1) Les faits.
Dans le cas d’espèce soumis à la Cour de cassation, un salarié avait été embauché à compter du 27 février 1995 en qualité d’attaché commercial débutant.
En juillet 2000, il a été promu responsable commercial, statut cadre, puis affecté, à compter du 1er octobre 2005 et suite à une demande de mutation dans une nouvelle agence où il a exercé les fonctions d’ingénieur commercial, puis celles d’ingénieur commercial senior à compter du 1er avril 2010.
Le salarié a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre du 25 janvier 2016.
Soutenant avoir subi un harcèlement moral, il a saisi la juridiction prud’homale, le 5 septembre 2016.
Dans un arrêt du 5 février 2021, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes, estimant notamment qu’une partie des agissements de harcèlement moral invoqués étaient prescrits.
Dans sa décision du 29 juin 2022, la Cour de cassation censure les juges du fond, rappelant les conditions d’appréciation de la prescription en matière de harcèlement moral.
2) La position de la Cour de cassation.
Au visa des articles 2224 du Code civil, L1152-1 et L1154-1 du Code du travail, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel en ce qu’il a considéré que seuls les agissements de harcèlement moral invoqués pour la période de 2013 à 2016 devaient être analysés.
Ce faisant, la Cour de cassation rappelle deux points essentiels en matière de prescription dans le cadre du harcèlement moral.
2.1) Point de départ du délai de prescription en matière de harcèlement moral.
Tout d’abord, la Cour de cassation rappelle de manière très classique que le délai de prescription, en matière de harcèlement moral, commence à courir à compter du dernier acte pouvant être qualifié comme tel.
Ainsi, contrairement à ce qui avait été retenu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, le délai de prescription ne s’apprécie pas au regard de chaque fait invoqué mais bien au regard du dernier fait de harcèlement moral allégué par le salarié.
Cette solution, si elle est favorable au salarié, permet également une harmonisation des règles en matière de harcèlement sur le plan social et pénal.
En effet, en matière pénale, le délai de prescription de l’infraction de harcèlement moral court à compter du dernier fait incriminé [1].
2.2) Analyse des faits invoqués par le salarié à l’appui de son action en harcèlement moral.
Dans son arrêt du 29 juin 2022, la Cour de cassation rappelle un point essentiel quant à l’appréciation des agissements de harcèlement moral : dès lors que l’action n’est pas prescrite, les juges du fond doivent analyser l’ensemble des faits invoqués par le salarié, y compris si ces derniers se sont déroulés plus de 5 ans avant la saisine.
Aussi, potentiellement, le salarié peut invoquer tout fait intervenu depuis le début de sa collaboration, même bien au-delà du délai de 5 ans, afin de faire constater l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.
La Cour de cassation avait d’ores et déjà eu l’occasion de rappeler ce principe, notamment dans un arrêt du 9 juin 2021 (n°) en jugeant que, l’action de la salariée n’étant pas prescrite :
« la cour d’appel a à bon droit analysé l’ensemble des faits invoqués par la salariée permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral, quelle que soit la date de leur commission » [2]
Cette solution peut apparaitre sévère pour les employeurs, notamment d’un point de vue probatoire lorsqu’il s’agira d’apporter des éléments objectifs datant de plusieurs (dizaines) d’années pour justifier d’une absence de harcèlement moral.
Elle permet toutefois de sanctionner des comportements qui auraient perdurés sur de longues périodes et alors même que les salariés sont souvent hésitants à saisir le Conseil de prud’hommes, craignant des représailles s’ils sont toujours en poste.