Isabelle Jaffry-Russ, une directrice juridique agile et opérationnelle.

Isabelle Jaffry-Russ, une directrice juridique agile et opérationnelle.

Interview d’Isabelle Jaffry-Russ par Marie Depay
Rédaction du Village de la Justice.

1980 lectures 1re Parution: Modifié: 1 commentaire 5  /5

Explorer : # agilité # conduite du changement # cybersécurité # management transversal

Toujours curieuse des savoir-faire et des fonctionnements variés des services juridiques et de celles et ceux qui les animent, la rédaction du Village de la Justice s’est entretenue avec Isabelle Jaffry-Russ, directrice juridique chargée de la conduite du changement de la société Systancia (éditeur français de cybersécurité) [1].
C’est son profil professionnel qui nous a attiré. Elle a travaillé au sein du ministère de la Défense, du ministère des Finances, dans une start-up, une PME ; elle a été tour à tour, Commissaire des Armées, rédacteur juridique, juriste d’entreprise, auditeur... jusqu’à son poste actuel : directrice juridique. Une variété de fonctions et de structures qui lui donne une maîtrise et une agilité intellectuelle certaines quant aux domaines de droit, aux techniques de raisonnements et aux différentes cultures d’entreprise.
Son "secret professionnel" ? Rester proche du terrain, travailler en équipe et de façon transversale afin de créer un véritable équipage.

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Village de la Justice : Pourquoi avoir choisi la profession de juriste ?

Isabelle Jaffry-Russ : « C’est un peu banal de dire cela, mais très tôt j’ai souhaité embrasser la carrière juridique. Le côté régalien et la Justice m’intéressaient, c’est donc tout naturellement que j’ai suivi des études de Droit, avec dans l’optique de devenir magistrate.
Pour assurer mon avenir de juriste, j’ai passé plusieurs concours dont celui de Commissaire des Armées et celui de Directeur des Services pénitentiaires, que j’ai validé. Finalement, je n’ai pas passé celui de l’ENM, en effet, la magistrature demandant beaucoup de maturité, je me suis dit qu’il me fallait acquérir de l’expérience terrain. J’ai donc choisi d’intégrer le Commissariat des Armées et plus précisément de devenir Commissaire dans la Marine Nationale. »

Vous avez exercé la fonction de juriste dans différents ministères, secteurs et structures, quel bilan tirez-vous de cette grande variété d’exercices professionnels ?

“Le juriste est là pour sécuriser les choses tout en restant agile.”

« Un commissaire aux Armées est un juriste, mais également un militaire, de ce fait, j’ai acquis un rapport assez fort à l’unité, à la loyauté et à la rigueur ; ainsi qu’une grande richesse humaine, de la fonctionnalité, de la mobilité tant intellectuelle que géographique.

Dans le privé j’ai commencé dans une start-up et j’y ai retrouvé une culture opérationnelle.
Le juriste est là pour sécuriser les choses tout en restant agile.

Les matières sur lesquelles le juriste travaille dans le public sont différentes et sont plus normées et parfois atypiques. Dans mon cas, j’ai eu à traiter de domaines du Droit très spécifiques, tel le droit de la mer, le droit des conflits...
Dans le secteur privé, j’ai pu élargir mon champ de compétences dans les domaines du droit des sociétés, du droit des affaires, du droit social…une culture différente qui m’a fallu apprendre.

En fait quelque soit la structure d’exercice, le métier reste le même : être dans l’action tout en sécurisant l’entreprise. De même, le raisonnement et la technicité sont similaires, seuls les domaines du Droit changent. »

Comment vos anciennes fonctions vous aident t-elles pour l’exercice de votre poste de Directrice juridique ?

