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Sujet : A quelle heure commence un arrêt de travail pour maladie ?

Echanges sur des points de droit.

A quelle heure commence un arrêt de travail pour maladie ?

de Camille   le Ven 15 Juil 2011 9:29

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Bonjour,
Question de "béotien débutant" qui ne m'était encore jamais venue.
Un arrêt de travail prescrit par le médecin pour maladie (donc, hors accident du travail) ne commence-t-il qu'à l'heure exacte où le médecin appose son auguste paraphe sur l'avis médical ? Ce qui impliquerait de facto qu'avant cette heure fatidique, l'intéressé serait en absence injustifiée ?

C'est pourtant bien l'impression qu'on retire de cet arrêt sur lequel je suis tombé un peu par hasard :

Cour de cassation chambre sociale du 16 septembre 2009
N° de pourvoi: 08-41837
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJur ... &fastPos=1


Le litige, pour l'employeur, tournait autour de la question de savoir si le médecin, qui avait signé un arrêt de travail un samedi après 12h et visant cette journée-là sans autre précision, avait eu l'intention d'arrêter l'employé pour la journée entière ou seulement à partir de l'heure de la signature de l'avis. Avec longue discussion sur l'heure estimée de cette signature.
Certes, les circonstances étaient un peu particulières (intéressé en garde à vue dans la nuit du vendredi au samedi et jusque vers 11h30) mais, moi personnellement, j'avais toujours compris que quand un médecin arrêtait quelqu'un, par exemple du 5 au 10, c'était automatiquement du 5 à 0h00 jusqu'au 10 à 23h59 plus une minute. Et non pas, à partir de la minute exacte où il signait l'arrêt de travail et pas avant, et quand bien même il ne signait l'avis que le 5 dans le courant de la journée.
Il faut demander au médecin d'horodater ses avis d'arrêt de travail, maintenant ?
D'ailleurs, dans ce cas, pourquoi l'employeur n'a-t-il pas posé la même question pour le deuxième arrêt de travail, celui délivré dans la journée du lundi par le médecin traitant, lequel ne devait pas être beaucoup plus précis sur ce sujet que le premier, celui délivré par le médecin de garde du samedi, et qui, du coup, entrait dans le même cas de figure ?

La Cour de cassation a quand même bien fini par donner gain de cause à l'intéressé mais pas pour le motif que je soulève, puisqu'au motif du droit au respect de la vie privée en l'absence de trouble objectif caractérisé au sein de l'entreprise.
Et ni la Cour (de cassation), ni la cour (d'appel), ni même l'avocat aux Conseils (voir moyens annexés) n'ont eu l'air de trouver anormal que l'employeur fasse une distinction entre journée entière et journée partielle.

Mais alors, quand on a 48 heures pour informer la Caisse et l'employeur, c'est à partir de l'heure de signature, chronomètre en main ? Donc "48h chrono" ?
:?:

   Re: A quelle heure commence un arrêt de travail pour maladie

de Mon ego et moi   le Ven 15 Juil 2011 19:28

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Bonjour Camille,
Ne peut-on pas lire dans cet arrêt que le motif de l'absence de trouble suffit à lui-même, sans qu'il soit besoin de retenir comme motif de cassation une quelconque discussion sur l'heure ? Si le salarié avait simplement été malade chez lui en attendant un médecin qui se déplaçât jusqu'à 11h30, qu'en aurait-il été d'après vous ? (oui j'aime beaucoup le droit-fiction, ou comment imaginer ce qui se trame dans le cortex des juges de la Chambre Sociale)
Accessoirement, être malade n'est-il pas, hors maladie professionnelle, une forme un peu particulière de vie privée ?
MEEM
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   Re: A quelle heure commence un arrêt de travail pour maladie

de Camille   le Sam 16 Juil 2011 9:06

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Bonjour,
Je suis bien d'accord, ce n'est pas exactement la solution de la Cour de cassation, en tant que telle, que je conteste. C'est plutôt celle de la cour d'appel qui m'interpelle, et initialement la démarche de l'employeur :

