Une employée avait été recrutée par une association accueillant des personnes en situation de handicap sur un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel. La salariée a fait l’objet d’un arrêt de travail pour maladie et, à l’issue de son arrêt de travail, elle bénéficiait d’un temps partiel thérapeutique discontinu. À l’issue de son mi-temps thérapeutique, la salariée a été placée en invalidité. Elle a ensuite été déclarée apte par le médecin du travail, dans deux avis d’aptitude, dans lesquels il a précisé son aptitude à temps partiel et a exclu une reprise du travail à temps complet.
Toutefois, malgré les préconisations du médecin du travail, son employeur a maintenu une charge importante de travail et a voulu lui imposer un temps plein via un nouvel avenant au contrat de travail, que la salarié a refusé de signer.
De plus, la salarié avait informé à de nombreuses reprises son employeur des nombreux dysfonctionnements du service et conflits internes résultant en un environnement dégradé, voire délétère, et une souffrance au travail au sein de l’association.
Cette dégradation des conditions de travail dans un environnement professionnel désorganisé, dégradé et anxiogène, ont naturellement conduit à un épuisement professionnel de la salariée, par ailleurs déjà gravement malade. L’altération de la santé physique et psychologique avait d’ailleurs été constatée à plusieurs reprises par les médecins.
Malgré les différentes alertes de la part de la salariée, et les anciennes condamnations de l’association pour harcèlement moral, l’employeur a fait preuve d’une totale inertie.
Il a donc fallu que la salariée se positionne en totale opposition à son employeur.
Mme X a donc saisi le conseil de prud’hommes aux fins de requalification de la prise d’acte de son contrat de travail en licenciement nul aux torts de son employeur ou sans cause réelle et sérieuse, et condamner l’association à lui payer une indemnité légale de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et pour non-respect de l’obligation de sécurité de résultat.
Par jugement du 21 juillet 2021, le conseil de prud’hommes avait condamné l’association en la personne de son représentant légal à verser à Mme X, les sommes suivantes :
15 112,13 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
5 000 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
1 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Ainsi, en première instance, le Conseil de prud’hommes avait débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts sur le fondement du manquement de l’obligation de sécurité de son employeur.
L’association a interjeté appel de ce jugement.
Dans son arrêt du 8 novembre 2023, la Cour d’appel de Versailles a fait droit aux demandes de la salariée et a infirmé le jugement de première instance, et a condamné l’association en la personne de son représentant légal à verser à Mme X, les sommes suivantes :
- 13 770 euros bruts à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 5 000 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
- 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité
- 1 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile pour la première instance
- 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile pour l’appel
Ainsi, la Cour d’appel de Versailles a reconnu le licenciement sans cause réelle et sérieuse résultant de la prise d’acte de la rupture à l’initiative de la salariée (I), le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (II), et a fait droit aux demandes de la salariée s’agissant des frais irrépétibles et des dépens (III).
I. Sur la prise d’acte de la rupture.
Selon les dispositions de l’article L1451-1 du Code du travail :
« Lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine ».
Lorsque le salarié considère que le comportement de son employeur rend totalement impossible la poursuite de leur relation contractuelle, il peut prendre à tout moment « acte de la rupture » de son contrat de travail afin de mettre fin immédiatement à la relation qui le lie avec son employeur.
La prise d’acte de la rupture, qui est une construction prétorienne, peut se définir comme un mode unilatéral de rupture du contrat de travail par le biais duquel le salarié met un terme à son contrat de travail en se fondant sur des griefs ou manquements fautifs qu’il impute à son employeur.
La prise d’acte de la rupture par le salarié doit suivre un certain formalisme pour avoir une force probante dans le cadre d’un éventuel futur contentieux avec l’employeur : il est vivement conseillé de le faire par écrit, puis de l’envoyer par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR), ou de le présenter directement à l’employeur par remise en main propre contre-décharge (signature).
Si les griefs invoqués par le salarié sont établis et empêchent la poursuite du contrat de travail, alors la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, la prise d’acte doit être requalifiée en démission.
La prise d’acte peut produire les effets d’un licenciement nul si les manquements reprochés à l’employeur sont de nature à entraîner la nullité du licenciement. Tel est le cas par exemple lorsque la prise d’acte est fondée sur la discrimination dont le salarié a fait l’objet, ou lorsqu’elle fait suite au harcèlement moral subi par le salarié.
C’est au salarié et à lui seul qu’il incombe d’établir les faits allégués à l’encontre de l’employeur. Par exception, la charge de la preuve est renversée dès lors que les griefs soulevés par le salarié se rattachent à la santé et à la sécurité des salariés.
En l’espèce, l’association invoquait une démission de la part de la salariée résultant de la prise d’acte.
