Conduire les auditions pour cartographier les risques d’atteintes à la probité dans la fonction publique.

Louis Mathevet Bidini,
Référent déontologue,
et
Morgane Brasselet Vincent
Psychologue du travail
Doctorant en droit public

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Explorer : # cartographie des risques

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Cet article présente une méthode d’audit pour identifier les d’atteintes à la probité dans les collectivités territoriales. Il met l’accent sur l’importance des entretiens pour recueillir des informations concrètes et sur la nécessité d’adapter les outils aux spécificités de chaque collectivité afin d'assurer une prévention efficace.
Description rédigée par l'IA du Village

La prévention et la lutte contre les atteintes à la probité (corruption, favoritisme, prise illégale d’intérêts, etc.) constituent un enjeu majeur pour les collectivités territoriales. Pourtant, de nombreux guides méthodologiques existants se limitent à des principes généraux, sans offrir de trame concrète pour mener des audits auprès des agents. Or, l’audit - par le recueil d’informations de terrain, l’évaluation des pratiques et la connaissance précise des processus - est un outil déterminant pour élaborer une cartographie des risques adaptée à chaque contexte.

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Dans cet article, nous vous proposons une méthodologie d’entretien et une liste de questions clés à poser lors de l’audit, dans le but de dresser une cartographie détaillée des risques d’atteintes à la probité au sein de votre collectivité.

L’élaboration d’une cartographie des risques d’atteintes à la probité dans les collectivités territoriales s’est progressivement imposée à la suite de la loi du 9 décembre 2016, dite loi Sapin II, qui encourage la mise en œuvre de programmes anticorruption et recommande l’identification formalisée des zones de vulnérabilité. Les orientations délivrées par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, notamment dans son « Guide déontologique. Manuel à l’usage des responsables publics et des référents déontologues » [1], et par l’Agence Française Anticorruption dans ses divers documents de référence (dont le « Guide pratique à destination des Régions. Mettre en place un dispositif de maîtrise des risques d’atteintes à la probité » [2], « Les recommandations de l’AFA  » ou encore le « Guide pratique à l’attention des élus du bloc communal » [3]), s’accordent sur l’importance de la cartographie comme outil préventif et pédagogique. Les collectivités disposent ainsi de ressources méthodologiques pour aborder cette démarche, qu’il s’agisse de définir les étapes de l’identification, de l’évaluation et du classement des risques ou de distinguer les catégories d’actes susceptibles de relever de la corruption, du favoritisme ou de la prise illégale d’intérêts.

En revanche, ces divers guides se concentrent largement sur l’objectif final que constitue la cartographie elle-même, plutôt que sur les moyens de recueillir l’information la plus précise possible auprès des agents et des élus. Il en résulte une carence notable sur la conduite concrète d’investigations internes, alors même que l’implication de la base opérationnelle et la remontée de retours d’expérience constituent le socle de toute analyse pertinente. Les textes se bornent souvent à décrire la démarche d’évaluation du risque ou à recommander la création de dispositifs d’alerte et de contrôle, sans aborder précisément les modalités d’un audit structuré auprès des acteurs de terrain.

L’audit revêt toutefois une importance fondamentale dans la mesure où il s’agit d’un moment d’échanges et de confrontation des perceptions, permettant d’identifier les points de friction entre le droit, les règles internes et la réalité du fonctionnement administratif. Il contribue également à la sensibilisation des agents, lesquels prennent alors conscience de leur rôle dans la prévention des atteintes à la probité et de la nécessité d’interroger leurs pratiques quotidiennes. Or, aucune méthodologie de référence n’explique réellement comment organiser, conduire et exploiter ces entretiens individuels ou collectifs au bénéfice de l’élaboration d’une cartographie.

Cette absence d’indications se comprend en partie par la complexité d’un audit qui doit s’adapter à la structure, à la taille et aux compétences de chaque collectivité. Elle se justifie aussi par la crainte de concevoir un dispositif trop intrusif ou trop lourd à mettre en œuvre. Pourtant, sans un recueil méthodique des informations, la cartographie produite risque de demeurer abstraite, voire cantonnée à un exercice formel. Les collectivités se trouvent alors confrontées à un paradoxe : d’un côté, elles disposent d’outils opérationnels et théoriques pour définir les catégories de risques et évaluer leur probabilité d’occurrence ; de l’autre, elles peinent à formaliser les entretiens d’audit qui permettraient de calibrer exactement l’exposition de l’organisation à ces risques.

Si l’on considère que les guides de la HATVP, de l’AFA ou encore des associations d’élus insistent davantage sur la finalité que sur la conduite pratique de l’audit, il apparaît indispensable de combler ce manque. Les méthodes d’enquête et les questionnaires qualitatifs jouent un rôle décisif pour comprendre les dynamiques internes, les chaînes de décision, les seuils financiers de compétence ou encore la culture de tolérance à l’égard de comportements déviants. L’entretien mené dans un cadre rassurant, respectueux du secret professionnel et des règles de confidentialité, s’avère le moyen privilégié pour récolter des témoignages factuels et recueillir des propositions d’amélioration.

