Comme l’écrit l’avocat général auquel était soumis le pourvoi ayant donné lieu à l’arrêt du 7 avril, « la faute établie du diagnostiqueur parait devoir entrainer ipso facto la réparation du préjudice dès lors qu’il est certain et justifié ».
Le lien de causalité est donc irréfragablement présumé. Aussi surprenante que soit cette solution, elle n’est que la conséquence de l’arrêt rendu par une chambre mixte de la Cour de cassation qui a mis fin à une divergence existant entre certaines de ses chambres en retenant que le diagnostiqueur qui manque à son obligation d’investigation est tenu d’indemniser l’acquéreur de l’intégralité du montant des travaux pour y remédier en résultant qui constituent un préjudice certain (Ch. Mixte, 8 juillet 2015, précité).
Ce faisant, la Haute juridiction refuse de prononcer sur le lien de causalité entre le défaut d’information de l’acquéreur auquel a été remis un diagnostic inexact et son préjudice.
En effet, bien que certains auteurs le contestent, le préjudice résultant d’un manquement à une obligation d’information ou de conseil ne peut être que la perte d’une chance de prendre une meilleure décision.
Pour s’en convaincre, il faut se rappeler que le propre de la responsabilité civile est « de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu » (Civ. 2ème, 23 novembre 1996, Bull. II, n°916). L’application de ce principe aux dommages résultant d’un manquement à une obligation d’information impose alors au juge de rechercher quelle aurait été l’attitude de la victime si elle avait été mieux informée.
Ainsi, en cas d’incertitude sur l’attitude qu’elle aurait adoptée, son préjudice doit être réparé par le mécanisme de la perte de chance (v. par exemple : Civ. 1re, 15 février 2005, pourvoi n°03-10835 ; Civ. 1re, 28 janvier 2010, pourvoi n° 09-10352).
Au contraire, lorsqu’il est certain que, sans manquement, la victime n’aurait pas choisi de donner suite à un projet ou aurait conclu à d’autres conditions et aurait évité le préjudice que lui a causé son échec, le dommage subi ne peut être qualifié de perte de chance et est réparé dans son intégralité.
S’agissant d’un diagnostiqueur immobilier auquel il est reproché d’avoir réalisé un état parasitaire incomplet, sa faute constitue à l’égard de l’acquéreur l’inexécution d’une obligation d’information. Dès lors, le seul préjudice qu’une telle faute est susceptible de causer consiste en la perte pour l’acquéreur de la possibilité de mieux négocier le prix de vente afin qu’il inclut le coût des travaux de reprise des désordres ou qu’il renonce à son acquisition.
Réunie en chambre mixte, la Cour de cassation a néanmoins considéré que quelles que soient les circonstances, il est toujours certain que l’acquéreur aurait obtenu une diminution du prix égale au coût des travaux de reprise. Ce faisant, la Cour de cassation présume de l’attitude de l’acquéreur et du vendeur et par conséquent du lien de causalité.
L’incohérence d’une telle solution prend tout son sens dans l’arrêt rendu le 7 avril dernier par la Cour de cassation. En l’espèce, une société avait acquis un immeuble en sachant que de l’amiante y était présent, sans avoir l’intention d’entreprendre des travaux de désamiantage. Ce n’est que lors des travaux de démolition de l’immeuble, six années après son acquisition, que cette société commande un nouveau diagnostic amiante qui révèlera que celui réalisé au moment de la vente était incomplet.
Les juges du fond ont considéré qu’il n’était pas certain que cette société eût pu obtenir une réduction du prix de vente correspondant au surcoût des travaux de désamiantage. De fait, le prix de vente tenait déjà compte de l’amiante puisqu’il avait été fixé au regard d’un diagnostic qui, bien qu’incomplet, révélait sa présence dans l’immeuble.
Ainsi, il était loin d’être certain que l’acquéreur aurait obtenu une réduction du prix équivalente au coût des travaux de désamiantage. D’autant qu’il avait manifesté son intention d’acquérir un immeuble malgré des traces d’amiante dans le but de le détruire, de sorte que l’ampleur réelle de sa présence paraissait secondaire.
La Cour de cassation refuse de se livrer à une telle analyse en replaçant l’acquéreur dans la situation où il se serait trouvé si le diagnostic avait été correctement effectué. Elle estime en effet que, dès lors qu’il est établi que le diagnostiqueur immobilier a réalisé un diagnostic incomplet, il doit être condamné à prendre à sa charge le coût des travaux de désamiantage.
Une telle solution revient à considérer que le diagnostiqueur immobilier est débiteur d’une sorte de garantie au profit de l’acquéreur l’obligeant à prendre à sa charge la totalité des travaux de reprise des désordres qui n’étaient pas prévus dans son diagnostic.
C’est cependant oublier que le diagnostiqueur n’est pas à l’origine de la présence d’amiante ou des termites qu’il n’a pas su déceler. Son diagnostic vise uniquement à informer l’acquéreur afin qu’il contracte en connaissance de cause. Il aurait alors fallu rechercher si mieux informé, l’acquéreur aurait pu obtenir une réduction du prix de vente.
Il est vrai qu’une telle analyse peut paraitre difficile mais sa difficulté ne doit pas justifier que l’on écarte les principes gouvernant la responsabilité civile. D’autant que ce raisonnement pourrait s’appliquer à l’ensemble des obligations d’information : leur inexécution doit-elle obliger son débiteur à garantir en toute hypothèse la qualité faussement promise, sans rechercher si le créancier aurait pu prendre une autre décision ? Cette question prend encore plus d’importance dès lors que la réforme vient créer une obligation générale d’information sans toutefois se prononcer sur la nature du préjudice en résultant.
A notre sens, la Cour de cassation n’a pas entendu rendre une solution de principe applicable à l’ensemble des obligations d’information. La solution retenue en matière de diagnostiqueur immobilier nous parait propre à cette profession comme le démontre le visa des arrêts (art. L.271-4 du CCH) Elle ne se rattache donc pas au droit commun de la responsabilité civile mais relève du droit spécial des diagnostiqueurs immobiliers et s’explique par des considérations de politique jurisprudentielle.
En effet, la pratique notariale est de stipuler des clauses excluant la garantie des vices cachés de sorte qu’en cas de diagnostic immobilier inexact, l’acquéreur ne peut agir contre son vendeur et est contraint d’agir contre un tiers, le diagnostiqueur immobilier. Dans un souci qui la caractérise de protection des particuliers opposés aux professionnels, la Cour de cassation a souhaité que les acquéreurs obtiennent la meilleure indemnisation possible en s’éloignant des principes gouvernant la responsabilité civile.
D’ailleurs, dans le communiqué accompagnant l’arrêt rendu en chambre mixte, la Cour de cassation prend soin de rappeler que les diagnostiqueurs immobiliers sont soumis à une obligation d’assurance. C’est toutefois oublier qu’en écartant la perte de chance, le montant des sinistres va augmenter ce qui va entrainer un accroissement du montant des primes qui sera répercuté sur le prix des diagnostics. C’est au final les particuliers que l’on cherchait à protéger qui vont payer les conséquences de la solution retenue par la Cour de cassation.