L’enfer du juriste débutant...

Alexandre Cassagne, Juriste
juriste.cassagne chez gmail.com

Voilà un sujet qui frappe quantité de juristes mais qui semble presque tabou aujourd’hui dans le monde juridique, celui de l’enfer du juriste débutant.
En effet, de nos jours, l’étudiant en droit n’est presque jamais prévenu qu’en dehors de la réussite d’un concours de fin d’études (CRFPA, magistrature, concours administratif...), son chemin vers un premier emploi sera presque aussi simple que celui d’Orphée pour retrouver son Eurydice.

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Il s’agit en effet, d’un parcours semé d’embûches durant lequel seuls les plus chanceux ou les plus persévérants pourront espérer toucher le précieux sésame : un travail de juriste.

1ère embûche : Le juriste débutant n’est pas un juriste junior !
90% des offres d’emplois proposées aux jeunes juristes sont destinées aux juristes dits "juniors" ; or, ne vous y trompez surtout pas, juriste junior et juriste débutant ne sont absolument pas synonymes. Le juriste junior doit posséder entre 1 et 3 ans d’expérience dans une fonction similaire à l’offre d’emploi. Quid de vos stages ? Là encore, les désillusions s’enchaînent, vos stages, en dehors d’une longue durée (comptez environ 6 mois) ne sont que très peu/ou pas pris en considération par les entreprises. Or, tout étudiant sait qu’il est très difficile de faire un stage sur une période aussi étendue tout en faisant des études.

2ème embûche : le réseau
La 1ère difficulté et la 2nde diffculté vont presque de paire. En effet, il est légitime de se demander comment il est possible de passer du statut de juriste débutant à celui de juriste junior, si presque aucun poste de juriste débutant n’est proposé sur le marché de l’emploi ? La réponse est : le réseau. Là encore l’écart se creuse entre le juriste qui a la chance d’avoir de la famille ou des amis biens placés dans le monde juridique et celui qui n’en a pas. Il faut être conscient, que bon nombre de postes de juristes débutants sont proposés directement par le biais de connaissances et ne figurent ainsi jamais sur le marché de l’emploi.

3ème embûche : Le choix de son Master 2
Aujourd’hui peu de domaines dans le droit sont véritablement porteurs en terme d’emploi pour des juristes. Il vaut mieux donc prioriser le droit social, le droit des affaires, le droit bancaire, voire le droit de la propriété intellectuelle. Mais là encore, ne croyez pas votre directeur de Master sur parole, celui-ci étant souvent prompt à vous faire croire que son Master est le meilleur et qu’il vous conduira à un travail garanti. En dehors de certains Masters biens spécifiques (DJCE, LLM...), un Master 2 de droit des affaires par exemple ne vous garantira absolument pas un poste de juriste d’affaires, même si la faculté dans laquelle vous l’avez obtenu est réputée.

4ème embûche : La concurrence
Il faut vous y préparer, la concurrence est rude, très rude. Avoir un Master 1 ou un Master 2 de droit vous aura coûté au moins 5 ans d’études, mais à la sortie, vous serez loin d’être seul. Les offres d’emplois pour les juristes font partie de celles qui reçoivent le plus de réponses. A partir de là, il est important d’être conscient que son CV sera comparé à au moins des dizaines d’autres CV. Autant de concurrents parmi lesquels, là encore, l’expérience prime. Ce sont ces candidats expérimentés qui vous feront de l’ombre, ceux-ci étant plus rentables car plus rapidement opérationnels.
A cela s’ajoute le fait que de plus en plus d’entreprises et cabinets préfèrent recruter des titulaires du CAPA en tant que juristes à la place des "simples" juristes.

5ème embûche : la mobilité
Je le répète, si l’offre pour juriste junior existe réellement, celle pour juriste débutant est presque inexistante. Il est donc fortement déconseillé de faire la fine bouche et il est indispensable de ratisser le plus large possible ! Il ne faut donc pas hésiter à être mobile, même si, malheureusement, les villes donnant le plus leur chance aux débutants sont celles qui ont le moins de candidats, donc pas forcément celles qui vous faisaient rêver.

6ème embûche : Accepter de revoir ses exigences
Le juriste débutant devra presque systématiquement être capable de revoir ses exigences à la baisse. Tout d’abord, il ne devra pas rechigner à travailler dans un domaine qui n’est pas du tout sa spécialité initiale. Ensuite, les entreprises sont conscientes de la concurrence et n’hésiteront pas à essayer de recruter en cherchant à obtenir un juriste pour un salaire minimum.