En pratique, la réalisation d’un audit rigoureux suppose d’observer les spécificités de la collectivité, d’élaborer un plan d’entretiens adapté à la diversité des métiers et des fonctions, et de garantir une neutralité dans la collecte et l’interprétation des données. Cette posture neutre demeure la clé de voûte de la fiabilité des informations et du respect des principes déontologiques, lesquels incluent la protection de la personne interrogée et la valorisation du retour d’expérience. Par la suite, l’analyse croisée de ces données qualitatives, associée à une lecture précise des processus internes et à l’examen des mécanismes de contrôle existants, permet d’enrichir sensiblement le diagnostic.

Ce n’est qu’au prix d’une telle démarche que la cartographie des risques de probité, au-delà de la stricte complétude juridique et réglementaire, pourra susciter une réelle dynamique de prévention et d’adhésion. C’est pourquoi il importe aujourd’hui de concevoir des méthodologies d’audit adaptées aux collectivités, afin que ces dernières puissent s’approprier pleinement les recommandations de la loi Sapin II, des guides de la HATVP et de l’AFA, tout en assurant une participation active de leurs agents et une intégration effective de la dimension déontologique dans la gestion de leurs activités courantes.

Aussi, il est conseillé d’avoir pris connaissance de l’article "Nécessité de concilier la cartographie des risques déontologiques avec l’évaluation des RPS dans les collectivités locales", qui offre une perspective éclairante quant à l’intérêt d’embrasser conjointement la lutte contre les manquements à la probité et la préservation de la santé psychologique des agents. En associant l’analyse des risques déontologiques aux indicateurs des risques psychosociaux, il devient en effet possible d’évaluer de manière plus fine les probabilités d’occurrence de faits de corruption ou de favoritisme, tout en veillant à prévenir les facteurs susceptibles de fragiliser les équipes dans leur travail quotidien.

Dans la continuité de ces réflexions, il apparaît opportun de proposer un ensemble de questions d’audit permettant de recueillir les perceptions et les informations directement auprès des agents et des décideurs, afin de nourrir la future cartographie des risques d’atteinte à la probité. Ce modèle demeure toutefois adaptable aux spécificités de chaque collectivité, de sorte que les responsables publics peuvent l’enrichir, le simplifier ou l’approfondir selon les caractéristiques organisationnelles et la culture interne de leur entité.

Questions d’audit.

I) Connaissance et compréhension des règles de probité.

1. Connaissez-vous les règles et obligations relatives à la probité (code de conduite, charte éthique, règlement intérieur) applicables dans la collectivité ?
Quel document ou référentiel suivez-vous à ce sujet ?
2. Avez-vous déjà reçu une formation ou une sensibilisation sur les risques d’atteinte à la probité (corruption, conflits d’intérêts, cadeaux, etc.) ?
Si oui, quand et sous quelle forme ?
Quels points vous semblent encore flous ou insuffisamment couverts ?
3. Pouvez-vous citer des situations considérées à risque dans votre service ?
Dans quelle mesure estimez-vous être équipé·e pour y faire face (documentation, procédure…) ?

II) Culture interne et exemplarité.

4. Quel est, selon vous, le degré d’engagement de la direction dans la prévention des atteintes à la probité ?
Ressentez-vous un soutien, une volonté forte de « tolérance zéro » vis-à-vis des comportements à risque ?
5. Comment percevez-vous la culture d’exemplarité au sein de votre collectivité ?
Les responsables hiérarchiques adoptent-ils eux-mêmes un comportement exemplaire ?
6. Y a-t-il, selon vous, un climat de confiance qui permet de signaler sans crainte une situation à risque ou un manquement à la probité ?
Qu’est-ce qui pourrait être amélioré pour renforcer cette confiance ?

III) Identification des risques et situations sensibles.

7. Quelles sont, selon votre expérience, les principales activités ou tâches de votre poste/mission où il y a un risque accru (passation de marchés, subventions, délivrance d’autorisations, etc.) ?
Pourquoi considérez-vous ces tâches comme plus à risque ?
8. Pouvez-vous décrire les mécanismes ou procédures de contrôle internes existants pour prévenir les situations à risque dans votre service  ?
Les considérez-vous suffisants, efficaces ? Si non, pourquoi ?
9. Avez-vous déjà constaté ou eu vent de pratiques potentiellement contraires à la probité (cadeaux excessifs, avantages indus, favoritisme…) ?
Comment avez-vous réagi ou comment auriez-vous souhaité réagir dans ce cas ?
10. Avez-vous connaissance de cas avérés d’atteintes à la probité survenus dans la collectivité (ex. corruption, détournement de fonds, favoritisme avéré) ?
Pouvez-vous décrire brièvement les faits (en restant factuel, sans citer de noms si cela doit rester confidentiel) ?
Savez-vous comment ces cas ont été gérés (enquête interne, sanctions, poursuites…) ?
11. Quel a été l’impact de ces éventuels cas sur la réputation du service et/ou sur la confiance au sein de l’équipe ?
Selon vous, la collectivité a-t-elle tiré des enseignements de ces affaires pour améliorer ses dispositifs de prévention ?

IV) Gestion des conflits d’intérêts et cadeaux.

12. Existe-t-il une procédure claire pour déclarer ou gérer les conflits d’intérêts dans votre collectivité (ex. auto-évaluation, déclaration d’intérêts, retrait ou « recusal ») ?
À quelle fréquence est-elle mise à jour ?
13. Comment gérez-vous, dans votre service, la question des cadeaux, invitations ou avantages offerts par des tiers (fournisseurs, partenaires, usagers) ?
Savez-vous jusqu’à quel montant ou dans quelles circonstances un cadeau est acceptable ?
14. Que se passe-t-il si un agent se trouve en conflit d’intérêts ?
Quel protocole ou quelle procédure êtes-vous censé·e suivre ?

V) Processus et contrôles internes.

15. Décrivez les principales étapes de validation ou de contrôle pour les procédures sensibles (achats, commande publique, recrutements, etc.).
Ces étapes sont-elles systématiquement respectées ?
Y a-t-il un risque de contournement ou de simplification abusive de ces procédures ?
16. Quelle est votre perception du niveau de transparence dans les processus de décision (attribution de marchés, promotion interne, octroi de subventions, etc.) ?
Quelles améliorations suggéreriez-vous pour renforcer la transparence ?
17. Avez-vous déjà eu l’occasion de signaler un dysfonctionnement ou une anomalie dans le processus de contrôle interne ?
Comment s’est déroulé le suivi de votre signalement ?
18. Quel est le volume financier ou la typologie de dossiers/projets que vous gérez ou validez directement ?
Pouvez-vous nous donner une estimation des montants moyens ou annuels concernés ?
19. Avez-vous la possibilité d’autoriser ou de valider des dépenses, subventions ou marchés d’un certain seuil financier ?
Si oui, quel est ce seuil ?
À quels contrôles ou validations supplémentaires ces engagements financiers sont-ils soumis ?

20. Quelles relations entretenez-vous directement avec les fournisseurs, partenaires ou prestataires externes ?
Comment gérez-vous ces relations afin de limiter tout risque d’atteinte à la probité ?

VI) Dispositif d’alerte et de signalement.

21. Connaissez-vous l’existence d’un dispositif d’alerte (canal de signalement interne, référent déontologue, etc.) pour remonter des faits ou des suspicions de corruption ou de favoritisme ?
Si oui, savez-vous comment et auprès de qui signaler ?
22. Pensez-vous que ce dispositif d’alerte est suffisamment connu, confidentiel et protecteur pour les lanceurs d’alerte ?
Quels freins identifiez-vous à son utilisation ?

VII) Ressources et amélioration continue.

23. Disposez-vous d’outils, d’un guide ou d’un référent éthique/déontologue pour vous aider à traiter les questions relatives à la probité ?
Que manque-t-il pour mieux vous accompagner ?
24. À quelle fréquence et sous quelles formes aimeriez-vous être formé·e ou sensibilisé·e sur les questions de probité et d’éthique (formation en présentiel, e-learning, ateliers) ?
25. Avez-vous des suggestions pour améliorer la prévention et la détection des atteintes à la probité dans votre service ou au sein de la collectivité ?

VIII) Conclusion de l’entretien.

26. Y a-t-il un sujet lié à la probité ou à l’éthique que nous n’avons pas abordé et que vous souhaiteriez partager ?
Avez-vous des recommandations ou des pistes de réflexion complémentaires ?

Conseils pratiques.

  • Adapter les questions : en fonction du contexte, du poste occupé par l’agent et de la spécificité de la collectivité territoriale, certaines questions pourront être plus ou moins pertinentes ou devront être reformulées.
  • Favoriser l’échange libre : laissez l’agent développer ses réponses, partager des exemples concrets, des ressentis ou des anecdotes pour mieux cerner les risques concrets.
  • Veiller à la confidentialité : rassurez l’agent sur la confidentialité de l’entretien et sur l’utilisation des informations recueillies.

En somme, la mise en place d’audits structurés et adaptés à chaque collectivité constitue un levier essentiel pour renforcer la prévention des atteintes à la probité. En combinant les retours d’expérience des agents avec une analyse approfondie des processus internes et des RPS, les collectivités peuvent construire des cartographies de risques à la fois pertinentes et opérationnelles. Cette démarche proactive contribue non seulement à sécuriser les décisions publiques, mais également à instaurer une culture de transparence et de confiance, garante du bon fonctionnement des services publics.

Aussi, dans le cadre de leur engagement pour promouvoir une gouvernance exemplaire et renforcer l’intégrité dans les administrations publiques, un outil gratuit et clé en main de cartographie des risques d’atteinte à la probité est proposé par l’AP2DFP (Association pour la Promotion Et Le Développement de la Déontologie dans la Fonction Publique). Cet outil a été conçu pour aider les collectivités et les administrations à structurer efficacement leur démarche de prévention des risques.

Louis Mathevet Bidini,
Référent déontologue,
et
Morgane Brasselet Vincent
Psychologue du travail
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