En tant qu’avocate ou pongiste, le mot d’ordre de Sarah Hanffou Nana reste le même : « Je ne lâche rien. Je donne tout ! »
Village de la Justice : Petite question préalable, Sarah Hanffou Nana, qui êtes-vous ?
Sarah Hanffou Nana : « Je suis métisse franco-camerounaise. J’ai grandi à Lille.
Actuellement avocate au barreau de Toulon, je suis également sportive de haut niveau (tennis de table).
En ce qui concerne le sport, j’ai participé à deux jeux olympiques (Londres et Tokyo) et j’essaye actuellement de me qualifier pour les JO de Paris 2024 qui seraient mes derniers. De 1998 à 2007 je concourais pour la France, depuis 2010 je joue sous les couleurs du Cameroun.
Je joue également en première division par équipe (Pro A) avec l’équipe de Quimper.
En ce qui concerne le droit, j’ai commencé mes études à l’Université de Lille 2 puis j’ai obtenu un master 2 en droit public approfondi à l’université d’Aix-en-Provence. J’ai terminé mes études par une thèse en droit public, toujours à l’Université d’Aix-en-Provence.
Durant ma thèse, je me suis engagée en tant qu’officier juriste dans l’armée de Terre. À l’issue de mon contrat de 5 ans dans l’armée, j’ai repris mes études en suivant la formation à l’école des avocats du Sud-Est (Marseille).
Aujourd’hui, j’exerce principalement dans deux domaines : la défense des professionnels de santé et le droit public ».
Comment conciliez-vous vos deux professions ? Et pourquoi avoir fait le choix de ne pas faire de choix entre les deux ?
« Je ne considère pas le tennis de table comme mon métier, c’est avant tout une passion. Je n’en vis pas. Bien au contraire, je finance moi-même une partie de mes compétitions.
Cette passion est essentielle dans ma vie. Cela me permet de me sentir bien physiquement, mais aussi mentalement.
Par ailleurs, je suis également passionnée par le droit. J’ai toujours eu besoin des deux dans ma vie. J’ai commencé le sport étude à l’âge de 12 ans avec un long séjour en Chine, puis j’ai intégré le CREPS de Wattignies et l’INSEP à 16 ans. Renoncer à l’un ou l’autre n’a jamais été une option.
Ceci étant, concilier les deux n’a pas toujours été simple. Je prends très peu de vacances, et j’ai un agenda très chargé, surtout avec les déplacements à l’étranger pour les compétitions. Je renonce à beaucoup de choses pour pouvoir mener les deux de front. Mais c’est aussi un énorme privilège d’avoir des passions et de pouvoir y consacrer du temps.
Enfin, j’ai beaucoup appris à l’armée en termes d’organisation, de priorisation et de rigueur. Je m’en sers dans mon quotidien.
Je me suis également entièrement digitalisée et ai mis en place un certain nombre d’outils (notamment d’automatisation) afin de gagner en productivité ».
Que vous apporte le métier de sportive de haut niveau dans votre vie d’avocate et inversement quels sont les bénéfices de l’avocature pour votre vie de sportive ?
« Le métier d’avocate est un métier passionnant, mais aussi très exigeant et très prenant. Pour tenir et pouvoir me sentir bien dans mon métier, j’ai besoin d’un équilibre en dehors. Cet équilibre, je le trouve notamment dans le sport.
En outre, dans le sport de haut niveau, il faut faire preuve de détermination, de discipline et d’organisation. Il faut être solide mentalement pour tenir, rebondir après les échecs et savoir se remettre en question même lorsque l’on gagne. On peut toujours progresser, s’améliorer.
Je suis convaincue qu’il en est de même dans le métier d’avocate. Cet état d’esprit que j’ai dans le sport, je l’ai également en tant qu’avocate. Je ne lâche rien. Je donne tout sur chaque dossier et je me remets constamment en question pour progresser et m’améliorer. Je le dois à moi-même et à mes clients.
De la même manière, le fait d’exercer en tant qu’avocate en même temps que d’être sportive de haut niveau me permet de mettre de la distance sur ce que je vis en tant qu’athlète. Cela me permet également de comprendre les enjeux autour du sport et, je crois, de mieux gérer ma carrière.
En réalité, et cela peut peut-être paraître paradoxal, être avocate en même temps que sportive de haut niveau, est certes une difficulté, mais aussi, une belle opportunité de donner une autre saveur à ma vie de sportive de haut niveau et à ma vie tout court ».
Selon vous, quelles sont les incidences des JO et Paralympiques 2024 sur notre droit national ?
« Les jeux ont un impact sur notre droit avec de nombreuses modifications du cadre législatif et/ou réglementaire opérées. Sur certains aspects, notre droit est modifié de manière transitoire, ou expérimentale, mais sur d’autres il s’agit d’une modification voulue sur le long terme.
La loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 est à cet égard très intéressante.
Cette loi a fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel qui a assorti de plusieurs réserves d’interprétation la déclaration de conformité des articles permettant le recours à des analyses génétiques dans le cadre des contrôles antidopage (article 5) et le traitement algorithmique des images collectées au moyen de la vidéoprotection ou de drones (article 10) (Décision n° 2023-850 DC du 17 mai 2023).
En ce qui concerne le dopage, l’article 5 permet au laboratoire accrédité par l’Agence mondiale antidopage en France de procéder, dans certains cas, à la comparaison d’empreintes génétiques et à l’examen des caractéristiques génétiques d’un sportif. Aucune période expérimentale n’est prévue, ces dispositions sont désormais inscrites à l’article L232-12-2 du Code du sport.
En ce qui concerne la sécurité, l’article 10 prévoit, pour les manifestations sportives, récréatives ou culturelles à titre expérimental jusqu’au 31 mars 2025, l’utilisation de la vidéosurveillance intelligente avec l’utilisation de traitements algorithmiques.
Par ailleurs, en matière d’urbanisme, il y a eu des adaptations non négligeables, notamment au regard des autorisations d’urbanisme nécessaires aux jeux (voir par exemple le Décret n° 2019-248 du 27 mars 2019) ».
Question "subsidiaire" : quand saurez-vous si vous êtes sélectionnée pour les JO 2024 ?
« Deux options :
- Un tournoi de qualification olympique début mai.
- Au classement mondial : 2ᵉ semaine du mois de juin 2024.
Actuellement n°79 mondiale, si je maintiens ce classement jusqu’à la date butoir, je devrais pouvoir me qualifier au classement. Pour maintenir ce classement, il faut toutefois participer encore à un minimum de 10 à 15 compétitions internationales, ce qui nécessite un budget minimum de 20 000/ 30 000 euros pour 2024 que je n’ai pas encore trouvé. Sans ce budget, il est donc fort probable que ma qualification se joue lors du tournoi de qualification olympique début mai 2024 ».
(Crédits photo : @WTT)