Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue par la Cour de cassation, le 14 février 2024 qui vient consacrer l’idée suivant laquelle la caution tout comme le débiteur principal peut, en cas de cession d’une créance bancaire, formaliser son droit à retrait litigieux afin de racheter la créance cédée au prix de cession et non pas à sa vraie valeur.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire et par acte du 21 décembre 2011, la banque avait consenti à la société E un prêt garantit par le cautionnement de Monsieur Z.
La société a été placée en procédure de sauvegarde puis en liquidation judiciaire, de telle sorte que la banque a assignée la caution en exécution de ses engagements.
Une action en paiement engagée par la banque contre la caution.
Monsieur Z a été condamné à payer une certaine somme à la banque par un jugement du 20 juin 2018 dont il a interjeté appel le 24 juillet 2018.
Or, en pleine procédure pendante devant la Cour d’appel et par bordereau de cession de créances du 03 août 2020, la banque a cédé au fond commun de titrisation, représenté par la société MCS, un portefeuille de créances comprenant celle dont Monsieur Z s’était rendu caution.
Une cession de créance en pleine procédure à hauteur de Cour d’appel.
Le fond commun de titrisation est alors intervenu volontairement à l’instance d’appel alors que Monsieur Z, informé de cette cession de créance, entendait lui opposer le droit à retrait litigieux prévu à l’article 1699 du Code civil.
L’intervention volontaire du fonds commun de titrisation.
Or, une fois de plus, le fond commun de titrisation fait preuve d’imagination sans limite pour pouvoir échapper à ses obligations et empêcher la caution de faire valoir son droit au retrait litigieux, ce qui lui permettrait de racheter la créance au prix symbolique de cession et non pas à sa vraie valeur nominale.
Pour autant, force est de constater que cette jurisprudence est rassurante puisqu’elle vient consacrer l’idée suivant laquelle la caution peut également formaliser un droit à retrait litigieux.
Cette jurisprudence a d’ailleurs fait l’objet d’une publication au sein de la semaine juridique par Monsieur le professeur Marc Mignot, Professeur à l’Université de Strasbourg, qui en termes d’impact précisait en ces termes :
« Concrètement, la solution permet de déjouer les stratagèmes des acheteurs de créances litigieuses pour empêcher l’exercice par le débiteur cédé du retrait, elle doit être pleinement approuvée, à l’avenir, on pourrait même souhaiter qu’elle soit renforcée par la reconnaissance du pouvoir et du devoir du Juge du fait de déterminer le prix, le cas échéant ».
Dans cette affaire le fonds commun de titrisation a fait preuve d’une résistance sans pareille et est venu contester un certain nombre de moyens afin d’échapper à ses obligations,
Tout d’abord en soutenant l’idée que seul celui contre lequel on a cédé un droit litigieux peut exercer la faculté de retrait, de telle sorte que le droit de retrait litigieux, institution dont le caractère est exceptionnel au visa de l’article 1199 du Code civil, justifie l’interprétation stricte, ne peut être exercé que par le débiteur principal et non pas par la caution.
De telle sorte qu’à bien y comprendre, Monsieur Z ne serait pas bien fondé à formaliser son droit de retrait.
La caution et le droit de retrait de la créance cédée, qu’en est-il ?
Le fond commun de titrisation soutenant également qu’à supposer même que la caution serait en droit d’exercer son retrait litigieux, c’est à la seule et unique condition d’avoir élevé une contestation sur le fond du droit cédé, de telle sorte que seule une contestation de la créance principale par la caution serait de nature à autoriser au fidéjusseur l’exercice du droit de retrait.
De plus, le fonds commun de titrisation faisait grief à la Cour d’appel d’avoir dit fondé l’exercice du droit de retrait de Monsieur Z alors que ce dernier s’est opposé aux demandes en arguant du caractère disproportionné de l’engagement de caution, justifiant le prononcé du débouté de la banque en mettant ainsi en cause la responsabilité de la banque dans l’octroi du crédit de nature à justifier l’octroi de dommages et intérêts en contestant le montant sollicité, comprenant selon lui des sommes indues.
Une contestation de la créance par la caution.
Selon le fonds commun de titrisation les moyens et demandes de la caution ne feraient que contester la créance accessoire de cautionnement et non pas celle de créance principale cédée, de telle sorte que ce dernier ne pourrait solliciter l’application des articles 1699 et 1700 du Code civil.
Par ailleurs, le fonds commun de titrisation venait également contester l’idée suivant laquelle le Juge serait à même de communiquer et de déterminer le prix de cession.
En effet, le fonds commun de titrisation, qui malheureusement dans bon nombre de contentieux dont votre serviteur est leur adversaire, croit bon refuser de communiquer l’acte de cession qui permettrait de déterminer le prix de cession dans le seul objectif d’empêcher le débiteur, aussi bien principal que le débiteur caution, de pouvoir faire valoir son droit à retrait litigieux.
