Responsabilité des parents du fait de leur enfant et autorité parentale conjointe.

Par Laurent Latapie, Avocat.

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Explorer : # autorité parentale conjointe # responsabilité parentale # cohabitation # coparentalité

Revirement jurisprudentiel important concernant la responsabilité objective des parents du fait de leur enfant. Abandon du critère de résidence habituelle de l’enfant ou de notion de cohabitation au profit du critère d’autorité parentale conjointe. Peut-on y voir une consécration du principe de coparentalité ?

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Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation en Assemblée Plénière ce 28 juin 2024, N°22-84.760, et qui va immanquablement faire parler d’elle puisque la Cour de cassation interprète désormais la notion de cohabitation comme la conséquence de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, laquelle emporte pour chacun des parents un ensemble de droits et de devoirs et juge désormais que leur cohabitation avec un enfant mineur à l’égard duquel ils exercent conjointement l’autorité parentale engage leur responsabilité qu’importe le mode de garde fixé par le juge aux affaires familiales.

De telle sorte que, pour la Haute juridiction, il en résulte que les deux parents, lorsqu’ils exercent conjointement l’autorité parentale à l’égard de leur enfant mineur sont solidairement responsables des dommages causés par celui-ci dès lors que l’enfant n’a pas été confié à un tiers pas une décision administrative ou judiciaire.

La responsabilité objective des parents du fait de leur enfant.

Cette jurisprudence vient modifier la responsabilité des parents du fait de leur enfant qui, jusqu’à lors, était essentiellement attachée à la notion de résidence principale lorsque les parents étaient séparés, schéma désormais classique en la matière et la vraie question était de savoir lequel des deux parents devait assumer la responsabilité des faits délictuels de leur enfant lorsque l’enfant était tantôt en garde alternée, tantôt en résidence principale chez l’un de ses parents avec un droit de visite et d’hébergement plus ou moins élargit chez l’autre parent.

Quels sont les faits ?

Dans cette affaire, Madame X, civilement responsable, et les sociétés avaient formés des pourvois contre l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence, Chambre des mineurs du 17 juin 2022, qui, dans la procédure suivie contre le deuxième du chef de destruction de bois par incendie pouvant causer un dommage aux personnes ou un dommage irréversible à l’environnement à prononcer sur les intérêts civils.

Le Tribunal pour enfants avait déclaré l’enfant E coupable du chef de destruction de bois par incendie pouvant causer un dommage aux personnes ou un dommage irréversible à l’environnement et se prononçant sur les intérêts civils à déclarer ses deux parents, Madame X d’un côté chez laquelle la résidence était fixée au moment des faits, et Monsieur P qui avait un droit de visite et d’hébergement, civilement responsables du fait des actes commis par leur enfant.

Monsieur P avait relevé appel de cette décision et finalement, à hauteur de Cour de cassation, la question se posait de savoir lequel des deux parents pouvait être civilement responsable de leur enfant, E.

Lequel des deux parents doit être tenu civilement responsable de son enfant ?

À hauteur de Cour de cassation, Monsieur P contestait la décision qui l’avait déclaré civilement responsable de son fils, E, alors que, selon lui, les dispositions de l’article 1242 alinéa 4 du Code civil tel qu’interprété par la Cour de cassation jusqu’à lors comme attribuant la responsabilité de plein droit en cas de divorce au seul parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant avait été fixée quand bien même l’autre parent bénéficiaire d’un droit de visite et d’hébergement exercerait conjointement l’autorité parentale porte atteinte au droit de mener une vie familiale normale et l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant résultant des dixième et onzième alinéa du préambule de la constitution de 1946 ainsi qu’au respect de la vie privée garantie à l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi qu’au principe d’égalité de la Loi consacré par l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Pour la société qui s’était constituée partie civile, cette dernière considérait que le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leur enfant mineur habitant chez eux, qu’il en résulte que le parent divorcé chez lequel n’a pas été fixé judiciairement la résidence de son enfant mineur au même titre que l’autre parent responsable civilement de plein droit du fait de cet enfant.

Des parents solidairement responsables au titre de l’exercice conjoint de l’autorité parentale.

Que dès lors, pour décider que Monsieur P n’était pas civilement responsable de son fils mineur, la décision rendue par la Cour d’appel qui avait énoncé que la résidence demeurait en l’espèce le critère déterminant pour engager la responsabilité de Monsieur P.

