Il y a encore quelques jours la Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite Loi Macron, en laissait plus d’un dubitatif.
Soumise au contrôle de conformité des Sages du Conseil constitutionnel, leur décision est sans appel : il sera nécessaire de revoir un peu plus sérieusement quelques dispositions de la Loi Macron.
Plus précisemment, ce sont vingt trois articles parmi ceux contestés par les parlementaires auxquels le gouvernement a dû tirer sa révérence.
Dix-huit ont été invalidés pour avoir été adoptés suivant une procédure irrégulière et cinq autres ont tout simplement été jugés non conformes à la Constitution.
Ce fut notamment le cas de la mesure phare de la loi Macron, à savoir le plafonnement des indemnités de licenciement, jugée contraire au principe d’égalité.
Le Ministre de l’Economie persistera-t-il malgré la censure du Conseil constitutionnel (Décision n° 2015-715 du 5 août 2015 du Conseil constitutionnel) ?
Sans analyser avec exhaustivité la décision du Conseil constitutionnel - qui comporte pas moins de 115 pages - il est intéressant de revenir sur la finalité poursuivie par cette mesure de plafonnement des indemnités de licenciement.
I. Le principe du plafonnement des indemnités de licenciement
Initialement prévu à l’article 266 de la loi Macron, le principe du plafonnement des indemnités de licenciement avait pour finalité d’ôter toutes craintes et contraintes économiques excessives que les employeurs pouvaient rencontrer quand ils envisageaient de procéder au licenciement d’un de leurs salariés.
Il était en effet de pratique constante de laisser aux Conseillers prud’homaux le soin d’apprécier le montant des dommages-intérêts à allouer au salarié, si d’aventure le licenciement était jugé sans cause réelle et sérieuse.
Dès lors, c’est sans surprise que dès son annonce, la mesure de plafonnement allait être mal accueillie, ne serait-ce parce qu’elle vise à favoriser le "fautif", à savoir celui qui n’a pas été en mesure de respecter les règles du Code du travail applicables au licenciement.
Certes, il est vrai que l’on peut comprendre l’idée de vouloir protéger le patron de la petite entreprise ayant commis une erreur d’appréciation en licenciant son salarié ; cette dernière ayant été favorisée par l’absence de moyens juridiques lui permettant d’anticiper le risque d’une censure de ce licenciement par le Conseil des prud’hommes.
Tout autant que l’on peut comprendre que cette même petite entreprise trouve un intérêt à ce que la sanction financière y afférente ne porte pas excessivement préjudice à son entreprise - et aux salariés qui la composent.
Plus délicate est la légitimité de l’entreprise de plus de 300 salariés, aisément conseillée au quotidien par une équipe de juristes et d’avocats qui se chargeront d’encadrer ce licenciement, et qui dispose d’une couverture financière suffisante pour indemniser le salarié si le licenciement s’avérait être abusif.
Or dans son projet initial, la loi Macron prévoyait le plafonnement des indemnités de licenciement à des seuils bien moindres que ceux prévus par le Code du travail, et répartis de telle façon :
- Entreprise de moins de 20 salariés
1. 3 mois de salaire au maximum pour un salarié ayant moins de 2 ans d’ancienneté ;
2. entre 2 à 6 mois de salaire au maximum pour un salarié ayant 2 ans et 10 ans d’ancienneté ;
3. entre 2 mois à un an de salaire au maximum pour un salarié ayant plus de 10 ans d’ancienneté.
- Entreprise de plus de 20 salariés et de moins de 300 salariés
1. 4 mois de salaire au maximum pour un salarié ayant moins de 2 ans d’ancienneté ;
2. entre 4 à 10 mois de salaire au maximum pour un salarié ayant 2 ans et 10 ans d’ancienneté ;
3. entre 4 à 20 mois de salaire au maximum pour un salarié ayant plus de 10 ans d’ancienneté.
- Entreprise de plus de 300 salariés
1. 4 mois de salaire au maximum pour un salarié ayant moins de 2 ans d’ancienneté ;
2. entre 6 à 12 mois de salaire au maximum pour un salarié ayant 2 ans et 10 ans d’ancienneté ;
3. entre 6 à 27 mois de salaire au maximum pour un salarié ayant plus de 10 ans d’ancienneté.
