Extrait de : Ydès Avocats

Epilogue d’une décennie de bataille judiciaire dans le dossiers des prêts consentis par BNPPPF.

Par Stéphane Szames, Avocat.

2433 lectures 1re Parution: Modifié: 4.4  /5

Explorer : # prêts en devises # clauses abusives # risque de change # contentieux bancaire

Dans le dossier communément appelé « prêt Helvet Immo » et 11 ans après les premières assignations, la 9ème Chambre du Tribunal Judiciaire de Paris, toutes sections confondues, a enfin rendu dix jugements à la motivation identique [1]. Ces jugements faisant eux-mêmes suite à un arrêt très attendu, de la Cour d’appel de Paris en date du 22 mars 2023 [2].

-

Le fait que la 9ème Chambre du Tribunal Judiciaire de Paris se soit réunie toutes sections confondues, est évidemment rarissime, et doit donc être souligné tant il révèle l’importance et la solennité des décisions qui ont été rendues.

Pour mémoire, entre mars 2008 et janvier 2010, BNP Paribas Personal Finance (ci-après « BNPPPF ») a commercialisé, via un réseau d’intermédiaires, un prêt adossé au franc Suisse, aux fins de financer des investissements locatifs et à la marge, l’acquisition de parts de SCPI.

Plus précisément, BNPPPF a commercialisé un prêt remboursable en euros mais dont la monnaie de tenue de compte, est le franc Suisse.

L’argument de vente étant, selon la banque, la stabilité historique entre l’euro et le franc Suisse.

La crise des « subprimes » démarrée en août 2007, dont BNPPPF n’ignorait évidemment pas l’existence, a entraîné une forte dépréciation de l’euro vis-à-vis du franc Suisse et a ainsi plongé tous les emprunteurs de ce prêt dans une spirale infernale consistant à voir augmenter le capital restant dû, nonobstant les remboursements mensuels…

C’est dans ces conditions que de nombreux emprunteurs ont dû se résoudre dès octobre 2012, à s’en remettre à justice, afin que soit « réparé » un préjudice ne cessant de croître.

C’est donc un contentieux civil de masse qui a été initié auquel s’est « agrégé » un contentieux pénal qui a conduit le 26 février 2020 le Tribunal correctionnel de Paris à condamner BNPPPF pour pratiques commerciales trompeuses et recel de pratiques commerciales trompeuses (Jugement du Tribunal Judiciaire de Paris, 13ème Chambre correctionnelle, 26 février 2020).

La banque en a interjeté appel, les débats se sont déroulés durant 3 semaines devant le Pôle 2 Chambre correctionnelle 12 de la Cour d’appel de Paris ; le délibéré sera rendu le 28 novembre 2023.

Côté volet civil de ce dossier et après que des décisions défavorables aux emprunteurs aient été rendues [3], un véritable « tournant » s’est opéré sur l’initiative d’un magistrat de la 9ème Chambre du Tribunal Judiciaire de Paris, lequel a jugé nécessaire d’interroger la Cour de Justice de l’Union Européenne sur un certain nombre de questions relatives à la possible existence de clauses abusives dans le prêt Helvet Immo.

Par deux arrêts du 10 juin 2021 [4], la CJUE est venu rappeler aux juges nationaux, qu’outre le caractère imprescriptible de l’action en reconnaissance d’une clause abusive, le prêt Helvet Immo semblait revêtir toutes les caractéristiques des clauses abusives puisque la Cour soulignait que l’emprunteur doit être en mesure « de comprendre, dans le cadre de la souscription d’un prêt libellé en devise étrangère, le risque réel auquel il s’expose, pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la monnaie de compte » (paragraphe 72) et que « … sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, les clauses contractuelles en cause au principal semblent faire peser sur le consommateur, dans la mesure où le professionnel n’a pas respecté l’exigence de transparence à l’égard de ce consommateur, un risque disproportionné par rapport aux prestations et au montant du prêt reçus, puisque l’application de ces clauses a pour conséquence que le consommateur doit supporter le coût de l’évolution des taux de change à terme » [5].

C’est à l’aune de ces décisions préjudicielles, que la Cour de cassation a rendu, le 30 mars 2022, plusieurs arrêts, annonciateurs d’un revirement de jurisprudence certain en énonçant que l’action aux fins de constatation du caractère abusif d’une clause est imprescriptible et en cassant les arrêts d’appel qui avaient considéré que la banque n’avait pas manqué à son obligation d’information de l’emprunteur sur le risque de change induit par le contrat [6].