A bien y comprendre, en pratique, dès lors que la cession de créance est faite et que le fonds commun de titrisation intervient, ce dernier se fait un point d’honneur à ne surtout pas communiquer l’acte de cession lui-même avec le prix pour empêcher, en pratique, le débiteur ou la caution de formaliser leur droit à retrait litigieux au prix de cession en tant que tel dont ils entretiennent un secret absolu.
Le refus de communication du prix de cession pour empêcher le retrait litigieux.
Cette pratique est particulièrement contestable puisque ces derniers se refusent à communiquer le prix de cession, empêchant par la même le retrayant de manifester son droit à retrait litigieux.
Fort heureusement, cette jurisprudence vient sanctionner cette dérive marquée des fonds commun de titrisation et vient permettre au retrayant d’obtenir non seulement le prix de cession mais également de permettre au Juge de déterminer le montant de la cession permettant ainsi au retrayant de payer le prix de cession et non pas la créance en son montant nominal.
En effet, dans cette jurisprudence, le fond commun de titrisation venait soutenir que le droit à retrait litigieux ne peut être exercer lorsque la créance est incluse dans la cession d’un ensemble de créances cédées pour un prix global et forfaitaire.
Dans cette espèce, le fond commun de titrisation rappelait que la créance détenue par la banque sur la société dont Monsieur Z s’était porté caution a été cédée par un bordereau de cession de créance avec un ensemble de créances pour un prix global de 195 000 000.00 euros présentant un caractère forfaitaire.
Comment faire obstacle à l’exercice du droit au retrait litigieux ?
De telle sorte que ce dernier ne serait pas à même de formaliser son droit à retrait litigieux.
Le fond commun de titrisation allant même jusqu’à soulever l’idée suivant laquelle, à supposer même que la cession en bloc d’un grand nombre de créances ne fasse pas obstacle à l’exercice de droit de retrait litigieux à l’égard d’une créance qui est incluse, c’est à la condition toutefois que la détermination de son prix soit possible, que la mention de la valeur faciale des créances cédées à un fond commun de titrisation ne doit pas obligatoirement figurer sur le bordereau de cession.
Le fond commun de titrisation ne manquant pas de toupet en venant soutenir l’idée suivant laquelle il ne serait être fait grief audit fond commun de titrisation de s’abstenir de verser au débat un bordereau de cession mentionnant pour chaque créance cédée leur valeur faciale.
Pour autant, le fond commun de titrisation, parfaitement à même d’appréhender sa propre mauvaise foi et sa propre turpitude, venant même soutenir, ce n’est pas manquer de toupet par ailleurs, qu’une telle abstention loin de manifester une quelconque volonté du fond cessionnaire de rendre impossible la détermination du prix individuel de cession peut en effet résulter tout simplement de l’inexistence d’un tel bordereau.
Fort heureusement, cette jurisprudence est extrêmement intéressante puisque la Cour de cassation vient finalement apporter deux réponses majeures.
Le droit de la caution d’être retrayant et de formaliser un retrait litigieux.
Premièrement, la caution est parfaitement à même d’exprimer son droit à retrait litigieux tant en contestant la créance en son principal mais également en contestant l’engagement de cautionnement dont il est débiteur.
Cette jurisprudence vient également apporter des précisions sur la possibilité qu’a le pouvoir du Juge de choisir souverainement la méthode de calcul la plus adéquat du prix de cession.
Quid des modalités de calcul du prix de cession ?
La Cour de cassation rappelant ainsi que la caution est parfaitement fondée au visa de l’article 1199 de formaliser un droit à retrait litigieux, ce que d’ailleurs la Cour d’appel d’Aix en Provence avait d’ailleurs pris soin d’exprimer comme étant parfaitement possible, notamment dans une jurisprudence de la Cour d’appel d’Aix en Provence du 30 juin 2022.
La position procédurale de la caution ne l’empêche absolument pas de manifester son droit à retrait litigieux.
La Cour de cassation précisant ainsi que :
« la cession de la créance principale comprenant ainsi par application de l’article 1192 du Code civil, ces accessoires emportent au profit du cédant la cession de la créance sur la caution, de sorte que cette dernière peut, lorsqu’elle conteste le droit invoqué contre elle, exercer le droit à retrait litigieux ».
La Cour précisant encore que :
« le débiteur assigné en paiement a la qualité de défendeur au litige et peut donc, s’il conteste le droit du créancier au fond, exercer le droit au retrait prévu à l’article 1199 du Code civil, peu importe que cet exercice intervienne après que le débiteur ait interjeté appel du jugement l’ayant condamné au paiement ».