Le Code du travail prévoyait au contraire un dispositif beaucoup plus souple, variant selon l’effectif de l’entreprise et l’ancienneté du salarié, mais prenant nécessairement en compte l’ampleur du préjudice subi par le salarié.
Ainsi, pour tout salarié ayant au moins deux ans d’ancienneté et licenciés par un employeur occupant habituellement 11 salariés ou plus, le juge doit octroyer une indemnité au salarié qui ne peut pas être inférieure à six mois de salaire (C. trav., L. 1235-3) et calculée sur la base de la rémunération brute du salarié.
A l’inverse, pour les salariés des entreprises occupant habituellement moins de 11 salariés ou pour les salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté, il était prévu que le licenciement non fondé justifie l’allocation de dommages-intérêts calculés en fonction du préjudice subi, apprécié librement par les tribunaux.
Indépendamment de l’aspect critiquable du quantum des indemnités, il est grave de constater que ce plafonnement aboutit à fondre l’appréciation des juges dans des considérations totalement abstraites, leur laissant pour seule latitude celle de prendre en compte - au titre de la situation du salarié - les données chiffrées que ce dernier représente, à savoir son ancienneté et l’effectif de l’entreprise dans laquelle il travaillait.
De ce point de vue là, c’est sans surprise qu’une telle mesure avait vocation à être censurée.
II. La décision du Conseil constitutionnel du 5 août 2015
"L’article 266 instituait un dispositif d’encadrement de l’indemnité octroyée par le juge au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse en fonction de deux critères : l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et les effectifs de l’entreprise. Le Conseil constitutionnel a jugé que si le législateur pouvait, afin de favoriser l’emploi en levant les freins à l’embauche, plafonner l’indemnité due au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, il devait retenir des critères présentant un lien avec le préjudice subi par le salarié. Si le critère de l’ancienneté dans l’entreprise est ainsi en adéquation avec l’objet de la loi, tel n’était pas le cas du critère des effectifs de l’entreprise. Le Conseil constitutionnel a en conséquence censuré l’article 266 pour méconnaissance du principe d’égalité devant la loi".
- Extrait de la Décision n° 2015-715 du 5 août 2015 du Conseil constitutionnel -
Le principe de la réparation intégrale du préjudice subi constitue l’un des principes fondamentaux du droit de la responsabilité civile.
"Toujours le préjudice, mais rien que le préjudice".
Le licenciement est aussi source de responsabilité civile, plus précisément d’une responsabilité contractuelle, quand l’employeur licencie sans cause réelle et sérieuse l’un de ses salariés.
Dans ce dernier cas, le salarié a le droit de solliciter l’allocation de dommages et intérêts.
L’appréciation de ce préjudice ne peut bien évidemment se satisfaire des deux seuls critères retenus par la loi Macron.
C’est parce que chaque licenciement est différent, que le préjudice ne peut jamais être envisagé de la même façon.
En cela, il était pertinent de laisser à libre appréciation des juges le montant les dommages et intérêts à allouer en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse car cette liberté répondait à une considération d’équité.
Le contexte, l’âge, la situation de famille, le poste occupé par le salarié ; autant de facteurs qui sont susceptibles de faire varier le préjudice du salarié en cas de licenciement.
La décision du Conseil constitutionnel est ainsi sans appel : si le critère de l’ancienneté est un critère pertinent, il n’en va pas de même de celui relatif à l’effectif de l’entreprise.
Il s’agit même d’un critère choquant visant à favoriser la situation de certaines entreprises au détriment des autres et qui viole en conséquence le principe d’égalité devant la loi.
On le comprendra, cette censure vise tout autant à protéger le salarié que les entreprises concernées car c’est à l’égard de ces dernières que le Conseil constitutionnel fait référence au principe d’égalité devant la loi.
En revanche, le Conseil constitutionnel n’a pas rejeté le principe même du plafonnement des indemnités, jugeant qu’il était loisible au Ministre de favoriser l’emploi en levant certains "freins".
Il conviendra donc, si la mesure était à nouveau présentée, de redéfinir de façon plus précise et plus équitable les critères déterminant les différents seuils du barème.
Le Ministre de l’Economie ayant montré sa détermination à cet égard, il y a tout lieu de craindre, qu’à terme, un tel plafonnement entre en vigueur.