7ème embûche : le manque de préparation à la réalité de l’emploi
Cet article a pour principal objectif de tirer la sonnette d’alarme. Désormais, un bon bac+5 en droit accompagné de stages d’été en cabinet n’est pas véritablement suffisant. Beaucoup de diplomés Bac+4 ou +5 finissent par faire du secrétariat juridique, qui ne nécessite pourtant qu’un Bac+2. J’apporte d’ailleurs une critique au monde universitaire, qui a énormément de mal à préparer ses futurs étudiants à cette réalité. D’un point de vu comparatif, au sein des bonnes écoles de commerce, il est fait en sorte que les étudiants soient professonnellement opérationnels dès la fin de leurs études. A l’inverse, en droit, même au sein des Master dits "professionnels", le théorique a tendance à toujours primer sur la pratique. Ainsi, beaucoup d’étudiants s’aperçoivent, en finissant leurs études, qu’ils ont seulement acquis le raisonnement juridique. En revanche, tous les actes relevant de la pratique leur sont totalement étrangers.

Si ce constat est une réalité, je ne cherche pas à désespérer tous les jeunes juristes à la recherche d’un poste. La tâche est ardue mais pas impossible.

De plus, pour les étudiants qui liraient cet article, je ne peux m’empêcher d’attirer leur attention car des solutions existent. Ainsi, bien que ce genre de Master ne soit que très rarement proposé, un Master en alternance est, à titre d’exemple, un excellent moyen de se professionnaliser tout en continuant ses études. Egalement, il est essentiel de ne pas négliger les langues étrangères, plus particulièrement l’anglais (attention : un véritable anglais opérationnel et juridique). Enfin, n’hésitez pas à consulter, dès maintenant, les offres présentes sur internet afin de vous faire une idée des branches du droit qui recrutent le plus...

Alexandre Cassagne, Juriste
juriste.cassagne chez gmail.com

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Discussions en cours :

  • par Eric , Le 18 octobre 2016 à 18:13

    Bravo monsieur, pour votre regard perspicace sur cette situation malheureuse. Je regrette de n’avoir pu trouver qu’un seul article de vous car vous écrivez bien et avec des mots justes. Je vous encourage vivement à poursuivre vos articles si vous en avez le temps, surtout s’ils sont tous aussi réussis que celui-ci.

  • Je suis diplômée depuis bientôt 2 ans. Je suis prête à partir vivre n’importe où en France. Je me suis concentrée sur la recherche de CDD pour pouvoir multiplier les expériences. J’accepte également de travailler dans un domaine qui est différent de mon master 2 donc différent du droit bancaire. Je me débrouille plutôt bien en anglais et l’espagnol ne me fait pas peur. Je crois faire preuve de souplesse et d’adaptabilité mais ce n’est visiblement pas suffisant.

    Je n’ai toujours pas décroché mon premier emploi. Toutes les offres auxquelles j’ai pu postulée on refusé ma candidature. Les entretiens que j’ai pu passer n’ont pas étés concluants.

    Je me suis remise en cause en essayant des approches différentes du marché de l’emploi mais rien n’y fait. C’est assez frustrant d’être diplômée à un certain niveau et de voir que les portes se ferment. Je ne demande juste à avoir ma chance, à essayer.

    Je me reconnait que trop bien dans cet article. Je suis prête a apprendre il faut juste qu’une entreprise accepte de nous laisser une chance à nous juristes débutants !

    • par Camille , Le 13 octobre 2016 à 16:29

      Désolée de vous le signaler mais cela pourrait vous aider : attention à l’orthographe. Si vous faites autant de fautes dans vos candidatures, cela pourrait être un début d’explication à vos difficultés.

  • par FRANCK Jérôme , Le 12 octobre 2016 à 16:41

    cher Monsieur

    bravo pour votre analyse pertinente et en phase avec la réalité. Mais il faut garder espoir la génération du baby boom va partir à la retraite, les besoins dans une société de plus en plus régulée sont croissants et les jeunes motivés saurant se faire une place

  • par cahuzac , Le 6 octobre 2016 à 17:37

    Tristement vrai.
    Beaucoup finissent chez Pôle emploi, en intérim ou partent à l’étranger.
    Et que dire si un juriste souhaite faire évoluer son parcours sur un autre domaine juridique : là aussi c’est un casse-tête.

  • par LBAKH , Le 30 septembre 2016 à 21:41

    c’est tellement vrai malheureusement ! On ne le dira jamais assez : les facs de droit ne prépare pas assez l’étudiant à la réalité du marché. En tout les cas c’est très parlant pour ceux, comme moi, de la génération avant la réforme LMD, du temps où il n’y avait pas le boum LinkedIn et la révolution numérique. Aujourd’hui avec la circulation de l’information et des articles comme celui là, j’ose espérer que les étudiants sortants seront avertis. Bonne chance à vous :-)

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