accord du fournisseur de crédit avec le bénéficiaire du crédit en vue de l’exécution d’un ou plusieurs contrats nécessaires à la réalisation d’une même opération.
Ainsi décrite, l’opération de crédit repose sur trois éléments fondamentaux :
le montant du crédit,
la rémunération du fournisseur,
le prix total à payer par le bénéficiaire.
Appliquée au prêt d’argent :
le montant du crédit est le capital,
la rémunération du prêteur est la clause d’intérêt (taux + base annuelle), majorée le cas échéant des frais de dossier,
mais le prix total à payer par le bénéficiaire n’est pas le TEG !
Le TEG est le résultat du calcul mathématique du taux qui égalise (actualise) les flux du prêteur (décaissements en capital) avec les flux de l’emprunteur (paiements des échéances, frais, assurance...)
La formule et les méthodes de calcul du TEG sont publiées au Journal Officiel en annexe aux décrets n° 2002-927 et -928 du 10 juin 2002.
Le TEG i solutionne l’équation suivante :
Elles sont directement issues des mathématiques financières et témoignent d’un rattrapage de la finance par le droit, mais leurs complexité rendent le TEG bien souvent inaccessible dans son calcul et sa nature.
Le TEG consiste concrètement à calculer le taux annuel qui permet d’égaliser les deux flux selon la méthode des intérêts composés, avec cette particularité que le flux des intérêts intercalaires ne donne pas lieu à actualisation mais à retraitement de l’échéance d’amortissement aux seules fins de ce calcul (Exemple 5 bis de l’annexe au décret 2002-928).
Il est important de retenir que chaque flux, hors intérêts intercalaires, est daté et qu’une même somme aura sur le TEG un impact différent selon la date à laquelle elle est encaissée ou décaissée.
La mesure de l’étendue de l’engagement financier de l’emprunteur.
Les jurisprudences françaises et européennes se sont emparées du TEG comme de l’outil de connaissance par l’emprunteur de la portée de son engagement.
Le TEG n’est toutefois pas un « Taux d’Intérêt Global » qui, appliqué au capital dans les mêmes conditions de durée et de base annuelle que le taux d’intérêt, permettrait à l’emprunteur de calculer directement le total des intérêts, frais de dossier, primes d’assurances, frais de garantie et autres.
Si tel devait être le cas, sa formule de calcul serait alors, pour un prêt à échéances mensuelles constantes sur 20 ans :
Le TEG est une mesure de la contre-performance financière du crédit pour l’emprunteur qui ne lui permet pas de calculer le coût total de cette opération qu’il souscrit.
La mesure du consentement du fournisseur de crédit.
« Dans tous les cas, pour la détermination du taux effectif global du prêt, ... sont ajoutés aux intérêts les frais, les taxes, les commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, ... qui constituent une condition pour obtenir le crédit ou pour l’obtenir aux conditions annoncées » [5].
Les éléments qui composent l’assiette de calcul du TEG sont les conditions auxquels le fournisseur de crédit consent à octroyer le prêt : intérêts mais aussi garantie, assurance ...
Les volontés du fournisseur et du bénéficiaire se rencontrent donc notamment sur la clause d’intérêt et sur le TEG puisque ce dernier est une synthèse financière de l’ensemble contractuel proposé par le fournisseur auquel adhère le bénéficiaire.
Cette dimension consensuelle du TEG justifie qu’un TEG réel inférieur au TEG mentionné ne constitue pas une erreur de TEG pouvant être sanctionnée [6].
Le seuil de sanction d’un dixième de point.
La Cour de cassation juge régulièrement que le TEG ne devient juridiquement erroné que lorsque l’écart entre le TEG réel et le TEG mentionné est d’au moins une décimale [7].
Ce seuil, construit par la Première chambre depuis les règles d’arrondis et de précision issues des décrets relatifs au calcul du TEG [8], s’articule mal avec la loi de 66 qui institue le TEG et définit l’usure par comparaison du TEG avec des taux qui sont toujours publiés à deux décimales.
La sanction du TEG absent ou erroné par la déchéance des intérêts.
Il était de tradition que le TEG erroné dans un écrit constatant un contrat de prêt emportait annulation de la clause stipulant l’intérêt conventionnel et sa substitution par l’intérêt légal [9].
La Première chambre opère par cet arrêt 10 juin 2020 un revirement de sa jurisprudence en matière de TEG absent ou erroné dans un écrit constatant un contrat de prêt par un alignement sur l’ordonnance n°2019-740 du 17 juillet 2019, même lorsque le contrat de prêt lui est antérieur.
Cet alignement est expliqué aux points 5 et 6 de l’arrêt :
« 5. Pour les contrats souscrits postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global dans un écrit constatant un contrat de prêt, le prêteur n’encourt pas l’annulation de la stipulation de l’intérêt conventionnel, mais peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l’emprunteur.
6. Dans ces conditions, pour permettre au juge de prendre en considération, dans les contrats souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l’emprunteur, il apparaît justifié d’uniformiser le régime des sanctions et de juger qu’en cas d’omission du taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de prêt, comme en cas d’erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge ».
L’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019 a été prise par le Gouvernement sur le visa de l’article 55 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018, lequel porte habilitation à légiférer comme suit :
« ...le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnances [...] toute mesure relevant du domaine de la loi visant à modifier les dispositions du code de la consommation et du code monétaire et financier relatives au taux effectif global et à prévoir les mesures de coordination et d’adaptation découlant de ces modifications en vue :
...