AUX MOTIFS QUE la lettre de licenciement est fondée sur plusieurs motifs, dont le suivant : « Vous avez manqué de loyauté vis-à-vis de l'entreprise lorsque pour justifier de votre absence, vous avez fourni un arrêt de travail pour la journée entière du 22 octobre 2005 alors que votre garde à vue a cessé vers 11h30. Par votre courrier du 27 octobre 2005 vous nous indiquez : « mon état de santé nécessité un arrêt de travail pour toute la journée ». Ceci est manifestement inexact pour vous étiez retenu au commissariat de LIMOGES de 3 heures 30 à 11 heures 30 environ, et que l'arrêt de travail que vous avez produit n'a pas été délivré dans cette enceinte. En outre cet arrêt de travail a été délivré après 12 heures » ;

Ça, c'est pour l'employeur…

[AUX MOTIFS] qu'il résulte des propres pièces de l'appelant, en l'espèce une procédure d'enquête préliminaire, qu'il a été interpellé par les services de police dans la nuit du 21 au 22 octobre 2005 et placé en garde à vue le 22 octobre 2005 de 2 heures 30 à 11 heures 25 ;
(…)
que son employeur lui a adressé le 26 octobre 2005 un courrier recommandé avec accusé de réception ainsi qu'un avis de prolongation et lui demande la précision suivante : « Pour une prise en compte de ces arrêts de maladie auprès de notre comptabilité vous voudrez bien nous indiquer, par retour du courrier, si nous devons prendre en considération l'arrêt du maladie du 22 octobre 2005 pour toute la journée » ;

qu'Emmanuel X... a adressé le 27 octobre 2005 la réponse suivante : «… Je vous confirme et tenais à vous informer par la présente que mon état de santé a nécessité un arrêt de travail depuis le samedi 22 octobre 2005 pour la journée. L'avis médical confirme cet état de fait… » ;

qu'à une question explicite de son employeur sur le point de départ de son arrêt maladie l'appelant a répondu par un mensonge caractérisé en profitant de l'imprécision de l'arrêt de travail qu'il s'était fait délivrer ;


qu'en effet, étant resté en garde à vue jusqu'à 11h25 il n'a pu consulter un médecin que postérieurement à cette heure, qu'en donnant des indications mensongères sur l'imputation de l'arrêt de maladie et sur la cause de son absence il a manqué à l'obligation de loyauté dont il est tenu à l'égard de son employeur, laquelle subsiste en dehors de l'exécution de son contrat de travail (en ce sens Soc 18 mars 2003 DS 2003 770), ce qui constitue une faute grave justifiant à ce titre son licenciement ;

Ça, c'est pour la cour d'appel…

Donc, là, elle semble bien d'accord qu'on puisse discuter à volonté de la validité/réalité d'un arrêt maladie dans la matinée qui précède l'instant de signature de l'arrêt de travail.

Et quand on lit le premier moyen de l'avocat dans ses trois premières branches, il semble emboîter le pas puisqu'il argumente sur ce qui a pu se passer avant la signature de l'avis, sans dire très clairement que la discussion est, par nature, totalement absurde : on ne tombe pas malade parce que le médecin signe un arrêt de travail, donc on n'a pas le droit de supposer que le malade ne l'était pas quelques minutes avant. Ce n'est que dans sa quatrième branche qu'il aborde le problème de la vie privée.

