Disposition redoutée des supermarchés et des magasins de la grande distribution, l’article 40 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (APER) fait obligation, sous peine d’amendes, aux gestionnaires de parcs de stationnement extérieurs de 10 000 m2 ou plus à partir du 1ᵉʳ juillet 2026 et de 1500 m2 ou plus à partir du 1ᵉʳ juillet 2028, de les équiper, sur la partie supérieure assurant l’ombrage correspondant à au moins la moitié de cette superficie, d’ombrières intégrant un procédé de production d’énergies renouvelables.
Cette disposition législative a pour objectif manifeste de favoriser le développement de l’énergie solaire dans la mesure où, selon le procédé le plus courant bien que non exclusif, les entreprises concernées s’acquitteront de leur obligation en faisant apposer des panneaux photovoltaïques sur les ombrières préexistantes ou construites pour l’occasion.
Abondamment relayé sur la toile, l’article 40 de la loi APER soulève des interrogations parfois inquiètes quant à la définition des parcs de stationnement concernés, le calcul de leur superficie à équiper, la notion de gestionnaire de parc de stationnement, l’interprétation des cas d’exemption prévus par le texte, les conditions d’entrée en vigueur de l’obligation, la manière dont seront infligées les amendes et les recours ouverts pour les contester.
Une fraction significative de ces questions devrait recevoir des éléments de réponse dans le décret d’application, dont le projet a été soumis le 16 avril 2024 pour avis au conseil supérieur de l’énergie [1] et dont l’adoption sera précédée d’une consultation du public.
Force est d’observer à ce stade que ni la loi ni ce projet de décret n’abordent le sujet fiscal de l’imposition à la taxe foncière des ombrières photovoltaïques, sujet qui interpelle pourtant les entreprises concernées : au point que le MEDEF s’en est fait le relais actif dans une question posée au gouvernement, à l’époque où l’article 40 était en discussion au Parlement.
Soulignons en effet que les ombrières photovoltaïques se comportent de trois parties : les panneaux photovoltaïques posés, fixés ou attachés à la partie supérieure du support, les équipements techniques qui les assortissent et permettent la production d’électricité et le support desdits panneaux, c’est-à-dire l’ombrière elle-même. Cette décomposition pose la question de l’imposition - ou non - de ces trois composantes à la taxe foncière, sachant que les techniques de construction en cours peuvent avoir des incidences sur cette imposition (I).
Par ailleurs, l’article 40 de la loi APER désigne le gestionnaire du parc de stationnement comme celui sur lequel pèse l’obligation explicite d’équiper ses ombrières d’un procédé de production d’énergie renouvelable et l’obligation implicite de faire construire lesdites ombrières. C’est lui qui s’expose à devoir verser une amende annuelle à l’administration fiscale s’il ne répond pas à ces obligations. Toutefois, la taxe foncière est un impôt foncier et non un impôt qui assujettit le revenu d’une activité. Au gestionnaire du parc de stationnement ne saurait par conséquent incomber, en cette qualité, le règlement de la taxe foncière. Aussi, la question de l’identité du redevable de la taxe foncière sur les ombrières photovoltaïques demeure entière et mérite de recevoir une réponse nuancée en fonction des configurations d’exploitation (II).
Enfin, c’est peu dire que le calcul de la taxe foncière convoque des méthodes complexes, mal connues du public. Leur choix est déterminant sur le montant dû et il dépendra sans doute du mode d’exploitation des panneaux photovoltaïques, selon qu’ils sont exploités en autoconsommation par le propriétaire des ombrières ou par un tiers, comme il arrive fréquemment. L’affaire est loin d’être close, car la position de l’administration fiscale et celle du ministre délégué chargé des comptes publics divergent notablement (III).
I- Le principe de l’imposition à la taxe foncière.
L’article 1382 12° du CGI dispose que sont exonérées de taxe foncière « les immobilisations destinées à la production d’électricité d’origine photovoltaïque ». Le Conseil d’État considère qu’entrent dans ce champ d’exonération « non seulement les équipements techniques permettant la production d’électricité d’origine photovoltaïque mais également les constructions qui en sont le support nécessaire, tels les postes de transformation et de livraison et leurs terrassements » [2].
Il résulte de cette interprétation que sont d’abord exonérés de taxe foncière les panneaux photovoltaïques eux-mêmes, dans les mêmes conditions que les biens d’exploitation des établissements industriels, dès lors qu’ils sont intégrés directement et matériellement dans le processus de fabrication, de transformation ou de manutention et servent spécifiquement à l’exercice de l’activité professionnelle [3].
Sont exonérés également le poste de transformation (transformateur), le poste de livraison (EDF) et le poste ondulateur dès lors qu’ils sont destinés à la production d’électricité d’origine photovoltaïque [4]. Si ces postes de transformation, de livraison et d’ondulation sont des structures en béton livrées et déposées sur des chapes, elles-mêmes en béton et enfouies, leurs terrassements sont également exonérés [5].
En revanche, l’élément d’exonération précisé par l’article 1382 12° du Code général des impôts n’inclue pas le support des panneaux photovoltaïques, c’est-à-dire l’ombrière. Il importe à cet égard de savoir si, concrètement, ce support, qui abrite les personnes et les biens, s’analyse en un « ouvrage en maçonnerie présentant le caractère de véritable construction » au sens de l’article 1381 1° du même Code.
La jurisprudence administrative apprécie cette notion générale au regard de l’importance, de l’usage et des caractéristiques techniques des structures considérées. Naguère, le Conseil d’état ne retenait la qualification de véritables constructions que si les structures étaient fixées au sol à perpétuelle demeure, de telle façon qu’il fut impossible de les déplacer sans les démolir ou détériorer [6]. Plus récemment, la haute juridiction administrative a développé une conception extensive du critère en attrayant dans le champ de la taxe foncière des constructions qui ne sont pas nécessairement scellées au sol, mais qui ne sont pas normalement destinées à être déplacées ou n’ont pas vocation à être déplacées [7]. Le critère ainsi retenu est proche de celui de l’ancrage au sol. Il implique de distinguer au sein des constructions démontables et transportables celles pour lesquelles un tel déplacement est à la fois facile et habituel et celles pour lesquelles cette opération est possible mais ne constitue pas une utilisation normale et courante desdites structures [8].
La réponse à notre question peut donc être variable selon la technique d’édification employée pour l’ombrière considérée. La plupart des techniques connues impliquent le perçage du sol et l’excavation de fondations auxquelles le support - en béton - est relié. Tel est le cas des ombrières mono poteau central ou des ombrières poteaux treillis. Dans ces cas de figure, il ne fait pas de doute que le support s’analyse en un « ouvrage en maçonnerie présentant le caractère de véritable construction » au sens de l’article 1381 1° précité : ce qui le fait entrer dans l’assiette imposable de la taxe foncière.
Il existe en revanche d’autres techniques alternatives où les ombrières, composées d’un autre matériau que le béton, tels le bois ou l’aluminium, ne reposent sur aucune fondation en béton ou maçonnerie et ne sont que posées ou vissées au sol. Il a ainsi été jugé que sont exonérées les ombrières démontables en bois qui sont fixées par des chevilles vissées au sol et qui ne reposent sur aucune assise en maçonnerie ou en ciment [9]. Nous pressentons qu’il en serait de même des ombrières en aluminium, si elles sont légères et peuvent être déplacées sans recours à un moyen technique démesuré.
D’autres configurations suscitent davantage d’interrogations. Ainsi des ombrières dites « auto lestées », qui sont maçonnées en béton, mais ne comportent pas de fondations et pourraient théoriquement être déplacées ou démontées. Dans la mesure où leur déplacement ne semble pas en constituer une utilisation normale et courante et nécessiterait d’importants moyens, nous sommes d’avis qu’elles sont imposables à la taxe foncière.
II - Le redevable de l’imposition à la taxe foncière.
Conformément aux dispositions gouvernant la taxe foncière, celle-ci est due par toute personne physique ou morale qui détient un droit de propriété sur l’ombrière (art. 1400 I CGI). Seront ainsi assujettis à la taxe foncière le propriétaire plein et entier, les coindivisaires ou les copropriétaires de la parcelle comprenant le parking et ses ombrières.
Dans l’hypothèse où un tiers investisseur exploite les ombrières en exécution d’un bail à construction ou d’un bail emphytéotique, le redevable de la taxe foncière sur les ombrières est ce preneur emphytéotique ou preneur à construction (art. 1400 II CGI).
L’usufruitier, dont le droit réel porte sur les ombrières, est également redevable de la taxe foncière qui les grève (art. 1400 II CGI). Il n’a certes qu’un droit réel sur la chose d’autrui, mais il en jouit comme un propriétaire (art. 578 C. civ.) et surtout il en perçoit les fruits : telle est la justification apportée au texte législatif par l’administration fiscale [10].
Que faut-il décider à propos du titulaire d’un droit réel de jouissance spécial (DRJS) que le propriétaire du foncier octroierait à un tiers sur les ombrières ? Les droits réels sur la chose d’autrui réglementés par la loi, que sont l’usufruit, le droit d’usage et d’habitation, les servitudes, le bail emphytéotique et le bail à construction, ne forment pas en effet un numerus clausus. Le propriétaire est libre de constituer des droits réels de jouissance innommés au profit d’autrui, pour peu que ces droits ne viennent pas contourner la réglementation d’ordre public d’un droit réel prévu par la loi [11]. Ce droit réel sur la chose d’autrui, qui peut être perpétuel [12] ou d’une durée supérieure à trente ans [13] si les parties le décident, qui s’éteindra au bout de trente ans si elles gardent le silence sur sa durée [14], confère selon les situations soit un simple droit d’usage au sens strict (ius utendi) et non un droit de jouissance au sens strict qui autoriserait le titulaire à percevoir les fruits civils (ius fruendi). Dans d’autres cas, il confère non seulement le droit d’usage mais aussi le droit d’en percevoir les fruits.
Si l’on garde donc en mémoire ce que décide l’administration fiscale pour justifier l’imposition à la taxe foncière de l’usufruitier, à savoir la perception des revenus du bien imposé, on devrait considérer que le titulaire d’un droit réel de jouissance spécial sur les ombrières n’est pas redevable de la taxe foncière sur le support des panneaux photovoltaïques s’il n’a qu’un droit d’usage : seul le propriétaire du foncier devrait en assumer la charge. En revanche, il serait redevable de cette taxe si la convention à la source de son droit lui confère un ius fruendi sur les ombrières.
III - La méthode d’imposition à la taxe foncière.
L’implantation d’ombrières de parking conduit à s’interroger sur les modalités de leur imposition à la taxe foncière. Il importe ici de distinguer selon que les ombrières sont exploitées par le propriétaire du foncier après avoir été construites dans le cadre d’un louage d’ouvrage par un tiers ou sont construites et exploitées par un tiers.
Dans le premier cas, celui d’un propriétaire exploitant en autoconsommation les panneaux photovoltaïques, nous estimons que la taxe foncière portant sur les ombrières doit être évaluée selon la méthode dite commerciale. Cette hypothèse vise plus particulièrement l’ensemble des parkings situés dans une zone d’activité économique, entendu comme une zone créée et délimitée par un plan par une collectivité locale dans l’objectif d’y domicilier des entreprises privées, dont les ombrières photovoltaïques servent principalement à abriter des biens, autrement dit à garer des voitures à l’ombre sur un parking.
La taxe foncière serait donc évaluée selon la méthode applicable aux locaux professionnels, en tenant compte principalement de la surface réelle et pondérée des places de stationnement ainsi que des voies de circulation. Un tarif au mètre carré correspondant à la catégorie du local retenue serait ainsi appliqué à la surface pondérée totale estimée.