2° D’autre part, de clarifier et d’harmoniser le régime des sanctions civiles applicables en cas d’erreur ou de défaut de ce taux, en veillant en particulier, conformément aux exigences énoncées par la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil et par la directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel et modifiant les directives 2008/48/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) no 1093/2010, au caractère proportionné de ces sanctions civiles au regard des préjudices effectivement subis par les emprunteurs ».
C’est donc à l’aune du droit communautaire que les praticiens devront formuler ou juger des demandes de déchéances du prêteur de son droit aux intérêts.
III.- La déchéance des intérêts, unique sanction de la légalité financière des crédits.
De la déchéance à la nullité.
La déchéance d’un droit a toujours été la sanction de l’inconduite de son titulaire. Elle est donc dans son principe indépendante du préjudice subi par la victime de l’inconduite et suppose naturellement que ce droit soit né et actuel au moment où elle est prononcée.
La déchéance du droit aux intérêts est une sanction prévue par le code de la consommation lorsque le TEG de l’offre de prêt est absent. Sa nature de sanction civile en fait l’apanage du juge comme en témoigne plusieurs arrêts de la Première chambre :
« la faculté ouverte par l’article L312-33, dernier alinéa, du Code de la consommation, de prononcer la déchéance totale ou partielle des intérêts, relève du pouvoir discrétionnaire du juge » [10].
« La déchéance du droit aux intérêts est une sanction civile dont la loi laisse à la discrétion du juge tant l’application que la détermination du montant ; que, de ce fait, l’emprunteur qui sollicite la déchéance du droit aux intérêts ne fait valoir qu’une prétention à l’issue incertaine qui n’est, dès lors, pas constitutive d’un droit » [11].
« La déchéance du droit aux intérêts […] est une sanction civile laissée à la discrétion du juge, par nature incertaine et ne pouvant donc faire naître une espérance légitime » [12].
D’une part pour prononcer une telle sanction encore faut-il nécessairement que l’offre ait été acceptée, soit que le juge soit en présence d’un contrat de prêt.
D’autre part le TEG mentionné dans un acte réitératif de prêt pouvait être erroné sans encourir de sanction.
La Première chambre s’est donc tourné vers le régime des nullités du droit des obligations pour juger par l’arrêt précité du 28 juin 1981 que l’exigence d’un écrit mentionnant le taux effectif global est une condition de validité de la stipulation d’intérêt.
Afin que ces deux sanctions, déchéance et nullité, n’entrent pas en compétition, la Première chambre a pris soin de cantonner la nullité aux écrits constatant un contrat de prêt, soit en pratique aux actes réitératifs.
L’année lombarde a ensuite été rajoutée aux conditions de validité de la clause d’intérêt pour être sanctionnée par ce même mécanisme de nullité, et ce qu’elle soit indifféremment présente dans l’offre ou dans l’acte réitératif puisqu’elle est inconnue du code de la consommation.
Cette solution, pragmatique mais peu lisible pour l’emprunteur, a souvent été mal comprise et source de nombreuses confusions contentieuses, certains demandant la nullité pour un TEG erroné dans l’offre, d’autres inversement la déchéance pour un TEG erroné dans l’acte réitératif ou une d’une année lombarde.
Cette solution a aussi révélé qu’année lombarde et TEG erroné étaient monnaie courante et que la nullité, qui n’est pas soumise à l’appréciation souveraine du magistrat, commençait à durement frapper le milieu bancaire qui argumentait en défense un effet d’aubaine disproportionné au préjudice subi par l’emprunteur.
De la nullité à la déchéance.
C’est dans ce contexte qu’est intervenu l’article 55 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 habilitant le gouvernement à légiférer sur le sujet par ordonnance et la préoccupation de cantonner la déchéance au préjudice subi par l’emprunteur est explicitée dans l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019 :
« 2° D’autre part, de clarifier et d’harmoniser le régime des sanctions civiles applicables en cas d’erreur ou de défaut de ce taux, en veillant en particulier, ... au caractère proportionné de ces sanctions civiles au regard des préjudices effectivement subis par les emprunteurs ».
et se retrouve naturellement dans les textes, par exemple :
« En cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux annuel effectif global déterminé conformément aux articles L314-1 à L314-4, le prêteur peut être déchu du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice pour l’emprunteur » [13].
La fonction d’une déchéance est pourtant d’être proportionnée à l’inconduite du titulaire du droit en question pour le priver de la jouissance de ce droit, et non pas d’être proportionnelle au préjudice subi par la victime de l’inconduite.
Le TEG procède d’une loi de police économique et non de la responsabilité délictuelle.
Dans une matière voisine qu’est la déchéance du cautionnement en cas d’engagement disproportionné, la Chambre commerciale a ainsi pu préciser dans un arrêt publié du 22 juin 2010 n° 09-67814 que la sanction n’est pas à la mesure du préjudice subi :
« la sanction du caractère manifestement disproportionné de l’engagement de la caution est l’impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement ; qu’il en résulte que cette sanction, qui n’a pas pour objet la réparation d’un préjudice, ne s’apprécie pas à la mesure de la disproportion ».
La déchéance est d’essence punitive et, « conformément aux exigences énoncées » par les directives 2005/29/CE du 11 mai 2005, 2008/48/CE du 23 avril 2008 et 2014/17/UE du 4 février 2014 en leurs articles 13, 23 et 38, cette déchéance doit être effective, proportionnée et dissuasive, qualités reconnues à la nullité par la CJUE.