Cette position sera réitérée à l’occasion d’autres arrêts rendus par la juridiction suprême toujours à propos du prêt Helvet Immo [7].

Il restait donc aux juridictions de fond à tirer les conséquences des préconisations de la Cour de cassation.

C’est désormais chose faite avec les décisions rendues par la Cour d’appel de Paris et le Tribunal Judiciaire de Paris.

La motivation de la Cour d’appel doit être saluée tant elle s’est efforcée de faire preuve de clarté et de pédagogie.

En effet, après avoir démontré au visa de l’article L132-1 alinéa 7 dans sa rédaction issue de la loi du 1er février 1995, que les clauses du prêt Helvet Immo n’étaient ni claires ni compréhensibles, la Cour a démontré que lesdites clauses créent un déséquilibre au détriment de l’emprunteur :

« Il résulte des stipulations du contrat de prêt que l’emprunteur s’expose à un risque financier, tributaire de la parité des monnaies de compte et de paiement, et ce, sans que ce risque ne soit plafonné lors de la dernière période additionnelle éventuelle de remboursement comme en convient d’ailleurs la société BNPPPF risque en regard duquel cette dernière ne supporte que l’aléa tenant à la durée de perception des intérêts sans qu’il n’existe de mesure entre l’accroissement significatif du capital à rembourser pour l’emprunteur et le manque à gagner en intérêts pour la banque qui voit le capital en francs suisses remboursé par équivalent en euros selon le cours du change au moment de chaque paiement.

Il doit donc être considéré que la BNPPPF ne pouvait s’attendre, si l’emprunteur avait été normalement informé du fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et mis en mesure d’évaluer les conséquences économiques négatives potentielles selon les exigences ci-dessus, à ce qu’il accepte le risque disproportionné qui résulte de ces clauses ».

Et faisant preuve du même souci de clarté et de pédagogie, la Cour tire alors les conclusions de ses constatations :

  • que la clause implicite d’indexation formant l’objet principal du contrat, ce dernier ne peut subsister sans cette clause qui, de plus, est en réalité éclatée en de nombreuses stipulations, sans lesquelles le contrat devient inexécutable,
  • que, lorsqu’une clause d’intérêts est abusive, la CJUE considère que, soit le contrat peut subsister sans cette clause et un indice légal de substitution doit remplacer le taux conventionnel soit le contrat ne peut subsister sans cette clause et doit être annulé dans son ensemble, qu’en l’espèce aucun indice légal de substitution n’est prévu par le contrat, de sorte qu’il doit être anéanti dans son ensemble,
  • que l’anéantissement rétroactif de l’entièreté du contrat est la seule sanction commandée par la directive comme de nature à mettre fin aux effets des clauses abusives,
  • qu’en conséquence, des restitutions réciproques doivent être ordonnées.

Une sanction à laquelle la banque a tenté d’échapper en faisant valoir dans les débats, que l’emprunteur ne pouvait à la fois se prévaloir au civil, des conséquences de l’anéantissement d’un contrat et au pénal de l’indemnisation du préjudice financier ordonné par le Tribunal correctionnel de Paris.

Autrement dit, la banque tentait de convaincre la Cour de ce qu’un requérant ne pouvait obtenir par deux fois l’indemnisation d’un préjudice.

C’était là évidemment méconnaître la nature juridique distincte des condamnations prononcées de part et d’autre et c’est donc sans surprise, que la Cour d’appel de Paris a répondu que :

« La demande de la BNPPPF tendant à ce que la somme versée au titre du préjudice financier soit ’soustraite’ des sommes qu’elle doit restituer aux emprunteurs n’est pas fondée en droit et se heurte à la nature juridique distincte des condamnations considérées : restitution de sommes à la suite de la reconnaissance du caractère non écrit des clauses, d’un côté, et indemnisation d’un préjudice, de l’autre ».

Le Tribunal Judiciaire de Paris a donc à son tour, également suivi les préconisations de la Cour de cassation puisqu’il a également conclu au caractère abusif d’un certain nombre de clauses (5 au total) et a dès lors très logiquement prononcé lui aussi, l’anéantissement rétroactif de ce prêt.

