Comment vous est venue l’idée de ce film ?
Daniel Auteuil : En Provence où j’habite, chaque jour, dans chaque lieu que je visitais, je me disais : « si un jour je faisais un film, ça, ce serait un décor ». Et au fond, j’avais un décor sans avoir de film.
C’est ma fille, qui est élève-avocate, qui m’a apporté cette histoire. Tout à coup, ça s’est fabriqué. C’est ce qui m’a permis de retrouver le désir de réaliser un autre film, alors que j’avais décidé de ne plus faire de mise en scène.
- Daniel Auteuil (Crédit-Photo : A. Dorange, Rédaction du Village de la Justice)
J’ai attendu pour le réaliser jusqu’à ce que j’arrive à tirer le fil pour moi, à me projeter dans cette histoire. J’ai attendu que ça vienne, j’ai travaillé. J’ai eu besoin de déstructurer l’histoire, de supprimer la chronologie, tout en ayant comme repère chronologique le procès sur trois jours. C’est ça qui remettait les gens en place dans la construction de scénario.
J’ai aussi essayé de faire le plus possible d’ellipses pour laisser de la place pour faire ressentir les choses. Ce que je me suis permis de faire, c’est de prendre des temps, d’hésiter, de donner l’impression de chercher les premières parties. Mais je me disais que c’était bien d’installer ça sur un personnage qui, à la fin, je le savais, ferait une plaidoirie qui serait sans brio, mais brillante et intelligente. Et je voulais qu’elle soit ressentie. Mon désir, c’était d’embarquer les gens le plus loin possible. Je souhaitais qu’ils soient happés, trimballés, hantés par cette histoire.
Le monde judiciaire est complexe. Comment vous êtes-vous préparé pour être crédible ?
D.A. : D’abord, il y a trois films qui m’ont marqué : un film d’Otto Preminger, qui s’appelle « Autopsie d’un Meurtre », un autre de Clouzot, que j’ai adoré, qui est « La Vérité » et un troisième plus cinématographique, mais qui m’a aidé, de Sidney Lumet, qui est « Verdict » avec Paul Newman.
Ensuite, je me suis renseigné sur les avocats qui font du pénal. Il y en a qui écrivent leur truc, d’autres qui improvisent. Il y a des scènes que j’ai coupées comme des répétitions de ce qui pouvait se dire, et tout ça.
Surtout, ce qui a été le plus important pour ce film, c’est assister pendant trois jours à un vrai procès, en appel, où un type était jugé pour avoir violé sa belle-fille entre 10 et 13 ans. C’était un truc extrêmement glaçant, terrifiant. Mais c’est ce qui m’a permis de trouver comment être cet avocat, que je trouve qui est assez réussi. C’est-à-dire un type qui tâtonne, qui hésite, qui cherche, en premier temps, à se convaincre, à comprendre lui-même et puis après, à convaincre les jurés. Avec ce procès, j’ai pu répondre à ma recherche permanente de petits trucs, des détails ordinaires, qui rendent crédible. Si j’avais réalisé un film sur la chirurgie, c’est pareil, j’aurais filmé la pince, le machin, le truc... Ce sont des gestes tout simples, comme baisser le micro, que j’ai pu capter lors du procès.
L’histoire est fidèle à la nouvelle de Me Mô, avec des adaptations. Comment vous êtes-vous approprié le rôle ?
D.A. : Comme j’avais envie de jouer le rôle et de "m’accaparer" l’histoire et en même temps de m’éloigner par rapport à la famille, de ne pas être dans une espèce de reconstitution, il a fallu adapter, oui. Ça comportait un risque pour le personnage que j’ai créé, puisqu’il est jeune avocat quand ça lui arrive. C’est une histoire d’initiation. J’ai réfléchi longtemps à l’idée qu’un vieil avocat pouvait se tromper aussi.
J’ai donc rajouté, pour justifier que ce soit moi qui le joue, que j’avais [mon personnage] fait acquitter un type qui avait récidivé. C’était un truc qui m’avait bouleversé, qui m’avait fait me poser des questions et arrêter le pénal. Mais j’y retournais parce que tout d’un coup, ce type [l’accusé] me donnait le sentiment d’avoir affaire à une victime plus qu’à un type condamné et ça me donnait l’envie de me remettre au pénal, avec tout ce que ça comporte.
Et puis je me suis dit que le jeune Maître Mô avait une espèce d’affect un peu trop fort qui l’avait amené à se perdre dans cette histoire. Et que, finalement, l’affect, ce n’est pas une question d’âge. C’est tout ce que j’ai pu mettre de moi qui m’a permis de raconter cette histoire pour avoir le sentiment de raconter une histoire vraie.
Vous avez choisi la nouvelle « Au Guet-apens », mais est-ce l’ensemble des émotions de Me Mô, au fil du recueil, qui a nourri le personnage ?
