Village de la Justice : Pourquoi un tel choix de vie professionnelle (et donc personnelle) ? Pourquoi le barreau de Stuttgart ?
Daniel Smyrek : « Après avoir effectué mon service militaire au sein de la brigade franco-allemande, il m’est apparu comme une évidence que je souhaitais étudier le droit en France et en Allemagne. J’ai passé mon deuxième examen d’État, qui correspond à peu près au CAPA, à Tübingen, une ville universitaire située à proximité de Stuttgart. C’est à Stuttgart que j’ai entamé mon parcours professionnel, d’abord au sein du département juridique d’une grande banque, puis dans un cabinet d’avocats d’affaires.
J’ai eu la chance d’être accepté comme collaborateur par l’un des premiers avocats français établis en Allemagne, Jean-Gabriel Recq. J’ai beaucoup appris de lui ; il était une figure emblématique du monde des avocats franco-allemands. Malheureusement, il nous a quittés il y a quelques années.
Par ailleurs, Stuttgart est l’un des centres industriels les plus importants d’Allemagne. La ville abrite plusieurs fleurons de l’industrie allemande, tels que Mercedes-Benz, Daimler Truck, Bosch et Porsche. En plus de ces géants industriels, Stuttgart et l’ensemble du Bade-Wurtemberg comptent de nombreuses entreprises familiales dynamiques, souvent désignées comme des « hidden champions ».
Grâce à sa proximité géographique et culturelle avec l’est de la France et la Suisse, le Bade-Wurtemberg a toujours entretenu des relations étroites avec ses voisins d’outre-Rhin. Pour un avocat spécialisé dans le droit franco-allemand, Stuttgart est donc un lieu d’exercice idéal. De plus, grâce au TGV, Paris est accessible en un peu plus de trois heures ».
Quel(s) intérêt(s) à exercer dans deux barreaux, dont l’un à l’étranger, que ce soit pour l’avocat lui-même ou ses clients ?
« Au quotidien, j’accompagne régulièrement des entreprises françaises dans leurs relations commerciales avec des partenaires allemands, et inversement. Mon expertise couvre aussi bien le conseil en matière de contrats transfrontaliers que la représentation devant les juridictions étatiques et les tribunaux arbitraux.
Cette double inscription me permet d’expliquer à mes clients français et allemands les différences entre les systèmes juridiques des deux pays, non seulement en théorie, mais aussi en pratique.
Malgré l’harmonisation croissante du droit au sein de l’UE, des différences importantes subsistent entre nos deux systèmes juridiques, tant en droit matériel qu’en procédure civile, en règles de preuve et plus largement en culture juridique. Par exemple, la relation entre l’avocat et son client ainsi que celle entre confrères diffère notablement d’un pays à l’autre ».
Quelles sont les spécificités et les différences les plus marquantes entre votre appartenance à un barreau français et un barreau allemand, que ce soit dans l’exercice de votre profession (organisation, cadre juridique, formation, relation client...) ou dans leur approche du droit ?
« C’est une question vaste, et pour y répondre de manière exhaustive, il faudrait probablement écrire un livre.
Voici toutefois quelques différences marquantes. Les clients allemands sont généralement plus exigeants que les clients français en termes de réactivité. Souvent, ils attendent une réponse à un e-mail dans la journée, même si la question est complexe. En France, il semble plus admis qu’un client doive attendre une réponse plus longue. Entre avocats français, même en cas de litige, il existe un esprit de confraternité : on appartient au même corps. Cet esprit est moins marqué en Allemagne, où l’opposition entre les avocats des parties adverses est plus prononcée.
La manière de conduire un contentieux diffère également entre nos deux pays. En Allemagne, dans un litige en droit des affaires, il est assez probable que les parties trouvent un accord en cours de procédure. Les juges sont tenus de favoriser une résolution amiable et insistent souvent en proposant un compromis. Si un accord est trouvé devant le juge, celui-ci est confirmé par le tribunal. De plus, dans ce cas, les deux tiers des frais de justice –avancés au début du litige par le demandeur– sont restitués, et le tiers restant est réparti entre les parties. Le système incite également les avocats à favoriser une transaction, car ils perçoivent des honoraires supplémentaires selon le barème allemand ».
Quels conseils transmettriez-vous à un(e) avocat(e) tenté(e) par l’aventure de l’avocature dans deux barreaux, dont l’un à l’étranger ?
Si le/la candidat(e) est encore en formation, il/elle devrait essayer d’en effectuer une partie de sa formation dans ce pays, par exemple en réalisant le Projet Pédagogique Individuel (PPI) dans le cadre du stage d’avocat ».
Le parcours de Daniel Smyrek :
Titutlaire d’une maîtrise en droit international et européen à l’Université d’Aix-Marseille, ainsi que des deux examens d’État allemands et un doctorat à l’Université de Tübingen.
Certifié comme arbitre auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de Paris (CMAP).
Ses spécialisations portent sur le droit international des affaires et le droit de l’Union européenne. Le contentieux international et l’arbitrage occupent une place de plus en plus importante dans son activité.
Liens utiles :
- Directive (98/5/CE) du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 pour pouvoir exercer la profession dans un autre pays ;
- Directive (77/249/CEE) du Conseil du 22 mars 1977 tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats
- Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat ;
- Admission d’un avocat d’un État membre de l’Union européenne ;
- Vade-mecum de l’exercice international.