En effet, Monsieur P considérait quant à lui en toute hypothèse que si devant le Juge civil il n’est pas civilement responsable de plein droit du fait de son enfant mineur le parent divorcé ou séparé de corps auquel n’a pas été attribué l’exercice de l’autorité parentale ou chez lequel, en cas d’exercice conjoint, l’enfant mineur n’a pas sa résidence habituelle, la victime peut toutefois agir à l’encontre dudit parent sur le fondement de la responsabilité pour faute.

Qu’en revanche, devant le Juge pénal, en application de l’article 2 du Code de procédure pénale, la juridiction répressive est incompétente pour rechercher il est civilement responsable, cité en cette qualité, a commis une faute personnelle au sens de l’article 1240 du Code civil.

Dès lors, la question se posait très clairement de savoir dans quelles conditions la Cour de cassation allait déterminer la responsabilité de plein droit du ou des parents du fait de leur enfant.

La responsabilité de plein droit des parents du fait de leur enfant.

En effet, Monsieur P reprochait à la Cour de l’avoir déclaré civilement responsable de son fils mineur alors que, selon lui, en cas de divorce la responsabilité de plein droit prévue par l’article 1242 alinéa 4 du Code civil incombe aux deux parents en ce qu’ils exercent conjointement l’autorité parentale.

Qu’en effet, l’article 18-1 de la convention internationale des droits de l’enfant impose aux états d’assurer la reconnaissance du principe de la coparentalité pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement.

Une responsabilité incombant au parent bénéficiaire de la résidence principale ?

Qu’ainsi, en écartant pourtant la responsabilité de Monsieur P au motif que la responsabilité de plein droit prévu par l’article 1242 alinéa 4 du Code civil incombe au seul parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant a été fixée quand bien même l’autre parent bénéficiaire d’un droit de visite et d’hébergement exerce conjointement l’autorité parentale, la Cour d’appel aurait, selon le pourvoyant, méconnu le principe susvisé en violant, à la fois les articles 1242 du Code civil, et celui de l’article 18-1 de la convention internationale des droits de l’enfant.

C’est dans ces circonstances que la Cour de cassation vient apporter une réponse qui emporte immanquablement un revirement de jurisprudence.

Un revirement jurisprudentiel retenant désormais la notion d’autorité parentale conjointe.

Cette dernière s’exprime au visa de l’article 1242 alinéa 4 du Code civil en précisant que dans cette rédaction antérieure à la Loi numéro 2002-305 du 04 mars 2002 relative à l’autorité parentale, l’article 1384 alinéa 4 du Code civil disposait que père et mère, en tant qu’ils exercent le droit de garde, sont solidairement responsables du dommage causé par leur enfant mineur habitant avec eux.

Dans sa version issue de la Loi du 04 mars 2002 précitée qui pose le principe de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, ce texte devenu article 1242 alinéa 4 du Code civil dispose que le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsable du dommage causé par leur enfant mineur habitant avec eux.

Ainsi, pour la Cour de cassation, ce texte n’envisageant que la situation de l’enfant habitant avec ses deux parents, la jurisprudence a donc dû interpréter la notion de cohabitation lorsque les parents de vivent pas ensemble.

La Cour de cassation avait jugé à cet égard à plusieurs reprises, avant même l’entrée en vigueur de la Loi du 04 mars 2002, que cette condition de cohabitation n’était remplie qu’à l’égard du parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant avait été fixée par un Juge.

Rappelons la jurisprudence en la matière, deuxième Chambre civile de Cour de cassation, 20 janvier 2000, N° de pourvoi 98-14.479.

Ainsi, sur la base de cette ancienne jurisprudence, le parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant avait été fixée assumait intégralement la responsabilité d’un dommage causé par son enfant mineur qui lui incombait donc entièrement quand bien même l’autre parent bénéficiaire d’un droit de visite et d’hébergement exerçait conjointement l’autorité parentale, cela avait d’ailleurs été confirmé, et que l’autorité parentale est que le fait dommageable de l’enfant a eu lieu pendant cet exercice, ce que rappelait d’ailleurs la jurisprudence Cour de cassation, Chambre criminelle, 06 novembre 2012, N°11-86.857.

L’abandon du critère de résidence habituelle de l’enfant ou de cohabitation.}

Or, la Cour de cassation souligne elle-même que cette jurisprudence ancienne est de nature à susciter des difficultés dans des situations de plus en plus fréquentes où les enfants résident alternativement chez l’un et l’autre de leur parent, ou encore celle où ces derniers conviennent d’une résidence des enfants sans saisir le Juge.

Ainsi, cette jurisprudence antérieure est critiquée par une large partie de la doctrine et parfois écartée par des juridictions de fond qui privilégient la seule condition de l’exercice conjoint de l’autorité parentale ou apprécie concrètement le lieu de résidence effectif de l’enfant au moment du dommage.

