Ces recommandations découlent de la prise en compte de rapports d’expertise que nous avons eus l’occasion d’examiner, d’informations recueillies en sources ouvertes sur les praticiens concernés mais également de nos échanges avec certains d’entre eux. Ces éléments ont pu révéler une production scientifique quasi-nulle de ces praticiens dans des revues à comité de lecture, une formation scientifique superficielle en mécanique des fluides et l’utilisation de méthodes internes douteuses dont la fiabilité n’est pas rigoureusement démontrée.
I. Introduction.
Depuis plusieurs années, la morphoanalyse des traces de sang supporte des critiques tout à fait justifiées. En 2021, R. Austin Hicklin [1] montre que la reproductibilité des conclusions émises par les praticiens ayant participé à l’étude est limitée.
Ces conclusions sont souvent erronées et se contredisent entre elles. Les désaccords concernent notamment la trminologie utilisée, suggérant la nécessité de normaliser ce vocabulaire.
En 2009, les auteurs d’un rapport du National Research Council (USA) avaient indiqué que les incertitudes liées à l’examen des traces de sang sont « énormes » et qu’en général, « les opinions des praticiens sont plus subjectives que scientifiques » [2].
L’absence de normalisation, de certification et d’accréditation des laboratoires est discutée dans ce rapport qui souligne également le manque d’exigence de certification appropriée pour les praticiens qui mettent l’accent sur l’expérience plutôt que sur les fondements scientifiques.
Définitions
Le Comité français d’accréditation (COFRAC) indique sur son site que « l’accréditation est une attestation délivrée par une tierce partie à un organisme d’évaluation de la conformité. Elle constitue une reconnaissance formelle de la compétence de ce dernier pour réaliser des activités spécifiques d’évaluation de la conformité. La certification est, quant à elle, une attestation délivrée par une tierce partie relative à des produits, des processus, des systèmes ou des personnes ».
En France, il existe des morphoanalystes des traces de sang qui utilisent des méthodes internes n’ayant donné lieu à aucun travaux scientifiques sérieux validant rigoureusement la méthode et publiés dans des revues à comité de lecture. Malgré ces dérives scientifiques, les praticiens concernés, dont certains sévissent depuis plus de vingt ans en étant convaincus de leur intégrité scientifique et de la qualité de leur méthode tout en ayant une production scientifique quasi-nulle, jouissent d’une certaine réputation, trompeuse, auprès de magistrats peu enclins à la rigueur scientifique telle qu’elle s’impose en science.
L’accréditation d’un laboratoire par le COFRAC - dont les critères de qualités et la méthodologie d’évaluation sont discutables - ne prouve pas à elle seule la fiabilité de la méthode mise en œuvre par ce laboratoire. Bien qu’elle puisse être un atout, cette accréditation ne peut se substituer à la démarche scientifique rigoureuse basée sur des plans d’expériences, et la publication de ses résultats dans des revues à comité de lecture. L’autorité scientifique du COFRAC n’est pas supérieure à celle de la science !
Il est donc vain, comme l’a fait récemment un morphoanalyste dans une revue spécialisée, de mettre en avant son accréditation pour garantir la qualité de sa méthode interne alors même que sa fiabilité est très discutable puisqu’elle n’a pas été scientifiquement démontrée par des travaux réalisés en laboratoire dans des conditions contrôlées, par l’analyse statistique des résultats et par leur publication dans des revues à comité de lecture.
II. Recommandations pour évaluer les laboratoires de morphoanalyse des traces de sang.
Nous pensons que l’accréditation d’un laboratoire, dont se vantent certains experts, devrait être considérée comme un indice et non comme une preuve absolue garantissant la fiabilité de la méthode mise en œuvre.
Dans le cadre de l’évaluation des laboratoires de morphoanalyse des traces de sang, il nous paraît important de prendre en compte notamment les éléments suivants :
La formation initiale en mécanique des fluides des practiciens garantissant l’acquisition de connaissances avancées qui pourraient leur permettre d’apprécier les limites des modèles incertains utilisés dans les logiciels de reconstruction de conditions initiales liées à des événements sanglants ; prendre en compte dans leurs examens des phénomènes physiques subtils mis en jeu lors des interactions du sang avec son environnement ; préciser le(s) mécanisme(s) à l’origine des traces de sang examinées ; établir des incertitudes sur leurs résultats ; mettre en place des expérimentations rigoureuses pour vérifier leurs hypothèses et développer une méthodologie objective, etc.
