L’absence de diplôme requis peut-elle fonder un licenciement pour faute grave ?

Par Noémie Le Bouard, Avocat.

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Explorer : # faute grave # licenciement # obligation de vérification # jurisprudence

Dans un arrêt remarqué du 26 mars 2025 (Cour de cassation, chambre sociale, n° 23-21.414), la cour rappelle que l’employeur ne peut invoquer sa propre négligence pour sanctionner disciplinairement un salarié, même dans une profession réglementée. Lorsqu’un salarié exerce sans les qualifications exigées et que l’employeur a omis d’en vérifier la détention pendant plusieurs années, la faute grave ne saurait être retenue. Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante qui encadre strictement les conditions dans lesquelles une irrégularité contractuelle peut fonder une mesure disciplinaire.

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Une jurisprudence qui rappelle les limites du pouvoir disciplinaire.

Le contexte : une salariée sans diplôme pendant près de 20 ans.

Dans l’affaire commentée (Cour de cassation, chambre sociale, 26 mars 2025, n° 23-21.414), une salariée a exercé la fonction de préparatrice en pharmacie pendant près de deux décennies, sans être titulaire du diplôme requis par l’article L4241-4 du Code de la santé publique. Ce n’est qu’à la suite d’un contrôle de l’Agence régionale de santé que l’employeur a découvert cette irrégularité et a prononcé un licenciement pour faute grave.

Le litige a permis à la Cour de cassation de rappeler les principes qui gouvernent le recours au licenciement disciplinaire, et plus particulièrement à la faute grave.

La faute grave et ses exigences jurisprudentielles.

Définition stricte de la faute grave.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, y compris pendant le préavis. Cette définition a été rappelée à de nombreuses reprises, notamment dans l’arrêt de la Cour de cassation du 27 septembre 2007 (n° 06-42.190).

Pour être caractérisée, elle doit répondre à plusieurs conditions cumulatives :

  • Être suffisamment grave et immédiate ;
  • Être objectivement démontrable par des faits précis ;
  • Ne pas avoir été tolérée auparavant par l’employeur.

La Cour de cassation rejette l’argument de l’illicéité tolérée.

Dans cette affaire, la Cour sanctionne le raisonnement de la cour d’appel, au motif que l’employeur ne peut se prévaloir d’un manquement qu’il a lui-même toléré pendant plusieurs années. Elle applique ainsi l’adage juridique selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.

À retenir.

  • Une irrégularité ignorée par l’employeur pendant des années ne peut fonder un licenciement pour faute grave.
  • L’employeur a l’obligation de vérifier les qualifications requises pour les professions réglementées.

Obligation de vérification du diplôme : une obligation impérative pour l’employeur.

Le cadre légal applicable.

  • L’article L4241-4 du Code de la santé publique réserve l’usage du titre de préparateur en pharmacie aux titulaires du diplôme adéquat.
  • L’article R4235-15 du même code impose au pharmacien de s’assurer que son personnel détient les qualifications exigées.
  • L’article L1235-1 du Code du travail encadre la qualification de la faute grave dans le licenciement.

L’employeur ne peut faire abstraction de cette obligation.

L’arrêt rappelle que cette obligation s’impose dès l’embauche. Son inexécution expose l’entreprise à :

  • Une invalidation du licenciement pour faute grave ;
  • Un contentieux prud’homal en cas de rupture abusive ;
  • Une responsabilité potentielle en cas d’exercice illégal de la profession dans l’officine.

Obligation de loyauté du salarié : une portée limitée.

L’obligation de loyauté ne supplée pas la carence de l’employeur.

La cour souligne que l’obligation de loyauté, issue du principe d’exécution de bonne foi du contrat, ne saurait dispenser l’employeur de procéder à ses propres vérifications. En l’absence de demande expresse, le silence du salarié ne constitue pas une dissimulation active.

Aucune intention frauduleuse démontrée.

Dans cette affaire :

  • Aucune preuve n’a été apportée que la salariée avait volontairement dissimulé sa situation ;
  • La salariée n’avait jamais été sollicitée pour justifier de son diplôme ;
  • L’ancienneté (près de 20 ans) rendait cette situation manifestement tolérée.

Le défaut d’information du salarié ne saurait être qualifié de faute grave sans preuve d’intention dolosive.

Recommandations opérationnelles à destination des employeurs.

Que faire en cas de doute sur la qualification d’un salarié ?

  • Mettre en place une procédure de contrôle systématique des diplômes à l’embauche ;
  • Insérer dans les contrats de travail une clause suspensive de présentation de diplôme ;
  • Archiver toute pièce justificative dans le dossier du salarié ;
  • Réaliser un audit RH après tout changement d’employeur (fusion, cession, transfert).

En cas d’irrégularité découverte après plusieurs années.

  • Privilégier une régularisation par reclassement ou formation si possible ;
  • Éviter un licenciement pour faute grave en l’absence d’élément frauduleux ;
  • Envisager un licenciement pour cause réelle et sérieuse si le poste ne peut être maintenu.

Jurisprudence constante sur la responsabilité de l’employeur.

Antériorité de la position de la Cour de cassation.

  • Dans un arrêt du 18 mai 2011 (n° 09-68.704), la Cour a déjà affirmé qu’un employeur ne pouvait licencier un salarié pour absence de diplôme non vérifiée à l’embauche.
  • Dans un arrêt du 9 juin 2017 (n° 16-15.244), elle a également rappelé que la nullité du contrat ne pouvait être invoquée par un employeur ayant toléré la situation.

Le droit disciplinaire ne peut pallier une carence de gestion administrative.

L’arrêt du 26 mars 2025 s’inscrit dans la droite ligne d’une jurisprudence cohérente.

  • L’absence de diplôme ne justifie pas, en soi, un licenciement pour faute grave si l’employeur n’a jamais procédé aux vérifications requises.
  • L’obligation de loyauté du salarié ne permet pas de combler une négligence initiale de l’employeur.
  • Les professions réglementées imposent une vigilance accrue lors de l’embauche et du transfert de contrat.

Noémie Le Bouard, Avocat
Barreau de Versailles
Le Bouard Avocats
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