D.A. : Oui, c’est ça. Ce qui m’a bouleversé, c’est... comment dire... l’état de cet homme, la manière dont il a vécu ce métier et, j’imagine, comme la majorité le vive, mais comme chez les acteurs, on le vit avec passion et puis d’autres le vivent moins bien.
J’ai rencontré l’avocat que je joue : il y a celui que j’ai vécu intérieurement par l’intermédiaire de Maître Mô et il y a celui physiquement que j’ai vu lors du procès auquel j’ai assisté. Je suis assez fier de ma plaidoirie, par exemple !
Plus sérieusement, c’est un truc psychologique. J’adore assister au film avec les gens, et tout d’un coup, les voir happés, à partir du moment du témoignage de la femme de l’accusé. Ensuite on est, on ne sait plus où on est, on n’a plus de conviction.
Ces oscillations de la conviction, que l’on retrouve très bien côté spectateur, ne s’inventent pas...
D.A. : Non, vous avez raison. J’ai vécu ça au procès auquel j’ai assisté. C’est-à-dire qu’à un moment, j’ai dit : il est innocent. Il n’y avait pas de preuve, etc. Mais tout d’un coup, la douleur de cette jeune femme venait de si loin que ce n’était pas possible que ça n’ait pas existé. Et lui, il n’avait pas accès à la parole. J’étais mal à l’aise. Quand j’ai demandé à l’avocat de la défense « pourquoi il n’avoue pas ? », il m’a dit « il ne peut pas »...
C’est avec toute cette souffrance, ces souffrances-là que j’ai compris pourquoi on est avocat. C’est ça que j’ai joué. Quelque chose qui se ressent plus que ça ne s’explique. Bien sûr, le Code pénal, je n’ai pas appris, mais j’ai eu le sentiment de ressentir des choses essentielles pour faire ce métier.
Qu’auriez-vous aimé dire à Jean-Yves Moyard ?
D.A. : Merci. Je me suis servi de ses réactions, de sa main qui tremble, de la transpiration dans les mains, de sa peur, jusqu’à aller vomir dans un parking. Je l’aurais remercié d’avoir humanisé à ce point-là ce métier.
Il m’est arrivé souvent de jouer des gens qui ont existé "pour de vrai". C’étaient des assassins ou des victimes. Parfois, ils venaient pour me rencontrer et j’étais très mal à l’aise parce que ce que je ressentais, ce n’était rien par rapport à leur vraie douleur. Je tentais désespérément d’être à la hauteur de leur douleur, mais c’est impossible, puisque moi, je joue et j’éprouve du plaisir à jouer, vous voyez ce que je veux dire ? Je suis acteur, donc une sorte d’enveloppe vide par rapport à eux, à lui. Ce n’est pas à moi d’avoir de l’émotion, c’est à vous de la ressentir.
Est-ce que votre film a modifié la perception que vous aviez de notre justice pénale, de ce que l’on en voit dans les médias ?
D. A. : Non, pas réellement, parce qu’on sait que tout est souvent un peu caricaturé, avec des avocats qui viennent pérorer un peu, etc. Mais tout ça, on sait bien que ce n’est pas dedans ; ce qu’il y a dans la Justice, dans un procès, on ne le voit jamais. Enfin, on peut le voir un peu dans des films ou à la télévision, mais c’est plus du documentaire et ce n’est pas ce que je voulais faire. J’ai voulu absolument m’éloigner de tout ce qu’on voit à la télé. Je voulais vraiment faire du cinéma, en amenant une crédibilité sans être réaliste.
En revanche, je ne savais pas à quel point ces histoires, les histoires de crimes, de procès, tout ça, fascinent les gens. C’est probablement la raison – que je n’ai pas compris tout de suite – qui fait que le film s’est monté aussi vite financièrement ! Mais aujourd’hui, plus que jamais aujourd’hui, alors que les choses se passent ailleurs que dans les prétoires, je me dis que c’est important. Ce n’était pas quelque chose que je recherchais, mais je suis content de l’avoir fait pour ça aussi.
Est-ce que le métier d’avocat vous fascine ?
D.A. : Je ne suis pas sûr que ça me fascine ! Mais j’ai beaucoup d’admiration, c’est vraiment un sacerdoce. C’est vrai qu’avec « Le Fil », j’ai été peu à peu happé, à mon tour, par ce métier. Mais c’est le même ordre d’idée quand un chauffeur de taxi me dit « oh là là, j’aimerais faire ce que vous faites ». Mais je dois dire que jeune homme, si j’avais été meilleur à l’école, ce n’est pas un truc qui me déplaisait, c’est quelque chose qui aurait pu m’attirer.
Le point commun entre un avocat et un acteur, je dirais que c’est le talent. S’il n’a pas de talent, le mec, il va prendre 30 ans de prison. Moi, si je n’ai pas de talent, je vais avoir une mauvaise critique et mon film ne va pas marcher. Mais ce n’est rien par rapport au risque en face. Le pénal, c’est quand même un drôle de truc.
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