« Depuis janvier 2021, je travaille dans une PME d’environ 130 personnes. Mes expériences passées m’ont appris à être proche du terrain, à bien comprendre les environnements opérationnels dans lesquels l’entreprise évolue pour adapter au mieux la sécurité ; et certains des pré-requis pour sécuriser juridiquement une entreprise se retrouvent quelques soient les types d’organisations et structures.
La grande mobilité géographique et fonctionnelle que j’ai eu la chance d’acquérir au préalable me donne une agilité intellectuelle qui me permet de m’adapter plus rapidement et facilement à de nouveaux environnements de travail de tailles différentes. »

En quoi être Directrice juridique au sein d’une PME est-il différent ?

« Dans une start-up, la fonction juridique est souvent intégrée dans les fonctions support. Dans une PME innovante, la structure étant un peu plus grande, le responsable juridique occupe une fonction pleine et entière, il est identifiable en tant que tel et doit gérer plus de secteurs du Droit. Il doit être plus polyvalent et avoir un niveau de technicité plus important.
Dans ce nouveau poste, je suis rattachée au PDG, mais reste en proximité avec le terrain ce qui est fondamental pour mener à bien ma tâche de responsable juridique. Cette double proximité, terrain et équipes dirigeantes, est également ma philosophie pour la conduite du changement. »

Quel regard portez-vous sur votre fonction ?

"Mettre en avant ce côté humain du métier pour ne pas être coupé du terrain."

« Le métier de Directeur juridique est très riche et varié ; il est intellectuellement passionnant et très humain. Il faudrait d’ailleurs que certains professionnels du droit n’hésitent pas à mettre en avant ce côté humain de leur métier pour ne pas être coupé du terrain. C’est une évolution que je constate et dont je me réjouis. »

Pourquoi avoir choisi le secteur de la cybersécurité pour votre nouveau poste ?

« C’est une bonne question. En fait, c’est plutôt la cybersécurité qui m’a choisie. Souhaitant me sédentariser pour me poser un peu et pour ma vie de famille, je me suis installée à Rennes, zone où se trouve une forte concentration d’entreprises axées sur la cybersécurité ; un véritable vivier de la cybersécurité tant dans le secteur militaire que privé.
Souhaitant garder un lien avec l’environnement militaire, j’ai intégré la Réserve et je suis intervenue à ce titre dans l’association Pôle excellence Cyber en tant que Déléguée aux affaires juridiques, administratives et européennes [2].
Mon passage dans cette association m’a permis de prendre connaissance de ce domaine et de rencontrer mon futur employeur qui souhaitait créer un poste de responsable juridique axé sur la cybersécurité et la conduite du changement. »

Selon vous, quelle est la force du service juridique pour porter le sujet de la cybersécurité au sein d’une entreprise ? Les entreprises françaises et leur personnels sont-ils assez sensibilisés sur ce sujet ?

« Deux choses :
- Il faudrait améliorer le dialogue entre et avec les opérationnels, leur permettre de décrire leur environnement de travail pour que les juristes l’appréhendent mieux et montent en compétences techniquement. Et ceci afin de mieux sécuriser et d’intégrer intelligemment le juridique dans leur environnement de travail. Grâce à ce dialogue que j’essaie d’entretenir, je suis devenue une sorte de hotline ! Les salariés me posent des questions sur l’analyse juridique de leurs actions ou projets professionnels.
Le juriste est aussi là pour faire réfléchir les autres sur leur visions de la vision de la société vis-à-vis des normes en l’espèce celles de la cybersécurité.
- Sur le plan économique, le juriste est également là pour rappeler aux dirigeants le coût potentiel d’un contentieux. Il faut aussi réfléchir aux bénéfices et au coût du respect de la norme.

La société dans laquelle j’exerce, développant et commercialisant des solutions sécurisées d’accès aux systèmes d’informations, ses membres sont d’autant plus sensibilisés à la cybersécurité et ce depuis longtemps. »

Les entreprises françaises sont-elles assez investies en matière de cybersécurité ?

