Le non respect du préalable amiable devant la CRA a d’irrémédiables conséquences pour le demandeur à l’action, car le délai de forclusion de deux mois prévu pour l’exercer, est souvent expiré lors du prononcé de l’irrecevabilité. La décision de la Caisse est alors définitive.
Par deux arrêts du 9 octobre 2014, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation nous apporte quelques précisions relatives, d’une part à l’objet du recours amiable (I) ; d’autre part au caractère impératif de ce recours, peu important l’inopposabilité du délai de forclusion (II).
I - Le recours amiable doit porter sur une décision expresse de l’organisme de Sécurité Sociale
Dans cette espèce [2], une assurée a adressé à une Caisse primaire d’assurance maladie, une demande de prise en charge en charge de deux maladies, au titre de la législation sur les risques professionnels. Il s’agissait d’un syndrome dépressif réactionnel et d’une myocardite virale. Suite au refus de prise en charge de la Caisse, elle a saisi une juridiction de sécurité sociale.
Devant la CRA, l’assurée contestait le refus de prise en charge de son syndrome dépressif réactionnel en tant que maladie professionnelle, faisant valoir que cette affection constituait un accident du travail. Elle contestait également le refus de prise en charge de sa myocardite virale en demandant que cette dernière, initialement considérée comme maladie professionnelle, soit requalifiée en accident du travail. Au surplus, la demanderesse à l’action sollicitait une reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Les juges du fond ont considéré que ces demandes étaient irrecevables, car l’assurée avait initialement déclaré pour chacune des deux pathologies, une maladie professionnelle et non un accident du travail.
Les mêmes faits ne peuvent constituer à la fois une maladie professionnelle, et un accident du travail ; la première obéissant à une logique évolutive plus ou moins lente, tandis que le second se caractérise par sa soudaineté.
La Cour de cassation devait alors répondre à la question de savoir si la recevabilité en justice, de la demande de reconnaissance d’une affection au titre de la législation professionnelle dépend de la nature de la déclaration initiale faite à la Caisse primaire ?
Par une interprétation stricte de l’article R.142-1 du Code de la sécurité sociale, les Hauts magistrats répondent par l’affirmative. Le premier alinéa du texte dispose que « Les réclamations relevant de l’article L.142-1 formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non salariés sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil d’administration de chaque organisme ». Aucune demande de prise en charge au titre d’un accident du travail n’ayant été formulée, il n’y avait pas eu de décision y afférente.
Outre les différences de conditions de prise en charge entre une maladie professionnelle et un accident du travail, l’assurée établissait qu’elle avait en réalité demandé une requalification de ses maladies professionnelles à la CRA. Sa demande de requalification était vouée à l’échec car, il n’entre pas dans les pouvoirs de la CRA de requalifier en accident du travail, une maladie professionnelle.
Ainsi, la réclamation portée devant la CRA, doit avoir pour objet une décision expresse de la Caisse.
L’argumentation de la demanderesse ne manquait pour autant pas d’originalité, car l’évolution lente et progressive d’une affection n’est pas nécessairement exclusive de la manifestation d’un évènement soudain. L’inverse est d’ailleurs également possible.
En pratique, lorsque les deux modalités existent, l’assuré doit opérer un choix. La reconnaissance d’une maladie professionnelle paraît plus contraignante que celle d’un accident du travail, car il faut en principe satisfaire aux conditions d’un des tableaux de maladies professionnelles.
Toutefois, ni le syndrome dépressif réactionnel, ni la myocardite virale ne figurent sur les tableaux actuels de maladies professionnels. Pour obtenir une prise ne charge, il aurait alors fallu que la victime présente un taux d’incapacité permanente d’au moins 25%, et qu’un Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) soit saisi pour avis [3].
A l’opposé, l’existence d’un fait lésionnel survenu au temps et au lieu du travail suffit à établir la réalité d’un accident du travail.
En présence d’une décision de la Caisse, peut-on s’exonérer du préalable amiable devant la CRA ?
II - Les conséquences du défaut d’information de l’organisme de Sécurité Sociale
Dans la seconde espèce [4], un assuré s’est vu refuser en 2009 et 2010, le remboursement de frais de transport par une Caisse primaire d’assurance maladie. Ces refus lui ont été notifiés par lettres simples des 20 octobre 2009 et 22 juin 2010. L’assuré a alors directement saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale, et s’est vu opposer par la Caisse, une irrecevabilité de ses demandes, pour non respect du préalable amiable prévu par l’article R.142-1 du CSS.
Les juges du fond ont rejeté cette irrecevabilité en considérant que par un courrier du 1er juin 2010, l’assuré établissait n’avoir reçu ni décision, ni remboursement, s’agissant de sa première demande. Par une lettre du 1er juillet 2010, le demandeur à l’action indiquait avoir reçu le courrier du 22 juin 2010, mais observait qu’il ne pouvait déposer de déclaration auprès de la CRA, faute d’information sur la période à laquelle correspondait ce courrier (2009 ou 2010).
Peut-on alors considérer qu’un défaut d’information de la Caisse exonère l’assuré du préalable amiable devant la CRA ?
Pour la Cour de cassation, il n’est pas possible de faire l’économie du recours amiable, notamment en matière de frais de transport. Peu importe l’inopposabilité du délai de forclusion ouvert pour exercer ce recours amiable.
Cette solution n’est pas surprenante. En revanche, elle permet d’illustrer des hypothèses dans lesquelles le bref délai de forclusion de deux mois ne court pas.
C’est le cas en premier lieu, lorsque la Caisse adresse ses courriers en lettre simple. Elle ne peut ainsi pas leur donner date certaine permettant de faire courir le délai de forclusion. Il faut toutefois réserver l’hypothèse dans laquelle l’assuré a réagi à cette lettre simple, ce qui prouve rétroactivement qu’il l’a reçue.
En second lieu, lorsque la Caisse ne répond pas à la demande d’information de l’assuré, destinée à lui permettre de former utilement son recours amiable, elle ne peut ensuite lui opposer la forclusion. Il faut rapprocher cette hypothèse de celle dans laquelle l’assuré ne réagit pas du tout à la notification de la Caisse, qui lui est adressée en lettre simple.
Les situations dans lesquelles les Caisses correspondent par lettre simple sont loin d’être rares. Cette situation peut permettre de faire valoir les droits d’assurés initialement peu sensibles aux conséquences d’une forclusion. D’un autre côté, il ne s’agit pas de prôner l’usage systématique de la lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
Enfin, il a été jugé que si la décision de la Caisse, susceptible d’une réclamation devant la CRA doit porter mention du délai de deux mois [5], il n’est pas exigé d’indiquer que ce délai court à peine de forclusion [6].
Discussions en cours :
Maître,
Très peu d’avocats sont référencés sur le net, quant au sujet des difficultés avec les refus de la CPAM.
L’article que vous avez publié démontre que vous vous en préoccupez.
Êtes-vous spécialisé dans le droit des assurés sociaux ?
Merci
Merci de cet éclairage particulièrement précis quant à la forclusion - sujet rarement traité autrement qu’à la marge et de façon théorique - en lien avec les pratiques REELLES des caisses.