La motivation du tribunal judiciaire est tout aussi exemplaire que celle retenue par la Cour d’appel de Paris, en ce qu’elle énonce :

  • « Il ne saurait être attendu d’un consommateur raisonnablement attentif et avisé qu’il comprenne le risque d’augmentation du capital restant dû à la lecture des clauses expliquant le fonctionnement du mécanisme de change...
  • Sur le risque de change, la banque reconnaît que l’expression « risque de change » n’est jamais utilisée d’une manière générale. Cette expression n’est évoquée que dans une hypothèse particulière, lorsque le consommateur déménage hors de la zone euros et devra alors lui-même acquérir des euros pour procéder aux paiements mensuels. Cela démontre que la banque pouvait insérer un avertissement explicite sur le risque de change en général, ce qu’elle a délibérément choisi de ne pas faire. Sur ce point, la banque ne peut raisonnablement soutenir que l’expression « risque de change » ne serait pas explicite pour un consommateur moyen, alors qu’elle permet au contraire de l’alerter sur cette spécificité du contrat de prêt ».
  • « Lorsque le risque de change inhérent au contrat se réalise, cela a pour conséquence, non seulement une augmentation de la durée du prêt de cinq années maximum mais, si le paiement de la mensualité fixe sur cette période complémentaire ne suffit pas à apurer le prêt, la mensualité est alors déplafonnée. La banque ne justifie pas d’une information utile du consommateur sur ce point, en particulier en cas de forte dépréciation de l’euro par rapport au franc suisse ».
  • « La clause « Remboursement de votre crédit » explique que l’amortissement du prêt peut être plus moins rapide selon l’évolution du taux de change tout en indiquant que le crédit peut être allongé d’une période de 5 ans pour permettre le remboursement du solde restant dû. Toutefois, en évoquant uniquement le ralentissement de l’amortissement du capital du prêt, le contrat n’explicite pas le risque d’augmentation de la dette résultant de l’augmentation du capital restant dû. A aucun moment, les clauses n°1 à 5 n’évoquent ce risque d’augmentation de la contre-valeur en euros du capital restant dû et du risque corrélatif d’une augmentation de la dette qui n’est pas limitée ».
  • « La banque ne discute d’ailleurs pas utilement avoir nécessairement eu connaissance d’anticipations à la baisse du cours de change EUR/CHF de l’ordre de 12%, au vu notamment des rapports publics de la BNS et de l’OCDE, outre ses anticipations internes prévoyant une dépréciation de l’euro par rapport au franc suisse allant jusqu’à 22% à l’horizon 2010, étant ajouté que le cours de change EUR/CHF avait déjà baissé de près de 10% entre octobre 2007 et décembre 2008. A cet égard, les simulations annexées aux offres de prêt postérieures au 1er octobre 2008 ne portent que sur une variation de 5% du cours de change, sans que la banque n’explique les raisons pour lesquelles elle a opté pour ce pourcentage de variation, outre qu’une telle variation limitée de 5% n’attire pas l’attention du consommateur sur le fait que cette variation peut être supérieure, avec les conséquences qui en découlent ».

Et comme la Cour, puisque l’argument était également soulevé devant lui, le Tribunal Judiciaire de Paris a écarté la demande de la banque visant à voir soustraire des sommes éventuellement dues par elle, les dommages et intérêts perçus du Tribunal correctionnel de Paris, au titre du préjudice financier.

La demande a donc été écartée au motif que « Cependant, les restitutions réciproques ordonnées étant sans lien avec la réparation d’un préjudice financier, la BNPPPF sera déboutée de sa demande à ce titre ».

D’aucun pourrait se dire que la formule retenue par la 9ème Chambre du Tribunal Judiciaire est laconique ; En réalité, elle ne l’est pas, puisque la Cour d’appel de Paris a parfaitement motivé cette décorrélation un mois et demi plus tôt.

Les solutions ainsi énoncées tant par la Cour d’appel de Paris que par le Tribunal Judiciaire de Paris sont parfaitement conformes aux principes régissant le droit de la consommation et de manière plus large le droit des obligations :

  • D’abord, parce qu’il a été fait une exacte application de l’article L132-1 du Code de la consommation devenu l’article L212-1 du même code. En effet, tant la Cour d’appel de Paris que le tribunal Judiciaire ont pris soin de démontrer d’abord que les clauses litigieuses ne forment pas un ensemble clair et compréhensible pour ensuite démontrer que ces mêmes clauses avaient pour objet et pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les obligations des parties au contrat au détriment de l’emprunteur.
  • Ensuite parce que si l’anéantissement de l’entier contrat sur le fondement de l’existence d’une clause abusive est une hypothèse peu fréquente, cet anéantissement « total » s’impose si le contrat ne peut subsister sans la clause inefficace [8].

