La protection de la vie personnelle du salarié.
Si « toute personne a droit au respect de sa vie privée » [1], et en particulier tout salarié contre sa subordination à l’égard du pouvoir patronal, il convient en revanche de tracer une frontière claire entre la vie personnelle et professionnelle, afin que chaque salarié puisse se prémunir contre les accusations de diffamation ou bien d’injure à l’encontre de son employeur, dès lors qu’une publication porte sur ce dernier.
Car en principe, le salarié jouit de sa liberté d’expression garantie tant sur le plan constitutionnel [2] que international [3].
Toutefois cette liberté n’est pas absolue mais limitée dès lors qu’elle porte sur des propos injurieux ou diffamatoires [4].
Les limites de la liberté d’expression du salarié.
En droit du travail, c’est-à-dire dans les relations salarié - employeur, l’abus de l’usage de cette liberté est caractérisé lorsque les propos sont rendus publics.
A cet égard, la Cour de cassation connait un contentieux assez important et sans cesse renouvelé, par lequel elle a récemment décidé par un arrêt du 30 septembre 2020 (n°19-12.058) que seuls les propos tenus sur des comptes privés et sans limite de seuil quant au nombre de membres, sont protégés par la vie privée du salarié.
L’existence et la garantie du recours en justice.
Seulement, tant sur les risques de représailles de l’employeur à l’encontre du salarié que sur l’effectivité d’une dénonciation sur les réseaux sociaux, il est conseillé au salarié d’emprunter la voie juridique et légale du recours en justice pour dénoncer les actes de l’employeur, plutôt que de le faire de manière anonyme sur Instagram.
En effet dénoncer les actes fautifs de son employeur sur les réseaux sociaux, pourrait s’apparenter à de la diffamation pour ensuite s’accompagner de lourdes conséquences pour le salarié telles qu’un licenciement pour faute grave outre les sanctions pénales, quand bien même les publications privées sont protégées à l’heure actuelle par la jurisprudence, il vaut mieux se prémunir contre tout effet indésirable dans l’objectif de protéger de manière plus efficace ses droits les plus fondamentaux.
Si le salarié peut trouver en Internet un espace pour s’exprimer librement (à tort !) ainsi qu’un certain réconfort et soutien de la part des internautes, Internet ne procurera jamais au salarié une solution effective, ni la garantie de la protection et de l’application de ses droits contre l’employeur.
C’est pourquoi, il parait nécessaire de reconsidérer les moyens d’action de base du salarié contre l’employeur, dont la possibilité de l’exercice du recours en justice.
1) Nature du droit d’agir en justice du salarié : droit fondamental institutionnellement garanti.
Le droit d’agir en justice du salarié est un droit fondamental.
En effet, l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme dispose que :
« toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ».
De même, au regard de l’alinéa premier du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, il apparait que le droit d’ester en justice se place parmi les droits fondamentaux.
C’est pourquoi, la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 6 février 2013 a consacré ce droit du salarié comme une liberté fondamentale (n°11-11.740).
Par conséquent, nul ne peut restreindre ni priver l’exercice de ce droit, pas même l’employeur comme le précise l’article L1121-1 du Code du travail aux termes duquel :
« nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Dit autrement, l’employeur ne peut pas s’opposer à ce qu’un salarié exerce son droit d’agir en justice en rompant son contrat de travail.
En ce sens, une abondante jurisprudence rappelle de manière constante ce principe fondamental du droit du travail, à l’instar de l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 21 septembre 2018 (n°17-11.122) qui résulte de plusieurs arrêts dont celui rendu le 28 mars 2006 (n°04-41.695).
En effet, ces décisions de la Haute cour rappellent toutes que le droit d’ester en justice est une « liberté fondamentale constitutionnellement garantie » qui rend nul tout licenciement prononcé à cet égard.
Ces mêmes arrêts précisent en outre que cette protection du salarié contre un licenciement en raison de leur exercice de leur droit de saisir la justice, est valable non pas seulement lorsque le salarié a effectivement agi en justice, mais aussi lorsqu’il ne manifeste seulement son intention à cet égard.
La décision rendue par la Cour de cassation le 21 novembre 2018 se démarque en ce qu’elle affirme que la simple et seule référence au droit d’agir en justice par le salarié, dans la lettre de licenciement suffit de droit à prononcer la nullité de ce dernier.
Plus encore, les juges de la Haute cour garantissent l’application de ce droit même lorsque la demande du salarié ne serait pas fondée [5].
De même, trois récents arrêts rendus en la matière le 30 novembre 2020 témoignent de cette protection inébranlable de ce droit fondamental appartenant au salarié. Le salarié est en effet protégé contre toute rupture du contrat de travail, même lorsque celle-ci n’aurait pas encore été prononcée par l’employeur [6].
En conséquence, le salarié est tout à fait légitime, et ce en tout temps et tout lieu, pour agir en justice sans avoir à craindre aucune sanction de la part de l’employeur, sous peine de voir le prononcé du licenciement comme nul.
2) Exercice concret du droit d’agir en justice du salarié.
Afin de pouvoir agir en justice contre l’employeur, le salarié doit saisir le conseil de prud’hommes, dont les modalités différent selon le motif de la saisine.
En cas de licenciement prononcé suite ou concomitamment à une action en justice exercée par le salarié, ce dernier bénéficie d’un régime de preuve adapté, pour l’encourager à faire appel à la justice.