« Cela évolue notamment grâce à la communication publique faite depuis plusieurs années par l’ANSSI, la CNIL sur les sujets de cybersécurité : des actions concrètes et pratiques sont mises en place.
La sensibilisation commence à faire ses effets et les nombreuses cyberattaques subies par certains organismes, entreprises et les particuliers accélèrent cette prise de conscience. »

Pourquoi et comment votre service et vous-même mettez-vous en place la conduite changement au sein de la PME ? 

"La conduite du changement, c’est fédérer les membres d’une entreprise autour d’une évolution."

« De façon générale, les PME évoluent dans un domaine très concurrentiel, elles doivent toujours évoluer et être réactives ; elles doivent régulièrement opérer des changements. Aussi les salariés d’une PME ont souvent du mal à suivre ces évolutions, la plus part du temps, ils les subissent.
Il existe souvent une distance qui s’agrandit avec l’augmentation des effectifs entre les dirigeants, qui eux sont contraints de faire évoluer leur entreprise s’ils veulent que cette dernière perdure et les salariés qui vivent cette évolution constante sans y être préparés. Toute la problématique, et donc la solution, est là : considérer le changement comme un processus qui passe par des étapes indispensables.
Pour qu’un changement soit compris et accepté par les salariés d’une entreprise, il faut le présenter, l’expliquer : il faut plus qu’une bonne solution. Déterminer ce qu’il induira pour chacun et former les personnes à ce dernier, et les accompagner face aux évolutions. Ce qui n’est pas toujours compatible avec le temps opérationnel. C’est tout l’enjeu de la conduite du changement : fédérer les membres d’une entreprise autour d’une évolution, réduire les résistances au changement afin qu’ils y adhèrent. C’est plus facile à énoncer qu’à mettre en œuvre.

Il faut également travailler la transversalité. Souvent la communication de haut en bas fonctionne, mais moins l’inverse. Il faut donc améliorer la communication "bottom up" (du bas vers le haut) : la clef de voûte étant le middle management. Mettre en place un niveau intermédiaire de management entre celui de la direction et le terrain.

Plus spécifiquement dans mon entreprise, j’ai donc mis en place un "équipage transverse" avec des personnes de tous les services pour détecter les sujets liés au changement et y réfléchir. Cette réflexion se fera chaque mois lors d’ateliers. Ces derniers permettent de libérer la parole et l’innovation qui vient souvent du terrain.
J’espère, dans la conduite du changement, pouvoir insuffler un peu de l’esprit d’équipage auquel je suis attachée ! »

Interview d’Isabelle Jaffry-Russ par Marie Depay
Rédaction du Village de la Justice.

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Notes de l'article:

[1Isabelle Jaffry-Russ Juriste de formation a commencé sa carrière au poste de Commissaire des Armées sur la frégate Dupleix de la Marine Nationale, entre 1999 et 2001. De 2001 à 2014, elle a occupé successivement les postes d’auditeur au Centre Administratif et Financier Atlantique (Marine Nationale), de rédacteur juridique à la Commission de recours des militaires, de responsable des achats à l’état-major de la Marine puis au ministère de la Défense. Puis elle a exercé au ministère des Finances en tant qu’auditeur pendant quatre ans, puis au Pôle d’excellence cyber en tant que Déléguée aux affaires juridiques, administratives et européennes, elle occupe depuis janvier 2021 le poste de Directrice juridique au sein de la PME Systancia.

[2Pôle excellence Cyber : association créée par le ministère de La Défense et la Région Bretagne pour faire monter en puissance la filière cybersécurité. Cette association intervient tant au niveau de la formation que de la recherche et de l’industrie auprès de tous les secteurs.

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  • par vergès , Le 27 octobre 2021 à 17:14

    Très bel article, dont je partage complètement l’esprit et l’approche. Le métier de juriste pour être efficace doit nous permettre de travailler ensemble afin de faire cohabiter la technique et le droit. L’alliance des deux permet de se comprendre et d’être optimum.

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