Les négociations marquées du sceau de la justice contractuelle
La bonne foi
C’est sous l’égide de la bonne foi, désormais consacrée à l’article 1112 du Code civil, que les négociations devront se dérouler. Cette disposition est d’ordre public et ne peut dès lors souffrir d’aucune clause contraire.
Au demeurant, l’ordonnance vient confirmer la jurisprudence déjà bien établie antérieurement sur l’exigence du devoir de bonne foi (Cour Cass. Ch. Com. 18 janv. 2011, n°09-14.617 - Cour Cass. Ch. Com. 26 nov. 2003, n° 00-10.243, Bull. civ. IV n°186).
Si en cas de rupture fautive, la réparation du préjudice ne pourra pas compenser la perte les avantages attendus du contrat conclu, les praticiens ont tout le loisir de prévoir des clauses d’indemnisation dans les autres cas.
Le devoir d’information
Consacré à l’article 1112-1 du Code civil, le devoir d’information, également d’ordre public, est sûrement le point délicat de la réforme. Ce devoir semble s’adresser tout naturellement au cédant. Désormais le cessionnaire, souvent mieux informé au terme de l’audit d’acquisition, devra communiquer toute information « déterminante » du consentement du cédant.
Le devoir d’information relève donc de la propre initiative tant du cédant, que du cessionnaire.
Toutefois, il ne s’agit là que d’une information « effectivement détenue » par le débiteur du devoir d’information, et dont l’importance se révèlerait déterminante du consentement du cocontractant. Ainsi, l’estimation de la valeur de la prestation est exclue du champ du devoir d’information.
Ce devoir d’information ne dispense pas pour autant le cocontractant de la cession de l’obligation de s’informer lui-même, puisqu’encore faut-il que ce dernier ait ignoré l’information légitimement, limite naturelle au devoir d’information. Cette ignorance légitime s’apprécie selon l’activité du cocontractant et sa connaissance du secteur. Le cédant détenteur de titres peut ne pas faire partie des instances dirigeantes de la société et avoir accès légitimement à toutes les informations la concernant.
Du côté de la pratique, il est à prévoir que cette disposition d’ordre public aura pour conséquence la prohibition des clauses exclusives ou limitatives issues de la pratique anglo-saxonne. En effet, une clause visant à énumérer les informations devant être communiquées serait de ce fait limitatives, même si l’accord des deux parties a été recueilli.
Les clauses « déclarations et garanties » ainsi que la mention visant à prouver que toute l’information « connue » a été délivrée devraient se retrouver sans effet, ces dernières étant monnaie courante en matière de cessions de droits sociaux.
La victime de la violation de ce devoir d’information pourra demander réparation du préjudice (frais de justice, frais d’audits…) sans pour autant recevoir compensation pour la perte des avantages attendus du contrat à conclure, même si le rapport au président de la République laisse entendre que la réparation de la perte de chance de conclure un contrat avec une autre partie pourra être indemnisée. La nullité pourra également être envisagée si la violation du devoir d’information dégénérait en vice du consentement (réticence dolosive).
L’obligation de confidentialité
L’obligation de confidentialité est consacrée par la réforme à l’article 1112-2 du Code civil. Il faut retenir que les clauses de confidentialité ne seraient pas valides si elles venaient indirectement tenir en échec la délivrance d’une information « déterminante » du consentement de l’une des parties.
Sécurisation des avant contrats et incertitude laissée par l’introduction de l’action interrogatoire
La promesse unilatérale de vente
La clause d’exécution forcée ne devrait plus trouver sa place dans la promesse unilatérale de vente de droits sociaux consacrée à l’article 1124, mettant fin à la jurisprudence antérieure (Cour Cass. Ch. Civ. 3e, 15 déc. 1993, n° 91-10.199, Bull. Civ III n°174). Le cédant promettant ne pourra plus échapper à sa promesse en se rétractant avant l’expiration du délai d’option, cette rétractation ne faisant plus obstacle à la formation du contrat promis.
C’est la nouveauté majeure de cette réforme.
De même, le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul. Le praticien saura sécuriser sa promesse par le biais d’une notification aux tiers potentiellement intéressés par le contrat futur afin d’éviter tout débat sur le terrain de la preuve.