La Cour constatant que la banque avait assigné Monsieur Z en paiement au titre de son engagement caution, que par conclusions du 31 janvier 2018 Monsieur Z avait demandé à voir juger que la banque ne pouvait se prévaloir de son engagement de caution à raison de son caractère disproportionné et concluait à titre principal le rejet des demandes de la banque.
La Haute juridiction constatant encore que par jugement du 20 juin 2018, il a été condamné au paiement, qu’il a interjeté appel le 24 juillet 2018 et qu’il a exercé le retrait litigieux le 13 décembre 2021 avant que la Cour d’appel statue.
En l’état de ces constatations et appréciations, la Cour de cassation considère que la Cour d’appel a exactement retenue que Monsieur Z avait la qualité de défendeur dans un litige fondé sur son engagement de caution et à l’occasion duquel il avait contesté le fond du droit invoqué contre lui, de sorte qu’il pouvait exercer le droit au retrait.
Caution défenderesse en litige même en étant appelant devant la Cour d’appel.
Enfin, sur la problématique de la cession en bloc pour lequel le fond commun de titrisation allait jusqu’à refuser de communiquer l’acte de cession pour empêcher, au motif pris que le prix ne serait pas déterminable et que les Juges du fond seraient dans l’incapacité de venir déterminer ce montant, il importe de préciser que la Cour de cassation apporte également une argumentation extrêmement intéressante.
Elle rappelle que la cession en bloc d’un grand nombre de droits et créances ne fait pas obstacle à l’exercice du droit de retrait litigieux à l’égard d’une créance qui est incluse dès lors que la détermination de son prix est possible.
Ainsi, après avoir constaté que l’acte de cession porte la mention d’un prix global de 195 000 000 euros et que le prix de la créance litigieuse n’y est pas déterminé, l’arrêt relève qu’à la demande de Monsieur Z le conseil de la mise en état a enjoint au fonds commun de titrisation de fournir la copie intégrale de l’acte de cession comportant la liste des créances désignées et individualisées, tout document rendant compte de la valeur et des chances de recouvrement de ladite créance ainsi que tout élément d’appréciation précis et concret permettant à la Cour d’appel de dire si le prix de la créance est déterminable.
Il ajoute que si le fonds commun de titrisation a communiqué la copie de l’acte intégrale de la cession, y compris l’annexe correspondant à la liste des 9 304 créances cédées, il a occulté le montant des créances cédées et a fait valoir que les autres documents de Monsieur Z sollicités à la production de débat n’existaient pas ou que leur communication se heurtait au secret des affaires.
Un droit de retrait consacré sur un prix de cession déterminable.
Ayant en suite constaté que l’acte de cession précise que le prix du portefeuille tient compte de l’appréciation qu’on le cédant et le cessionnaire de l’équilibre du risque et des chances de recouvrement et que le fond commun de titrisation, qui ne fournit aucune évaluation du prix valable de la créance autre que celui proposé par Monsieur Z, indique ignorer le prix individuel de chaque créance au motif que le prix du portefeuille résulterait d’une analyse complète mais non scientifique prenant en considération des évaluations statistiques multiples qui tiennent compte des informations communiquées par le cédant et réfute toute analyse financière élaborée pour chaque créance cédée.
L’arrêt retient que le fond commun de titrisation aurait néanmoins pu aisément communiquer la somme totale des créances cédées sans violer le secret des affaires qu’il invoque pour justifier son abstention d’y révéler l’identité des débiteurs.
En l’état de ces énonciations, constatations et appréciations, la Cour d’appel qui n’a pas retenu que le bordereau de cession devait mentionner la valeur faciale de chacune des créances soldées mais jugé qu’il était aisé au cessionnaire de fournir cette information et qu’il n’était pas tenu d’effectuer des recherches invoquées, que ces constatations rendaient inopérantes, en a déduit dans l’exercice de son pouvoir souverain en appréciation du choix de la méthode la plus adaptée pour déterminer la valeur de la créance cédée, qu’il convenait, faute d’élément contraire proposé par le fond commun de titrisation, de privilégier la méthode arithmétique qui implique de rapporter le prix total payé au nombre de créances cédées pour déterminer le prix de chaque créance.
Somme à laquelle elle a, par conséquent, pu déterminer la valeur de la créance litigieuse cédée.
La détermination de la valeur de la créance litigieuse cédée.
Ainsi, il convient de saluer cette jurisprudence de la Cour de cassation qui vient sanctionner la critique particulièrement abusive du fond commun de titrisation qui consiste à entretenir, dans un secret absolu, le prix de cession afin d’empêcher clairement le débiteur principal tout comme le débiteur caution de formaliser son droit à retrait litigieux.
La haute juridiction allant même jusqu’à permettre au Juge du fond, dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation, de finaliser et de déterminer avec précisions les modalités de calcul du prix de cession permettant ainsi au retrayant, débiteur principal ou caution, de régler ce prix de cession et de « couper l’herbe sous le pied » du fond commun de titrisation.