Dans son arrêt du 8 novembre 2023, la Cour a tout d’abord retenu la surcharge de travail de la salariée qui a dû pallier au manque d’effectifs au sein de l’association alors même qu’elle devait bénéficier d’un mi-temps thérapeutique destiné à la maintenir dans l’emploi malgré une maladie grave.
Elle a également retenu le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité du fait de sa volonté délibérée de replacer Madame X sur un plein-temps, alors que cette décision allait clairement à l’encontre de l’avis d’aptitude de la médecine du travail, et cela que le mi-temps thérapeutique ait ou non cessé.
Sur ce point, la Cour a jugé que
« L’employeur n’a pas entendu immédiatement mettre en œuvre les moyens nécessaires pour respecter les préconisations du médecin du travail concernant la salariée s’agissant des limitations devant être apportées à son temps de travail hebdomadaire ».
La Cour a ainsi considéré comme établis les faits suivants :
- le non-respect du mi-temps thérapeutique
- les pressions exercées sur la salariée pour qu’elle accepte de poursuivre le contrat de travail dans des conditions incompatibles avec les préconisations du médecin du travail
- le fait que la salariée a poursuivi son activité de psychologue seule, sans l’assistance d’un autre salarié, c’est-à-dire dans les mêmes conditions que celles qui avaient contribué au non-respect du mi-temps thérapeutique
- la dégradation de l’état de santé de la salariée.
La cour a également considéré que ces faits qui se sont poursuivis dans le temps constituent des manquements qui présentent un degré de gravité tel qu’ils empêchaient la poursuite du contrat de travail.
Toutefois, la Cour d’appel de Versailles n’a pas retenu le harcèlement moral qui avait été invoqué, du fait du défaut de preuves sur ce point.
Le jugement a donc été confirmé en ce qu’il a dit que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
II. Sur l’obligation de sécurité.
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité qui n’est pas une obligation de résultat, mais une obligation de moyen renforcée, l’employeur pouvant s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail.
Selon les dispositions de l’article L.4121-1 du Code du travail :
« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; 2° Des actions d’information et de formation ; 3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ».
L.4121-2 du Code du travail énonce que :
« L’employeur met en œuvre les mesures prévues à l’article L4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : 1° Éviter les risques ; 2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; 3° Combattre les risques à la source ; 4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ; 5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ; 6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ; 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L1152-1 et L1153-1 ; 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ; 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs ».
En l’espèce, les conditions de travail délétères et la situation de surcharge de travail de la salariée déjà malade ont conduit à un épuisement professionnel de cette dernière de nature à entraîner une dégradation de son état de santé, susceptible de caractériser un lien entre sa maladie et le manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur.
La mauvaise gestion de la situation médicale d’une salariée, voire la résistance de l’employeur dans la reconnaissance de sa maladie et dans l’application des préconisations thérapeutiques de la médecine du travail, est particulièrement grave et inacceptable de la part d’un employeur qui doit au contraire prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés, conformément au droit du travail.
Sur ce point, la Cour d’appel de Versailles a retenu que l’employeur n’a pas respecté le mi-temps thérapeutique de la salariée sur une période de plus d’un an et lui a demandé de poursuivre le contrat de travail dans des conditions incompatibles avec les préconisations du médecin du travail.
De plus, la Cour d’appel a considéré à juste titre que l’employeur n’avait pris aucune disposition pour que sur cette période la charge de travail affectée aux employées ne soit pas supportée par cette seule salariée.
Par conséquent, il a été jugé en cause d’appel que les faits et agissements répétés de l’employeur ont entraîné une dégradation de l’état de santé de la salariée qui lui a causé un préjudice distinct de celui réparé, au titre de la perte injustifiée de son emploi, par l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ce préjudice distinct a donc été réparé par l’octroi d’une somme de 4 000 euros à titre de dommages intérêts, somme au paiement de laquelle, par voie d’infirmation, l’employeur a été condamné.
III. Sur les dépens et frais irrépétibles.
Aux termes de l’article 700 du Code de procédure civile : « Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
La somme allouée au titre du 2° ne peut être inférieure à la part contributive de l’État majorée de 50% ».
Succombant en cause d’appel, l’employeur a également été condamné aux dépens de la procédure d’appel.
La Cour d’appel de Versailles a, d’une part, confirmé le jugement du Conseil des Prud’hommes en ce qu’il a condamné l’employeur à payer à la salariée une indemnité de 1 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile s’agissant des frais engagés en première instance, et a d’autre part, condamné l’employeur à payer à la salariée une indemnité de 2 500 euros sur le même fondement, au titre des frais engagés en cause d’appel.
Cet arrêt est une réelle victoire pour les salarié.e.s qui se retrouvent dans une situation similaire de surcharge de travail imposée par l’employeur, dans des conditions délétères.