En outre, elle se concilie parfaitement avec l’objectivation progressive de la responsabilité civile des parents du fait de leur enfant mineur qui permet notamment une meilleure indemnisation des victimes.

La Cour de cassation juge en effet que l’article 1384 alinéa 4 devenu 1242 alinéa 4 du civil dicte une responsabilité de plein droit des pères et mères du fait de dommages causés par l’enfant mineur habitant avec eux dont seule la force majeure ou la faute de la victime peut les exonérer comme le rappelle une jurisprudence bien ancrée, Cour de cassation, deuxième Chambre civile, 19 février 1997, Pourvoi N°94-21.111.

Une responsabilité objective des parents même en l’absence de faute de l’enfant.}

Ainsi, la Cour de cassation énonce également que cette responsabilité n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant, de sorte qu’il suffit pour qu’elle soit engagée qu’un dommage soit directement causé par son fait même non fautif.

La jurisprudence est acquise en la matière, notamment à travers quatre arrêts d’Assemblée Plénière du 13 décembre 2002.

Ainsi, les parents ne peuvent s’exonérer de cette responsabilité objective au seul motif qu’ils n’ont commis aucune faute, qu’elle soit de surveillance ou d’éducation, la Cour de cassation rappelant son positionnement acquis de longue date à la lueur des articles susvisés.

Enfin, cette jurisprudence qui décharge sa responsabilité de plein droit le parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant n’a pas été fixée s’accorde également parfaitement avec l’objectif de la Loi du 04 mars 2002 de promouvoir le principe de coparentalité.

Une jurisprudence conforme à la Convention internationale des droits de l’enfant

Ce principe reflète en droit interne celui posé par l’article 18-1 de la convention internationale des droits de l’enfant selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement, laquelle subsiste après la séparation du couple parental.

La Cour de cassation souligne dès lors que l’ensemble de ces considérations conduit la haute juridiction à interpréter désormais la notion de cohabitation comme la conséquence de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, laquelle emporte pour chacun des parents un ensemble de droits et de devoirs et à juger désormais que leur cohabitation avec un enfant mineur à l’égard duquel ils exercent conjointement l’autorité parentale ne cesse que lorsque des décisions administratives judiciaires confient ce mineur à un tiers.

Il en résulte, en conséquence, que les deux parents, lorsqu’ils exercent conjointement l’autorité parentale à l’égard de leur enfant mineur, sont solidairement responsables des dommages causés par celui-ci dès lors que l’enfant n’a pas été confié à un tiers par une décision administrative judiciaire.

Cette jurisprudence est extrêmement intéressante puisqu’elle vient chambouler la notion de responsabilité civile des parents, surtout lorsque ces derniers sont séparés, puisque jusqu’à lors c’était la notion de résidence principale qui était prise en considération mais, comme le souligne la Haute juridiction elle-même, cela devient de plus en plus incompatible avec une réalité quotidienne des enfants qui sont effectivement de plus en plus en présence de parents séparés, de plus en plus avec un cadre juridique poussant à la garde alternée, auquel je crois particulièrement, dont plusieurs propositions de Loi sont en cours de débat au Sénat et à l’Assemblée Nationale qui visent à considérer que, par principe, l’enfant devrait être avec ses deux parents en garde alternée.

La consécration du principe de coparentalité ?

Ainsi, la portée de cette jurisprudence semble d’importance et fera immanquablement l’objet de publication à venir puisqu’effectivement elle rappelle à travers cette jurisprudence que, désormais, les deux parents, lorsqu’ils exercent conjointement l’autorité parentale à l’égard de l’enfant mineur, sont solidairement responsables des dommages causés par celui-ci dès lors que l’enfant n’a pas été confié à un tiers par une décision administrative judiciaire, ces derniers étant responsables qu’importe que celui-ci soit tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre parent, les deux sont responsables et doivent donc contribuer à arme égale et de manière parfaitement égalitaire à responsabiliser leur enfant, à assurer son éducation et son entretien, et à en supporter les conséquences si un fait délictuel devait se produire.

Cela tend à un parfait respect de l’égalité du principe de coparentalité et à l’idée même d’une garde alternée qui se développe de plus en plus et qui est actuellement en cours de débat en Assemblée Nationale et au Sénat afin de permettre de consacrer cette coparentalité, aussi bien au profit de la mère qu’au profit du père surtout, et de permettre ainsi de consacrer également une garde alternée au profit des deux parents.

Laurent Latapie,
Avocat à Fréjus et Saint-Raphaël, Docteur en Droit
Barreau de Draguignan
www.laurent-latapie-avocat.fr

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