Cet article est proposé par le nouveau Magazine "Liberalis"...
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(Histoire / Juridique) : L’histoire des Canuts lyonnais et du Conseil des Prud’hommes.
Par Jean-Louis Roux-Fouillet
Au cours de la Révolution industrielle, les "canuts" (nom donné aux ouvriers lyonnais, le nom viendrait de « canette », la bobine utilisée dans la navette du tisseur) ont joué un rôle central en plaçant Lyon au cœur de l’Europe progressiste et ouvrière et ceci pendant près d’un siècle. Leur histoire, à la fois agitée et humaniste, a profondément influencé la société, l’économie et même la cuisine lyonnaise tout au long du XIXe siècle. Depuis l’effervescence laborieuse des quartiers de la Croix-Rousse jusqu’aux émeutes agitées et aux soirées endiablées dans les théâtres locaux, plongeons-nous dans l’univers captivant des canuts lyonnais.
- Tissage du velours © Maison des Canuts
Leur devise, "Vivre en travaillant ou mourir en combattant", inscrit sur le fronton de la mairie du 4ᵉ arrondissement, résonne à travers la Croix-Rousse, tout comme la statue emblématique trônant sur la place principale de ce quartier bohème : la statue de Jacquard, inventeur des métiers à tisser qui ont donné à Lyon sa renommée internationale. Cultivés et déterminés, nos canuts étaient de fervents défenseurs des avancées sociales et du progrès, tout en étant des connaisseurs raffinés en gastronomie. Fiers de leur appartenance aux classes laborieuses, leur impact sur la ville et les mentalités a été significatif, anticipant dès le XIXe siècle les grands enjeux et débats contemporains liés à la solidarité ouvrière et aux problèmes au travail.
Le début du XIXe siècle va marquer une transformation considérable sur la colline de la Croix-Rousse. Jusqu’alors, les artisans de la soie étaient principalement regroupés dans le Vieux-Lyon. Cependant, l’arrivée des nouveaux métiers à tisser Jacquard en 1801 allait tout bouleverser.
Ces métiers à tisser étaient d’une taille considérable, nécessitant la construction de logements adaptés. La plupart des terrains de la Croix-Rousse, autrefois propriété de l’Église, avaient été confisqués pendant la Révolution. La construction d’immeubles aux fenêtres imposantes débuta pour permettre aux artisans de bénéficier d’une lumière naturelle maximale, et pour installer des mansardes, des mezzanines où près de 30 000 canuts et leur famille pourraient vivre. Lyon était alors la principale ville ouvrière de France.
- Métiers à tisser © Maison des Canuts
Au-delà des changements urbanistiques, une organisation professionnelle se mit en place dès le début du XIXe avec la création de la Chambre de commerce de Lyon et de la Condition des soies en 1805, visant à améliorer le contrôle de la qualité des tissus. Il devenait également impératif de réguler les litiges entre le patronnat et les canuts.
C’est le 18 mars 1806 qu’une loi créant un conseil de prud’hommes à Lyon est promulguée par Napoléon Ier puis complétée par un décret le 3 juillet de la même année. Les employeurs sont alors majoritaires. Le paritarisme est ensuite instauré par un décret du 27 mai 1848. Des tribunaux favorisant la conciliation entre les fabricants de soie et les ouvriers lyonnais existaient déjà et servirent d’exemple. À cette occasion, les grands principes toujours en vigueur sont énoncés. Le résultat fut que dès la fin du Premier Empire, tous les éléments étaient réunis pour voir l’essor et la prospérité de l’industrie de la soierie lyonnaise dans un certain apaisement, même si des révoltes furent violemment réprimées sous Louis Philippe qui ont conduit à une réorganisation du Conseil des Prud’hommes. La soie représente les trois quarts de l’activité économique de Lyon à cette époque.
- Salle d’exposition © Maison des Canuts
Aux origines, le mot « prud’homme » provient du latin populaire « prode » signifiant « homme probe », c’est-à-dire une personne intègre, honnête. Ce terme est bien plus ancien que le droit du travail et au XIe siècle, sous Philippe le Bel, les prud’hommes étaient des hommes incorruptibles et respectés, choisis pour régler les différends entre artisans et commerçants. Ils étaient des arbitres de confiance, reconnus pour leur sagesse et leur impartialité. Un conseil des prud’hommes de Paris a ainsi été créé en 1296 pour les litiges entre marchands.
Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime il existait même des « prud’femmes ». Leur rôle s’inscrivait dans le contexte des corporations exclusivement féminines, telles que celles liées... au métier de la soie, comme par hasard !
À Marseille, des tribunaux prud’homaux étaient également établis pour résoudre les litiges liés à la pêche maritime. Ces instances reposaient sur le principe de régulation corporatiste et de jugement par les pairs. La suppression des corporations de métiers en tant qu’entités intermédiaires par la loi « Le Chapelier » de 1791 a également entraîné la disparition de ces premiers tribunaux prud’homaux.
- Détail d’un foulard Philéone © Philéone
Au début du XXe siècle, la loi du 27 mars 1907 a établi le cadre actuel des conseils de prud’hommes (CPH), en affirmant leur autorité pour résoudre par voie de conciliation les différends entre employeurs et employés, ainsi qu’entre ouvriers. En cas d’échec de la conciliation, ces conseils sont habilités à prononcer des jugements.
Les principes énoncés en 1907 ont été confirmés par la loi du 18 janvier 1979, connue sous le nom de loi Boulin, qui a généralisé la compétence des CPH en éliminant les exceptions persistantes et en rendant obligatoire la présence d’au moins un conseil dans la circonscription de chaque tribunal d’instance.
Pour poursuivre la prestigieuse histoire des canuts lyonnais, rien ne remplace une visite à leur Maison dédiée. L’histoire fondatrice de l’identité lyonnaise est en effet évoquée à la Maison des canuts. Elle commence en 1536 lorsque François Iᵉʳ décide de faire de Lyon la seule ville habilitée à entreposer de la soie, cette matière noble, ce qui promeut le tissage dans la ville. Le règne de Louis XIV représente l’une des périodes les plus fastes, puis la Révolution ralentit la production, les principaux clients étant guillotinés ou contraint à l’émigration.
- Tissage © Maison des Canuts
Mais Napoléon relance la soierie. Il décide que toute personne travaillant pour la France à l’étranger doit s’habiller uniquement avec de la soie tissée à Lyon. La ville fournit alors l’Europe entière, et même les États-Unis !
Les points forts de ce musée : les démonstrations sur des métiers à tisser anciens, et Philéone, la marque de tissus et d’accessoires textiles de la Maison des Canuts, une collection raffinée et fabriquée en France. (Le nom Philéone vient du mot grec philotimo qui exprime la fierté du travail bien fait, l’honneur de la famille, de la communauté et de la « bonne chose ».)
Et à propos de « bonne chose », Lyon abrite plus de 4 000 restaurants dont une quinzaine d’étoilés, et 21 labelisés « bouchon lyonnais » la ville détenant le record du nombre de restaurants par habitant. Une bonne raison pour y prévoir une escapade en 2024 ! Only Lyon !
Informations :
Maison des Canuts, 10/12 rue d’Ivry, 69004 Lyon : https://maisondescanuts.fr
Philéone : https://phileone.fr
OnlyLyon : www.onlylyon.com
Photo en logo : Canetiere et supports © OnlyLyon