1- Définition :
Transposant les directives européennes de 1977 et de 2001, la loi britannique, Transfer of Undertakings (Protection of Employment) Regulations 2006 ’TUPE’, définit le transfert d’entreprise de façon presque aussi barbare qu’en droit français.
Il y a TUPE (Transfer of Undertakings) dans l’une des deux situations suivantes :
ou bien il est transféré une entité économique qui conserve son identité,
ou bien il y a un changement de contractant dans une opération de prestation de service (’service provision change’).
Une entité économique est elle-même constituée par "an organised grouping of resources which has the objective of pursuing an economic activity, whether or not that activity is central or ancillary". Concrètement, la loi anglaise vise la plupart des opérations de business transfer ou d’externalisation de service.
2- Droits des salariés :
En cas de TUPE, les salariés britanniques transférés disposent de plusieurs droits :
le salarié peut refuser d’être transféré ("object to the transfer") ; dans ce cas, il sera considéré comme démissionnaire et il ne pourra pas invoquer le licenciement abusif sauf s’il démontre un changement dans ses conditions de travail lui causant du tort ;
à défaut de refuser le transfert, le salarié a automatiquement droit à la reprise de son contrat de travail par le cessionnaire (c’est à dire l’entreprise acheteuse) ainsi qu’au bénéfice des avantages individuels et collectifs y relatifs ; très exactement, tous les devoirs, droits et responsabilités de l’ancien patron à l’égard des salariés transférés passent au nouveau patron cessionnaire (ancienneté, préavis, clauses contractuelles, salaires, primes, accords et conventions collectives, usages, responsabilités contentieuses etc.) ;
3- Droits des représentants du personnel :
Au terme de la loi anglaise et des chartes de bonne conduite (ACAS Handling TUPE Transfers), le cédant (l’entreprise vendeuse) doit consulter les représentants du personnel aussi tôt que possible. Le cédant doit leur communiquer plusieurs informations, notamment : les raisons et la date du transfert, les conséquences économiques et sociales pour les salariés transférés ainsi que les mesures y relatives prises ou devant être prises. A défaut de consultation régulière, les salariés concernés ou impactés par le transfert ont individuellement droit à des dommages intérêts plafonnés à 13 semaines de salaires.
On relèvera que depuis le 31 janvier 2014, dans les entreprises de moins de 10 salariés, cette consultation peut avoir lieu directement avec les salariés quand il n’existe pas de syndicat reconnu dans l’entreprise.
Réciproquement, le cessionnaire doit consulter les représentants du personnel sur le transfert ainsi qu’indiquer les mesures prévues pour adapter et intégrer les effectifs à venir.
4- Droits du cessionnaire :
Depuis le 31 janvier 2014, la loi anglaise a étendu les prérogatives du cessionnaire.
Par principe, les modifications apportées aux contrats de travail transférés sont nulles si elles sont justifiées par le seul transfert. Toutefois, ces modifications peuvent être licitement apportées par le nouveau patron :
ou si elles ne sont pas liées au transfert ;
ou si elles sont justifiées par ’une raison économique, technique ou organisationnelle’ rendant nécessaire un changement dans les effectifs ;
ou si la nécessité de modifier le lieu de travail du salarié justifie le changement ;
ou s’il existe une clause dans le contrat de travail (par ex. mobilité) permettant de modifier les conditions de travail même si la raison principale de la modification est le transfert ;
ou si la modification porte sur un élément du contrat de travail qui résulte de l’application d’une convention collective et que cette modification n’est pas opérée avant l’écoulement d’un délai d’un an et que globalement, le nouveau statut du salarié n’est pas moins favorable qu’avant.
De même, le licenciement d’un salarié transféré est automatiquement sans cause réelle et sérieuse, sauf si le cessionnaire justifie d’une ’raison économique, technique ou organisationnelle rendant nécessaire un changement dans les effectifs’ ;
Enfin, le cessionnaire anglais qui projette des licenciements économiques peut démarrer la consultation des représentants du personnel avant même le transfert et alors que ces représentants du personnel sont encore chez le cédant.
Cette nouvelle possibilité légale permet d’accélérer les délais d’un licenciement collectif projeté post-transfert. Cela illustre la philosophie ’ultra- libérale’ du droit du travail anglais des transferts d’entreprise.
Discussions en cours :
Cher Monsieur,
Par principe, une clause qui contraindrait le cédant à indemniser, après sortie, de toute plainte intervenant à propos de la TUPE/ARD, à l’initiative du personnel pendant la durée de l’accord conclu, vous parait-elle contestable ?
Bonjour,
Merci pour cet article. Toujours intéressant d’avoir des points de droit comparé.
Vous écrivez "cette nouvelle possibilité légale permet d’accélérer les délais d’un licenciement collectif projeté post-transfert. Cela illustre la philosophie ’ultra- libérale’ du droit du travail anglais des transferts d’entreprise"... l’existence d’un "ultra-libéralisme" est un mythe (ou alors il ne s’agit pas de libéralisme). Il y a des mesures inspirées par la philosophie libérale, et d’autres (la plupart actuellement) qui ne le sont pas. A cet égard, contrairement à ce qu’on croit, toute mesure pro-business, pro-employeurs, ... n’est pas une mesure libérale, au contraire puisque les mesures pro-employeurs sont souvent des mesures protectionnistes...
Bref, ce petit écart fait, il me semble que, en l’occurence, permettre d’anticiper des licenciements économiques post-transfert, le plus amont possible, va dans le bon sens : des procédures moins longues pour un droit plus adapté à l’environnement économique actuel, un droit qui permet un dynamisme économique dont nous manquons cruellement en France. Au final, cette mesure me parait également bénéfique pour les salariés : moins d’hypocritie, d’attente, une adaptation nécessairement plus rapide. Bref, un droit qui accompagne les changements, au lieu de lutter contre par des mesures permettant un statu quo le plus longtemps possible...
Michel