Tout d’abord, il convient de souligner que la profession d’expert judiciaire est essentielle au bon déroulement des procédures judiciaires. Les juges s’appuient sur les compétences techniques et spécialisées de ces experts pour éclairer leurs décisions dans des domaines variés tels que le bâtiment, la médecine, les technologies ou encore les finances. Or, cette profession souffre déjà d’un manque d’attractivité. De nombreux experts atteignent aujourd’hui l’âge limite d’exercice (72 ans), tandis que les nouvelles inscriptions sur les listes des cours d’appel sont en baisse.
Dans ce contexte, l’introduction d’une obligation de facturer la TVA dès 25 000 € de chiffre d’affaires pourrait décourager davantage les professionnels potentiels de s’engager dans cette voie. En effet, le statut fiscal actuel constitue un avantage non négligeable pour ces experts, souvent indépendants ou exerçant en complément d’une autre activité. La suppression de cet avantage alourdirait leur charge fiscale et administrative, rendant la profession moins viable économiquement.
Cette baisse du seuil aurait également des implications directes sur la disponibilité et la qualité des expertises judiciaires. Avec un nombre réduit d’experts qualifiés, les délais pour obtenir une expertise –qui atteignent déjà 15 à 17 mois dans certains cas– risqueraient de s’allonger encore davantage. Cette situation serait particulièrement problématique dans des affaires complexes ou urgentes nécessitant une expertise rapide. Par ailleurs, face à cette pénurie accrue, les juges pourraient être contraints de recourir à des experts moins expérimentés ou non spécialisés, ce qui compromettrait la qualité des rapports rendus et, par conséquent, la crédibilité des décisions judiciaires fondées sur ces expertises.
Les répercussions ne s’arrêteraient pas là : elles affecteraient également directement le travail des magistrats et l’accès à la Justice pour les citoyens. Les juges seraient confrontés à une surcharge de travail supplémentaire en raison de la difficulté accrue à trouver des experts compétents. Cela ralentirait encore davantage le traitement global des dossiers dans un système judiciaire déjà engorgé. De plus, l’ajout de la TVA aux prestations des experts entraînerait une augmentation des coûts pour les parties au procès. Certaines personnes pourraient alors renoncer à demander une expertise en raison de son coût prohibitif, limitant ainsi leur capacité à défendre efficacement leurs droits devant les tribunaux.
Un facteur aggravant à cette situation réside dans les retards de paiement chroniques auxquels les experts judiciaires sont confrontés [1]. Ces retards, parfois de plusieurs mois, voire années, plongent de nombreux experts dans des difficultés financières importantes. Certains d’entre eux se retrouvent à devoir avancer des sommes considérables pour couvrir leurs frais professionnels, allant jusqu’à s’endetter personnellement. Par exemple, un expert judiciaire témoigne devoir 35 000 euros à ses proches pour compenser ces retards de paiement. Cette précarité financière, déjà alarmante, serait exacerbée par l’abaissement du seuil d’exemption de TVA. En effet, l’ajout de la TVA augmenterait encore leurs charges administratives et fiscales, sans pour autant garantir une amélioration des délais de paiement. Ces conditions risquent non seulement de décourager les vocations, mais également de pousser certains experts en exercice à abandonner leur activité, aggravant ainsi la pénurie actuelle et fragilisant davantage le fonctionnement du système judiciaire.
En somme, abaisser le seuil d’exemption de TVA à 25 000 € constituerait une véritable catastrophe pour le système judiciaire. Cette mesure aggraverait la pénurie d’experts judiciaires, allongerait considérablement les délais de traitement des affaires et nuirait tant à l’efficacité qu’à l’équité de la Justice.
Il est donc impératif que les décideurs politiques prennent en compte ces conséquences avant d’adopter une telle réforme fiscale. Préserver l’attractivité économique et professionnelle du métier d’expert judiciaire est non seulement crucial pour le bon fonctionnement des tribunaux, mais aussi pour garantir aux citoyens un accès équitable et rapide à la justice.