Ces connaissances pourraient également se révéler indispensables dans le cadre d’une approche probabiliste des traces de sang [3].
Nous pensons que ces connaissances contribueront à améliorer sérieusement la pratique expertale des praticiens quelle que soit leur approche et à accroître leur crédibilité scientifique mais ne devraient cependant pas les inciter à tout quantifier exagérément, ce qui pourrait les amener à établir des résultats numériques farfelus.
Une culture de base en mécanique des fluides est peut-être rassurante pour un
technicien ou un assistant mais nettement insuffisante pour un expert d’autant plus si ce dernier est amené à développer sa propre méthodologie, nécessairement basée sur des travaux de recherche et des publications scientifiques.
La qualité des publications scientifiques du praticien dans les revues à comité de lecture. Il est surprenant de constater que certains experts ayant développé leur méthodologie n’ont pas ou peu publié et que les rares productions existantes ne sont pas ou peu citées et paraissent donc d’un intérêt scientifique peu significatif... ce qui interroge sur la fiabilité de ladite méthodologie. L’indice h (ou h-index), bien connu des chercheurs, pourrait être utilisé, avec prudence, pour apprécier la productivité scientifique d’un expert ou d’un laboratoire (nombre d’articles publiés) et son impact scientifique (nombre de citations reçues).
L’évaluation d’un laboratoire devrait être menée par des praticiens de la discipline mais également par des chercheurs issus de laboratoires publics ou privés spécialisés en mécanique des fluides et qui ont une vision plus étendue de ce domaine.
Les connaissances académiques en mécanique des fluides du praticien et la fiabilité de la méthode utilisée devraient être vérifiées régulièrement : résolution d’un problème de physique et de cas pratiques simulés, etc.
Ces recommandations n’ont évidemment pas pour objectif de confondre le métier de
chercheur et le statut d’expert dont les activités sont différentes ni d’inciter le praticien à utiliser abusivement des lois de la physique pouvant l’amener à faire dire aux traces de sang ce qu’elles ne peuvent pas dire. Cependant, elles permettent d’apprécier le niveau réel du praticien et son aptitude à faire progresser sa discipline mais également de vérifier que la méthodologie utilisée n’est pas le fruit de travaux personnels menés sans avoir appliqué une démarche scientifique rigoureuse basée sur des plans d’expériences, l’analyse statistique des résultats et leur publication dans des revues à comité de lecture.
III. Conclusion.
Dans cet article, nous avons proposé des recommandations pour apprécier le niveau réel de connaissances et de compétences scientifiques des morphoanalystes des traces de sang et leur aptitude à faire progresser leur discipline mais également pour vérifier que la méthodologie utilisée n’est pas le fruit de travaux personnels menés sans avoir appliqué une démarche scientifique rigoureuse. Une confiance aveugle dans les laboratoires accrédités nous semble dangereuse si on ne s’interroge pas sur les critères ou normes de qualité utilisés lors des audits (quels sont ces critères ? qui les a élaborés ? quelle est leur fiabilité, etc.).
Nous déplorons que des praticiens, ne pouvant pas se déplacer sur les lieux, basent leurs examens sur des photographies de traces de sang sans savoir exactement à qui elles appartiennent. L’utilisation de méthodes non fiables peut amener le praticien à formuler des conclusions erronées et conduire à des condamnations inadaptées et dans le pire des cas à des erreurs judiciaires. Le transfert de connaissances entre experts et chercheurs nous paraît également indispensable pour faire progresser la discipline.
Enfin, nous soutenons les exigences de l’International Association of Bloodstain Pattern Analysts (IABPA) mais nous regrettons qu’elle n’impose pas aux praticiens une solide formation en mécanique des fluides.
A lire également : L. Smith, How a Dubious Forensic Science Spread Like a Virus, Propublica (2018).
Mots clés : Morphoanalyse des traces de sang. Criminalistique. Laboratoire. COFRAC. Évaluation. Démarche scientifique. Expertise. Mécanique des fluides. Justice. Magistrat.