En l’espèce, les clauses incriminées et parmi elles, la clause de parité est évidemment le « socle » du prêt Helvet Immo. Ce dernier ne saurait subsister en étant « amputé » d’une clause impulsive et déterminante de l’engagement des parties.

Encore, parce que les restitutions réciproques sont le corollaire de l’anéantissement d’un contrat, les parties devant alors être replacées dans l’état initial dans lequel elles se trouvaient avant la conclusion dudit contrat. Ainsi dans les cas soumis tant à la cour qu’au tribunal judiciaire, il a été ordonné que l’emprunteur restitue à la banque la contrevaleur en euros du capital libéré en franc Suisse au taux de change contractualisé dans l’offre tandis que la banque restitue à l’emprunteur, la totalité des sommes perçues par elle en exécution du prêt, le tout se résolvant via le mécanisme tout aussi classique de la compensation. Les prêts étant exécutés depuis plus de 15 ans maintenant, si certains peuvent être encore redevables à l’égard de la banque, c’est majoritairement au bénéfice des emprunteurs que s’opère cette compensation : certains ne doivent plus rien et d’autres sont même créanciers de la banque.

Enfin parce que la décorrélation entre la sanction civile et la sanction pénale et par conséquent le cumul possible du bénéfice des deux actions au profit de l’emprunteur, s’explique par la nature différente de ces deux actions : le juge civil tire les conséquences du prononcé de l’anéantissement d’un contrat sur le fondement des clauses abusives tandis que le juge pénal est tenu de réparer de manière intégrale les préjudices subis par les parties civiles, découlant de la commission par la banque, de deux infractions : celle de pratiques commerciales trompeuses et celle de recel de pratiques commerciales trompeuses.

Après une jurisprudence clairement défavorable aux emprunteurs et qui a d’ailleurs été critiquée (voir notamment l’article Prêts en CHF : Pas d’inflexion mais une piste de réflexion), un revirement de jurisprudence, dont la paternité revient à la Cour de Justice de l’Union Européenne, s’est donc opéré avec ces décisions du 22 mars et 11 mai 2023, tout au moins du côté des juridictions parisiennes de premier et second degré.

Pour autant, la « saga » du prêt Helvet Immo n’est pas terminée puisque BNPPPF a déclaré former pourvoi sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris et a déclaré interjeter appel des dix jugements rendus.

Il est donc des contentieux qui paraissent inépuisables : le prêt Helvet Immo en fait assurément partie…

Stéphane Szames
Avocat au barreau d’Avignon
Ydès avocats
www.ydes.com

Article co-écrit avec Anne Valérie Benoit et Hervé Ajust, avocats au barreau de Paris
contact chez ajust-avocats.com
et
Hervé Brosseau
Avocat au barreau de Nancy
www.brosseau-avocat.com

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

15 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1TJ Paris, 9ème Chambre, 3ème Section, 11 mai 2023, N° RG 13/06740, 17/00317 ; 14/07097 ; 13/06735 ; 13/06723 ; 13/06744 ; 16/04602 ;13/06732 ; 13/06722 ; 13/06727.

[2Ca Paris, Pôle 4 Chambre 13, RG n° 20/02234.

[3Voir notamment Civ, 1ère, 20 février 2019, N°17-31.067 et N°17-31.065.

[4CJUE, 10 juin 2021, Aff, C - 609-19 et Aff. Jointes C -776-19 à C - 782/19.

[5Paragraphe 101.

[6Civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-17. 996, n°19-12. 947, n°19-18. 997, n°19-18. 998, n°19-20. 717 - cinq arrêts.

[7Civ. 1ère, 20 avril 2022, n°20-16. 941, n°19-11. 600, n°20-16. 940, n°19-11. 599 et n°20-16. 942-cinq arrêts ; Civ. 1ère, 7 septembre 2022, n°20-20.826 (F-B), n°21-15.199 et n°20-20.827 – trois arrêts ; Civ. 1ère, 28 septembre 2022, n°21-11. 221.

[8En ce sens, Droit Civil, Les Obligations, 12ème 2dition, N°451, p. 518.

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27837 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.

• L'IA dans les facultés de Droit : la révolution est en marche.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs