Qu’elle soit civile, sociale, pénale, commerciale ou administrative, la justice française est asphyxiée : les magistrats et leurs greffiers, en nombre insuffisant et épuisés par leur surcharge de travail, doivent traiter des litiges en constante augmentation, sans que ne leur soient affectés les moyens supplémentaires désespérément réclamés [1].
Cette situation crée un mal-être dans la magistrature, mal-être dont la presse se fait régulièrement l’écho [2].
L’encombrement des juridictions engendre un allongement des délais de jugement insupportable pour tous les acteurs du monde judiciaire et la perte de confiance du citoyen en la justice étatique, jugée trop lente et trop complexe. Il est reproché à l’appareil judiciaire de ne pas consacrer aux justiciables le temps nécessaire pour traiter convenablement leurs dossiers.
Le mauvais fonctionnement de la justice étatique fait apparaître le besoin de régler les conflits en dehors d’elle, en recourant davantage aux modes amiables de résolution des différends (MARD) et la nécessité de construire une véritable justice amiable préalable ou parallèle à la justice étatique.
On assiste en effet à un phénomène d’interpénétration de l’amiable et du judiciaire, l’amiable pouvant avoir lieu à tout moment du processus judiciaire : « la politique juridique menée consiste à reconnaître une dimension amiable du procès. L’alternative laisse place à l’alternance, voire à une coopération du juridictionnel et de l’amiable » [3].
Les justiciables l’ont compris et se montrent disposés à s’engager dans un processus de résolution amiable de leurs différends qui peut leur apporter une solution de manière plus rapide, plus satisfaisante et moins coûteuse que le procès classique.
Les MARD répondent aux attentes des justiciables en ce qu’ils constituent des instruments de pacification des relations sociales et de responsabilisation des individus au service d’une justice participative. Leur objectif est de passer d’une justice verticale (celle où le différend est réglé par un juge) à une justice horizontale (celle où les citoyens règlent eux-mêmes leur différend). Ils pourraient ainsi devenir les outils d’une nouvelle justice, plus humaine, plus rapide, plus efficace, de meilleure qualité et moins coûteuse.
Le recours au juge n’apparaît plus être le seul moyen de résoudre un différend et tous les professionnels du droit comprennent que le développement des MARD est inéluctable et que leur connaissance et leur maîtrise s’imposeront dans les années à venir.
Les avocats doivent aujourd’hui être en mesure de conseiller leurs clients sur l’opportunité de recourir aux MARD et, partant, savoir négocier avant que de plaider.
Le 28 décembre 2020, le Conseil National des Barreaux (CNB) a adopté une décision à caractère normatif qui modifie les articles 6.1 et 8.2 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat.
Ces deux articles, respectivement relatifs à la mission générale de l’avocat et au règlement amiable, recommandent à l’avocat « d’examiner avec ses clients la possibilité de résoudre leurs différends par le recours aux MARD préalablement à toute introduction d’une action en justice ou au cours de celle-ci, ou lors de la rédaction d’un acte juridique en introduisant une clause à cet effet. » et l’autorisent, avant ou en cours de procédure mais obligatoirement avec l’accord de son client à « prendre contact avec la partie adverse ou la recevoir afin de lui proposer un règlement amiable du différend » [4].
À la classique approche judiciaire de ses dossiers, l’avocat moderne est ainsi appelé à ajouter l’approche d’un règlement à l’amiable du différend, tant en amont qu’au cours d’une procédure judiciaire.
Dans ce cadre, l’avocat modifie tant sa relation avec ses clients, auxquels il consacre un important temps d’écoute pour comprendre ses intérêts, besoins, préoccupations, valeurs et motivation, que sa posture vis-à-vis de ses confrères et de la partie adverse. En effet, il utilise les techniques de l’écoute active et empathique, de la reformulation, de la communication non violente et de la négociation raisonnée pour amener son client à trouver un accord avec la personne physique ou morale avec laquelle cette dernière a un différend.
Ce changement de paradigme est l’occasion pour l’avocat du XXIème siècle d’apprendre à manier, à côté des techniques classiques de la guerre de positions, les techniques de résolution amiable des différends, en sorte de pouvoir passer de la guerre des tranchées à la paix retrouvée quand les belligérants en auront la volonté [5].
Le rôle de l’avocat dans le règlement des différends s’en trouvera augmenté puisque, en plus de savoir concevoir et conduire une stratégie judiciaire, l’avocat moderne est appelé à savoir développer une stratégie de l’amiable et à s’en approprier les outils et les techniques. Cet Avocat de Paix fera sienne la phrase de Victor Hugo « La guerre, c’est la guerre des hommes ; la paix, c’est la guerre des idées » [6].
Antoine de Saint-Exupéry a écrit « Je n’aime pas que l’on abîme les hommes » [7] et il a été écrit qu’« Être avocat, c’est avant tout se consacrer à autrui et l’aimer, pour le défendre, pour le conseiller, pour dédramatiser la situation » [8].
Le recours à un avocat formé aux MARD permettra aux justiciables de réduire leurs souffrances, de rétablir la communication entre eux et de chercher des solutions créatives, et quand cela ne sera pas possible, de présenter au juge un dossier déjà analysé afin de le solliciter sur les questions essentielles et/ou de principe qu’il doit trancher en droit.
Pour certains avocats, le développement des modes amiables de résolution des différends pourrait être l’occasion de se détourner de la logique d’affrontement qui prévaut dans la procédure judiciaire classique en recourant à une nouvelle pratique fondée sur la coopération.
Être avocat ne consistera alors plus à se comporter comme un mercenaire ayant pour mission de satisfaire son client en mettant à terre l’adversaire avec l’arme du droit mais consistera au contraire à chercher un accord satisfaisant pour l’un et l’autre, en utilisant les outils des modes amiables de résolution des différends.
Plus que des outils, les MARD peuvent et doivent devenir la nouvelle culture des avocats.