Sexisme et discriminations au détriment des avocates : des problèmes persistants.

Sexisme et discriminations au détriment des avocates : des problèmes persistants.

Rédaction du Village de la Justice.

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Explorer : # Égalité professionnelle # inclusion # responsabilité sociétale

Le retentissement et la durabilité des comptes sur les réseaux sociaux [1] dédiés au recueil de témoignages et dénonçant des agissements sexistes au sein de la profession sont pour le moins préoccupants. Les chiffres attestent également de la prédominance du genre et de la grossesse comme motifs prépondérants des discriminations des avocates. Évidemment, ces données n’ont pas vocation à représenter le comportement de tous ses membres, mais elles révèlent, en dépit des actions menées, que bien du chemin reste encore à parcourir…

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Sexisme et discrimination des avocates : peut (bien) mieux faire !

Les constats et les chiffres issus des enquêtes réalisées sont éclairants sur la persistance des phénomènes du sexisme et des discriminations subis par les avocates.

1. L’enquête du Défenseur Des Droits (2018) [2]

Cette enquête révélait les éléments suivants :
- la profession se caractérise par des inégalités marquées entre les femmes et les hommes, qu’il s’agisse des statuts d’exercice, des secteurs d’activité et des revenus ;

- les femmes avocates rapportent plus souvent que leurs confrères, et plus souvent que dans d’autres professions, avoir vu leur travail ou leurs compétences non reconnus, dévalorisés ;

- 72 % des femmes et 47 % des hommes rapportent avoir été témoins de discriminations à l’encontre de leurs collègues, principalement de discriminations sexistes (rapportées par 52 % des femmes et 25 % des hommes) ;

- les femmes avocates rapportent plus de discriminations que leurs confrères et que leurs homologues féminines en population générale.

2. Le 3ᵉ volet du baromètre des droits du Barreau de Paris (2021)

Ce baromètre mis en place par bâtonnier Olivier Cousi dans le cadre de l’opération « Sentinelles des libertés » faisait un focus sur les discriminations et le harcèlement au sein de la population française et au sein de la profession :
- 29 % des avocats du barreau de Paris disaient avoir été témoins ou victimes d’un comportement discriminatoire,

- notamment en raison de la grossesse (50 %), du genre (42 %) et de l’apparence physique (41 %).

3. L’ Enquête collaborateurs du CNB (2022)

La partie de cette enquête relative au harcèlement et aux discriminations établissait clairement que :
- les femmes sont les premières touchées et plus fortement du fait de leur grossesse pour celles qui exercent dans les plus gros cabinets ;

- 61,5 % des collaborateurs sondés ont été victimes de harcèlement ou de discrimination en lien avec la grossesse, laquelle représente 30 % de l’ensemble des discriminations ;

- les discriminations liées à la grossesse et à l’âge s’expriment davantage en-dehors de Paris : les discriminations liées à la grossesse montrent que 36 % les subissent en province, 18 % à Paris.

4. Sondage de la ComHaDis (2022)

Selon le sondage réalisé par la Commission Harcèlement et Discriminations du barreau de Paris :
- près de la moitié des répondants (44 %) indique avoir été témoins de discrimination (dont 81% dans les cinq dernières années) ;

- 27 % des personnes ayant répondu au questionnaire disent avoir été victimes de discriminations (79 % dans les cinq dernières années) ;

- le premier motif de discrimination évoqué est l’identité de genre (40 % des discriminations), puis la grossesse (31 %).

Pour comparaison :

Le Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes, dans son rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France [3] révèle des constats inquiétants.

Une immense majorité des répondants (93 %) au Baromètre 2023 a constaté des inégalités de traitement, estimant que les femmes et les hommes ne connaissaient pas le même traitement dans au moins une des sphères de la société (travail, espace public, école, famille...). Le monde professionnel comme particulièrement sexiste : seule 20 % de la population estime que les femmes et les hommes y sont égaux en pratique, un score en baisse de 3 points par rapport à l’année précédente.

En dépit d’avancées juridico-politiques incontestables en matière de droits des femmes et en dépit d’une sensibilité toujours plus grande aux inégalités et aux violences depuis #MeToo, « les biais et les stéréotypes de genre, les clichés sexistes et les situations de sexisme quotidien continuent d’être banalisés ».

Des engagements, de la volonté et des actions menées.

La prise en considération des enjeux de la diversité et de l’inclusion au sein de la profession d’avocats est ancienne ; de nombreuses actions des institutions représentatives en attestent.

Sans prétendre à l’exhaustivité, citons :

Du côté des règles déontologiques, les choses ont également évolué.

Mentionnons notamment :

  • 2015 - 2018/2019 : ajout des principes d’égalité et de non-discrimination au sein du Règlement intérieur du barreau de Paris (RIBP) [8] et Règlement intérieur national (RIN) [9] ;
  • 2019/2020 : à la suite des États Généraux de la profession d’avocat, mise en conformité les dispositions du RIN relatives notamment au congé maternité avec les textes en vigueur [10] ;
  • Sept. 2022 : Rapport d’information du groupe de travail harcèlement/discrimination du CNB, qui propose et travaille sur des solutions « pour remédier à ces situations » et « faire évoluer la prise de conscience de ces phénomènes par les membres de la profession », avec trois axes d’amélioration : formation, procédure et communication. Sans oublier l’annexe 4, qui rappelle opportunément les règles applicables à la « Protection de la collaboratrice enceinte ou en retour de congé » ;
  • Déc. 2022 – Adoption de la proposition de féminisation des termes « bâtonnier », « vice-bâtonnier » et « avocat » au sein du nouvel article préliminaire du RIN [11], bien qu’elle ne fasse – à tort ou à raison – pas l’unanimité [12].

RSCA et management inclusif : des leviers à activer

Il importe de noter l’engagement indéniable de nombreux(ses) avocat(e)s en faveur de l’inclusion et de la diversité, dans le cadre de la communication sur les valeurs du cabinet et/ou de l’éventuelle formalisation d’une politique RSE.

Sur ce thème, voir le dossier du Journal du Village de la Justice n° 96.

Le modèle de charte proposé par le Guide du CNB sur la responsabilité sociétale des cabinets d’avocats (RSCA) [13].

Car en effet, au-delà des constats et des chiffres, peu valorisants pour la profession il est vrai, l’enjeu est surtout d’amorcer un changement des mentalités.
Pour cela, il sera probablement nécessaire de dépasser les stéréotypes et, peut-être, de se distancer des seuls quotas et index. Paradoxe de la valorisation des différences et limites du management de la diversité en effet, les approches purement juridique et quantitative restent stigmatisantes et provoquent - dans le monde des avocats comme ailleurs - tantôt la lassitude, tantôt l’irritation...

Il reste essentiel de sanctionner fermement les abus. Mais pour ce faire, la parole doit aussi se libérer. Et, pour cela, c’est peut-être aussi sur l’inclusion et sa traduction concrète qu’il faudrait miser. Par la formation aux enjeux et aux méthodes du management inclusif, de nouvelles perspectives pourraient peut-être utilement se dessiner, en contribuant à créer les conditions favorables pour que chacune et chacun se sente considéré(e) pour sa valeur et son savoir-faire en tant que personne, au-delà, d’ailleurs, de toutes les catégories que l’on peut nommer…

Note : en complément, sachez que le Conseil National des Barreaux a édité un Guide pratique intitulé « Le traitement des situations de harcèlement et de discrimination dans la profession d’avocat ». Il présente les textes applicables, les situations visées par la loi qui engendrent de la discrimination au sein du cabinet, les procédures à disposition des personnes victimes de harcèlement et de discrimination, la question de la preuve et les sanctions.

Rédaction du Village de la Justice.

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[1Voir not. Tumblr @Payetarobedavocate ; compte Twitter et Facebook @Payetarobe ; hashtag Twitter #jesuispasseparuncab ; Instagram @balance_ton_cabinet_d’avocat.

[7Notaires, Avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Greffiers des tribunaux de commerce et Commissaires de Justice.

[8Conseil de l’Ordre des avocats de Paris, séance du 9 juin 2015, à l’occasion de laquelle a été créée une infraction spéciale de harcèlement et de discrimination, complétée en séances des 9 janv. (agissements sexistes) et 6 mars 2018 (principe d’égalité). RIBP, anc. art. 1.6. et 1.7 ; renuméroté art. 1.0.2 et 1.0.3 en 2020.

[9RIN, art. 1.3 ; CNB, Ass. gén., 18 mai 2019, DCN n° 2019-001, JO 29 juin.

[11CNB, Ass. gén., 9 déc. 2022, DCN n° 2022-001], en qu’« outil au service de l’Égalité dans la profession » [[CNB, Ass. gén., 9 sept. 2022, Résolution sur l’avant-projet de DCN n° 2022-001

[13CNB, Commission Égalité, oct. 2021, Responsabilité sociétale des cabinets d’avocats, 2e éd. prend d’ailleurs bien en compte les enjeux des droits des femmes, en promouvant :
- la parité et l’accès des femmes dans le cabinet, en encourageant les « politiques volontaristes en matière d’égalité femmes/hommes » ;

- la parentalité, en rappelant que « la gestion de la famille (…) est une charge parentale dévolue tant à la femme que l’homme » ;

- l’engagement à ne pas diffuser, au sein des cabinets comme à l’extérieur, l’idée selon laquelle conciliation vie privée-vie professionnelle rne concerne que les femmes

L’outil d’autodiagnostic de ce même guide permet d’ailleurs de guider spécifiquement les cabinets dans l’établissement de leur état des lieux en matière d’égalité professionnelle homme-femme et de lutte contre le harcèlement et les discriminations.

« Proposant une politique sociétale proactive, privilégiant le facteur humain fondement essentiel de l’activité d’avocat, le Conseil national des barreaux invite, ainsi, les cabinets d’avocats à s’engager avec une réelle dynamique d’adhésion et de conduite du changement » [[ Conseil National des Barreaux, 26 oct. 2017, Responsabilité sociétale des cabinets d’avocats : publication d’une charte et d’un outil d’autodiagnostic..

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