Alors qu’en cas de discrimination, l’article L1134-1 inverse la charge de la preuve pour le salarié, il en est de même en cas de licenciement en raison de l’exercice d’une action en justice par le salarié, selon un arrêt de la Cour de cassation rendu le 6 février 2013 (n°11-11.740).
En effet, le salarié n’est plus chargé de démontrer la preuve de l’existence d’une faute commise par l’employeur, car lorsque celui-ci viole ce droit fondamental du salarié d’ester en justice, il est présumé de plein droit comme fautif.
Par conséquent il suffit seulement au salarié de présenter au juge les éléments de fait qui laissent supposer l’existence d’une violation du droit d’agir et dans un second temps, l’employeur est chargé de prouver son absence de faute par des éléments objectifs et étrangers à toute volonté de licencier ou sanctionner le salarié pour son exercice du droit d’agir en justice [7].
Cette protection du salarié vaut autant pour le licenciement prononcé à son égard, que pour toute sanction.
Néanmoins, il convient de nuancer le propos, car si effectivement, la lettre de licenciement se réfère expressément à l’action en justice intentée par le salarié, alors celle-ci est nécessairement nulle [8], tandis que si la lettre ne fait pas mention de cette action, le régime probatoire tel qu’énoncé ci-dessus est quelque peu différent.
L’arrêt du 30 novembre 2020 (n°19-10.633) qui rappelle une décision déjà rendue par la même Cour le 9 octobre 2019 (n°17-24.773), indique à cet effet que les juges du fond doivent tout d’abord procéder à la vérification de l’existence d’une cause réelle et sérieuse au licenciement pour que ensuite, le salarié (ou bien l’employeur si le licenciement est jugé abusif) démontre le lien de causalité entre son licenciement et son action en justice :
« Lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une action en justice introduite pour faire valoir ses droits ».
Dans le cas où les juges ne retiendraient pas de cause réelle et sérieuse au licenciement prononcé sans mention expresse à l’action en justice, il faudrait donc penser en l’absence de jurisprudence encore claire sur le sujet, que le licenciement est alors nul comme le dispose l’article 1134-4 en matière de discrimination :
« Est nul et de nul effet le licenciement d’un salarié faisant suite à une action en justice engagée par ce salarié ou en sa faveur, sur le fondement des dispositions du chapitre II, lorsqu’il est établi que le licenciement n’a pas de cause réelle et sérieuse et constitue en réalité une mesure prise par l’employeur en raison de cette action en justice ».
De même, la jurisprudence concernant le régime probatoire prévu en faveur du salarié est aussi tempérée lorsqu’une action en justice est intentée par le salarié dans le même temps qu’une mesure de licenciement.
A cet égard l’arrêt rendu le 4 novembre 2020 par la Cour de cassation (n°19-12.367) précise que :
« le seul fait qu’une action en justice soit contemporaine d’une mesure de licenciement ne fait pas présumer que celle-ci procède d’une atteinte à la liberté fondamentale d’agir en justice ».
Toutefois, ces précisions et ajustements apportés par la Cour de cassation ne modifient pas la substance même du droit d’agir du salarié qui réside en premier lieu dans sa nature fondamentale.
Ainsi, dès lors qu’une rupture du contrat de travail est prononcée du fait de l’exercice de ce droit, que le salarié soit en charge ou pas de démontrer le lien entre les deux, cette rupture sera toujours nulle.
3) Effet du droit d’agir en justice du salarié.
L’intérêt pour le salarié d’exercer son droit d’agir en justice dans la finalité de dénoncer son employeur pour un quelconque acte fautif, réside avant tout dans les effets concrets et efficaces de cette action.
En effet, l’article L1235-3-1 dispose que le barème Macron qui fixe les indemnités de licenciement, n’est pas applicable en cas de nullité du licenciement, notamment lorsque la nullité résulte d’une violation d’une liberté fondamentale, dont la liberté d’agir en justice.
La nullité de la rupture du contrat est donc une sanction exceptionnelle dans la mesure où contrairement au licenciement injustifié ou abusif, elle emporte des effets rétroactifs à la date de licenciement, en considérant que ce dernier n’a jamais eu lieu.
Plus concrètement, le salarié peut alors choisir entre sa réintégration ou son indemnisation.
Dans le premier choix, le salarié réintégrera donc l’entreprise sans que l’accord de l’employeur ne soit nécessaire et bénéficiera d’indemnités d’éviction correspondant à l’intégralité des salaires qu’il aurait dû percevoir entre la notification du licenciement et sa réintégration [9].
Dans le second choix, si le salarié ne souhaite pas poursuivre l’exécution de son contrat de travail ou bien lorsque sa réintégration est objectivement impossible, il a le droit à une indemnité à la charge de l’employeur et correspondant au minimum aux salaires des six derniers mois, cumulée avec d’autres indemnités relatives au licenciement en lui-même, telles que les indemnités de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, indemnité compensatrice de congés payés.
En conclusion, l’action en justice est finalement la meilleure option qui se présente au salarié lorsque celui-ci souhaite dénoncer son employeur.
Afin d’éviter tout risque d’accusation de diffamation ou d’injure et encourir à cet effet jusqu’à 1 an d’emprisonnement, 45 000 euros d’amende ainsi qu’un licenciement pour faute grave, plutôt qu’une dénonciation anonyme sur Instagram, le salarié a tout intérêt à agir par la voie juridictionnelle pour protéger au mieux ses intérêts et bénéficier à cet égard d’une protection renforcée contre toute rupture de son contrat de travail.