L’obligation légale de construire des ombrières photovoltaïques sur parking a conduit nombre de propriétaires à s’interroger sur les conséquences financières qu’une telle obligation pourrait impliquer relativement à leur taxe foncière sur les propriétés bâties. Les parkings peuvent en effet, actuellement, être classés dans de nombreuses catégories fiscales [15] .
Or, l’administration fiscale incline à classer les parkings extérieurs ombragés soit dans la catégorie DEP4 (espaces de stationnement couverts), par référence à l’article 310 Q de l’annexe II au CGI, pris pour l’application de l’article 1498, I al. 2 du même Code, auquel cas la surface est pondérée à 1 (P1) ; soit dans la catégorie du local professionnel dont il est l’annexe (magasin MAG, bureau BUR, dépôt DEP, atelier ATE, etc.), auquel cas sa surface est pondérée à 0,5 (PK1).
Pareille doctrine conduirait inévitablement à une augmentation drastique de la taxe foncière et la cotisation foncière des entreprises due sur les parkings, la catégorie retenue étant plus onéreuse et la surface pondérée, plus importante. Toutefois, à la suite d’une question posée au gouvernement par le MEDEF en date du 16 février 2023, M. Gabriel Attal, alors ministre délégué chargé des comptes publics, a précisé dans sa lettre de réponse en date du 16 mai 2023 que « l’installation de panneaux photovoltaïques en hauteur sous forme d’ombrières n’ a pas d’impact sur l’évaluation du parc de stationnement situé en dessous, qui garde sa consistance, son affectation et sa situation initiale de parc de stationnement évalué dans la catégorie DEP3 en tant que parking à ciel ouvert. La présence d’ombrières est donc sans conséquence sur la situation du parc de stationnement au regard de son imposition à la taxe foncière et à la CFE ».
Il existe ainsi à ce jour une incertitude sur l’évaluation à retenir pour l’imposition à la taxe foncière, dans l’hypothèse d’une exploitation par un tiers de l’électricité des ombrières photovoltaïques. Aucune juridiction administrative ne s’est positionnée sur ce sujet et aucune certitude n’existe que cette réponse gouvernementale sera suivie par l’administration fiscale.
A notre avis, si le propriétaire des ombrières ne se livre pas à une activité de production et de vente d’électricité photovoltaïques à l’aide de ses ombrières photovoltaïques, les parkings et leurs ombrières devraient être uniquement évalués selon la méthode dite commerciale. Si, en revanche, le propriétaire du parking décide d’exploiter les panneaux photovoltaïques, de produire de l’électricité et de la revendre en tout ou partie à des tiers, il devrait être réputé se livrer à une activité de production et vente d’électricité photovoltaïque, soit une activité de commerce conformément à l’avis du CCRCS n° 2012-014 rendu le 13 avril 2012 [16]. La Cour Administrative de Nantes a également retenu dans une affaire qu’au regard de l’importance des moyens matériels mis en œuvre et de leur rôle prépondérant dans l’activité, la production d’électricité au moyen de panneaux photovoltaïques constituait une activité industrielle pour le propriétaire exploitant [17]. La méthode d’évaluation alors suivie serait la méthode comptable (art. 1499 CGI), dès lors que la valeur des installations est supérieure à 500 000 €.
Dans le second cas, celui où les ombrières sont directement exploitées par un tiers investisseur, dont l’activité principale est la production d’électricité photovoltaïque, généralement titulaire d’un bail emphytéotique ou à construction et donc propriétaire superficiaire des ombrières photovoltaïques, la taxe foncière sur les supports des panneaux, si ces derniers présentent bien sûr les caractéristiques d’une véritable construction, devrait être réglés par le tiers investisseur selon la méthode dite comptable dès lors que la valeur des installations est supérieure à 500 000 €. Quant à la taxe foncière sur les parkings, elle devrait être réglée par son propriétaire selon la méthode dite commerciale. Double imposition en définitive, bicéphale, dont le fisc se réjouira sans doute.