Début d'argumentaire dont la Cour de cassation n'a pas l'air de contester non plus le principe si on lit…

Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave et débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt retient
- que ce dernier a répondu par un mensonge caractérisé en profitant de l'imprécision de l'avis d'arrêt de travail qu'il s'était fait délivrer,
- qu'étant resté en garde à vue jusqu'à 11h25 il n'a pu consulter un médecin que postérieurement à cette heure et
- qu'en donnant des indications mensongères sur l'imputation de l'arrêt maladie et sur la cause de son absence, il a manqué à l'obligation de loyauté à laquelle il était tenu et qui subsiste en dehors de l'exécution de son contrat de travail
ce qui constitue une faute grave ;

Attendu, cependant, que chacun a droit au respect de sa vie privée ;

qu'il en résulte qu'il ne peut être procédé à un licenciement pour une cause tirée de la vie privée du salarié que si le comportement de celui-ci a créé un trouble objectif caractérisé au sein de l'entreprise ;

Qu'en statuant comme elle a fait, sans caractériser un trouble objectif qui aurait été causé par le comportement de M. X... au sein de l'entreprise Y…, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;


Traduction en clair, si j'ai bien tout suivi le raisonnement de la Cour de cassation : si l'entreprise avait pu "caractériser un trouble objectif qui aurait été causé par le comportement de M. X... au sein de l'entreprise Y…", trouble qui aurait été reconnu par la cour d'appel, alors elle aurait pu, respect de la vie privée ou pas, abondamment disserter sur l'heure de signature de l'arrêt et virer son employé pour faute grave, avec la bénédiction de la cour d'appel ?
Et avec l'absolution de la Cour de cassation ?

Et donc que, si un avis d'arrêt de travail est "imprécis" parce que ne mentionnant pas l'heure de délivrance, l'employeur a tout loisir de remettre en doute le fait que le malade était bien malade depuis le matin ? Et, dans le cas d'espèce, arguer que l'intéressé n'était pas encore malade à 11h25 ? De même qu'on pourrait en déduire qu'entre le dimanche à 0h00 et le lundi à l'heure de la signature du deuxième avis, il n'était plus malade. Donc qu'il n'a été malade qu'entre l'heure de signature du premier avis et pour le reste de la journée du samedi...
Sauf... si son comportement n'a pas créé un "trouble objectif caractérisé au sein de l'entreprise" pendant tout ce laps de temps !

Donc, j'en reviens à ma question initiale : Ubu ou Kafka ? :shock:

   Re: A quelle heure commence un arrêt de travail pour maladie

de pro operario   le Mer 20 Juil 2011 11:19

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En fait la Cour ne répond pas à toutes les moyens d'un pourvoi dès lors qu'un seul suffit à justifier la cassation. En l'espèce elle a manifestement considéré que la question de l'heure de l'arrêt n'était que de peu d'importance (quand bien même elle avait été retenue et par l'employeur et par la Cour d'Appel) au regard du principe du respect de la vie privée.
Cependant, et si on y regarde d'un peu plus près, on se rend compte que la Cour a très exactement répondu à la question que vous posez :

[quote]Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave et débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt retient
- que ce dernier a répondu par un mensonge caractérisé en profitant de l'imprécision de l'avis d'arrêt de travail qu'il s'était fait délivrer,
- qu'étant resté en garde à vue jusqu'à 11h25 il n'a pu consulter un médecin que postérieurement à cette heure et
- qu'en donnant des indications mensongères sur l'imputation de l'arrêt maladie et sur la cause de son absence, il a manqué à l'obligation de loyauté à laquelle il était tenu et qui subsiste en dehors de l'exécution de son contrat de travail
ce qui constitue une faute grave ;

Attendu, cependant, que chacun a droit au respect de sa vie privée ;

Ainsi, l'heure à laquelle le salarié consulte son médecin relève de sa vie privée. (En établissant l'arrêt de travail, le médecin certifie que l'état de santé ne permet pas au salarié de travailler)
... et ce qu'il fait de son temps pendant l'arrêt maladie aussi.

les seuls cas où les agissements du salarié pendant la période de suspension peuvent être sanctionnables, c'est lorsqu'ils se rattachent à la vie de l'entreprise. exemple : salarié qui prête à un tiers, pendant son arrêt de maladie, un véhicule de fonction assuré pour lui seul (cas soc 30 nov 2010)

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