Le pacte de préférence
Il n’y a pas d’innovation majeure en matière des sanctions de la violation du pacte de préférence à l’article 1123 du Code civil. L’ordonnance permet toujours au bénéficiaire d’obtenir réparation de son préjudice dans le cas d’un contrat conclu avec un tiers en cas de violation du pacte de préférence. Le bénéficiaire souffrira toujours de la même difficulté à prouver que le tiers connaissait l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir pour obtenir la substitution au tiers dans le contrat ou la nullité de ce dernier.
Le bénéficiaire pourra là aussi sécuriser sa promesse par une notification aux potentiels tiers intéressés.
La réelle innovation se trouve dans l’introduction de l’action interrogatoire à l’article 1123 qui n’est pas sans laisser quelques incertitudes, de plus que ces dispositions sont applicables depuis le 10 février 2016.
Cette procédure permet aussi au tiers intéressé de demander au bénéficiaire de lui confirmer l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir.
Avant de rappeler les risques auxquels le tiers pourrait s’exposer en exerçant cette action, il est important de retenir qu’il ne s’agit là que d’une faculté. En effet, en demandant confirmation du pacte au bénéficiaire, le potentiel intéressé par la cession de droits sociaux établirait facilement la connaissance du pacte de préférence s’il venait à conclure le contrat en dépit de la confirmation du bénéficiaire.
En revanche, si l’intention du bénéficiaire n’était pas établie du fait d’un défaut de réponse à l’action interrogatoire dans un délai raisonnable, le tiers serait bien hâtif de conclure le pacte. Le bénéficiaire pourrait alors lui opposer une clause de confidentialité quant à l’existence du pacte, avis aux praticiens…
L’exécution du contrat, l’imprévision et la liberté contractuelle
Abandonnant la célèbre jurisprudence Canal de Craponne (Cour Cass. Ch. Civ. 6 mars 1876), l’ordonnance est venue redonner un domaine de prédilection à la théorie de l’imprévision dans les contrats à exécution successive, à l’article 1195 du Code civil.
Ainsi, les contrats translatifs de propriété, à exécution instantanée (comme par exemple la vente de biens quels que soient leur nature), ne devraient pas se voir appliquer le mécanisme de l’imprévision. La question de son application se pose, ce qui est souvent le cas en matière de cession de droits sociaux, lorsque les parties ont fait le choix de retarder le transfert de propriété au paiement du prix à terme. La réponse devrait être négative, car si les parties ont décidé de reporter l’exécution d’une de ces deux obligations (transfert de propriété et paiement du prix), il n’en demeure pas moins que demeure deux obligations uniques qui s’exécutent en un trait de temps. Le contrat de cession n’est alors pas transformé en un contrat à exécution successive (où l’obligation s’exécute tout au long de la durée de vie du contrat).
Toutefois, il n’est pas rare de trouver des contrats de cession de titres où la contrepartie du transfert des titres est une obligation de faire (maintien des emplois, durée minimum de détention des titres, restructuration de l’entreprise…), pouvant alors transformer le contrat en un contrat à exécution successive. Une réserve est alors permise et mérite d’attirer les professionnels sur les possibles conséquences. En effet, entre la conclusion du contrat et l’exécution de cette obligation de faire conditionnant le transfert des titres, la valeur des titres peut diminuer ou augmenter. La mise en œuvre du mécanisme serait envisageable.
Pour sa mise en œuvre, la partie invoquant l’article 1195 du Code civil devra prouver le changement de circonstances. Mais ce dernier devra aussi rendre l’exécution du contrat « excessivement onéreuse », dont l’appréciation de l’excès sera probablement laissée aux juges du fond, à moins d’avoir été prévue par les parties elle-même. Enfin, la partie l’invoquant ne devra pas en avoir assumé le risque, ce qui serait sûrement le cas en présence d’une clause d’earn out.
Enfin, cette disposition ne saura braver la volonté des parties puisque celles-ci pourront contractuellement écarter l’application de l’article 1195 précité, qui est une disposition supplétive. Les praticiens pourront ainsi prudemment prévoir la rédaction des clauses réputées de hardship ou material adverse change clauses.
Finalement, la réforme a modernisé notre cher droit des contrats, qui gagne en lisibilité et intelligibilité. La majorité des praticiens s’accordent à dire qu’elle rend hommage à la liberté contractuelle, n’ouvrant pas de nouvelles portes au forçage du contrat par le juge. Mais favorisant les clauses contractuelles supplétives, il est important d’attirer l’attention des professionnels des conséquences de ces dernières au regard de la réforme.