Incompétence de la juridiction pénale des mineurs de statuer sur la responsabilité civile d’un mineur déclaré irresponsable pénalement.

Lorsqu’un mineur est déclaré irresponsable pénalement, quelle est la juridiction compétente pour trancher sa responsabilité civile ?

La réponse est donnée par cet arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 8 juin 2017, N°16-83.345

Dorian Y…, âgé de 10 ans au moment des faits, est poursuivi pour avoir commis des agressions sexuelles aggravées sur sa cousine âgée de six ans. Mme X, mère de la petite fille, se constitue partie civile en son nom personnel et au nom de sa fille.

Le tribunal pour enfants déclare Dorian pénalement irresponsable, faute de discernement et rejette les demandes de Madame X formulées à titre de dommages et intérêts.

Madame X interjette appel du jugement rendu par le tribunal pour enfants.

Par arrêt en date du 19 avril 2016, la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel de Rouen rejette également les demandes de Madame X, mais pas sur le même fondement.

La cour d’appel admet dans un premier temps que la déclaration d’irresponsabilité pénale fondée sur l’absence de discernement ne fait pas obstacle à l’indemnisation des parties civiles.

Mais, elle considère que les parties civiles ne peuvent être indemnisées, faute de prouver l’existence d’un lien de causalité ente la faute commise par Dorian et les préjudices invoqués.

Madame X forme un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt, tant en son nom personnel qu’en qualité de représentante légale de sa fille mineure Inès.

Par un arrêt en date du 8 juin 2017, N°16-83.345, la Cour de cassation casse cet arrêt, aux motifs que la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel de Rouen n’aurait jamais dû retenir sa compétence pour statuer sur l’action civile de Madame X.

Quelques explications s’imposent :

Tout d’abord, il convient de rappeler qu’un mineur, auquel on reproche d’avoir commis un crime ou un délit, ne relève que de la compétence du tribunal pour enfants ou de la cour d’assises des mineurs, et ne peut pas être déféré aux juridictions pénales de droit commun (tribunal correctionnel ou cour d’assises) (article 1 de l’ordonnance N°45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante).

Quant aux victimes (majeurs ou mineurs) de ce mineur délinquant, l’article 6 de cette ordonnance du 2 février 1945 rappelle que l’action civile peut être portée devant les juridictions pénales des mineurs et que la victime peut se constituer partie civile selon les modalités prévues par le Code de procédure pénale.

A ce titre, l’article 3 du CPP énonce que l’action civile peut être exercée en même temps que l’action public et devant la même juridiction. Cette action civile sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite.

Ensuite, selon l’article 122-8 du Code pénal, seuls les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des infractions dont ils sont reconnus coupables et de ce fait encourent des sanctions pénales et éducatives.

Ainsi, si le dossier pénal (une expertise) révèle l’absence de discernement du mineur, ce dernier ne peut pas être déclaré responsable pénalement.

Dans cette hypothèse, la juridiction des mineurs est donc dans l’obligation de déclarer le mineur pénalement irresponsable, faute de discernement.

Mais est-ce à dire que le mineur est également responsable civilement ? Est-ce que pour autant la victime n’est pas en droit d’obtenir indemnisation ?

Même si le mineur est déclaré irresponsable pénalement, il demeure responsable civilement si les conditions de la responsabilité civile sont réunies : une faute, un préjudice et un lien de causalité.

L’article 414-3 du Code civil précise d’ailleurs que « celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation ».

Ainsi, ces dispositions du Code civil s’appliquent au majeur irresponsable pénalement ou au mineur irresponsable pénalement, dans le cas où cette personne était atteinte, selon l’article 122-1 du Code pénal, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

La victime peut donc obtenir réparation de ses préjudices sur le fondement de l’article 414-3 du Code civil, et ce même si le mineur auteur des faits est déclaré pénalement irresponsable pénalement.

Concernant les majeurs déclarés irresponsables pénalement, le Code de procédure pénale prévoit que la victime, s’étant constituée partie civile, peut demander, selon le stade procédural, à la juridiction suivante de se prononcer sur la responsabilité civile de la personne et de statuer sur les demandes de dommages et intérêts :
- A la chambre de l’instruction, à l’occasion du prononcé d’un arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, selon l’article 706-125 du CPP ;
- A la cour d’assises, sans l’assistance du jury, après le prononcé de l’arrêt portant déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, selon l’article 706-131 du CPP ;
- Au tribunal correctionnel, à l’occasion du prononcé d’un jugement de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, selon l’article 706-133 du CPP.

Mais, alors qu’en est-il des juridictions pénales des mineurs ?

En réalité, aucun texte du Code de procédure pénale ne prévoit pour les victimes d’un mineur déclaré pénalement irresponsable la possibilité de demander de se prononcer sur la responsabilité civile de ce mineur et de demander de statuer sur les demandes de dommages et intérêts, contrairement aux dispositions su évoquées applicables aux majeurs irresponsables pénalement.

C’est ce qui explique pourquoi la Cour de cassation a cassé l’arrêt du 19 avril 2016 prononcé par la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel de Rouen, qui s’était considérée à tort compétente pour trancher les demandes de Mme X, mais tout en les rejetant considérant qu’elle ne justifiait pas du lien de causalité entre les préjudices invoqués et la faute du mineur Dorian.

Par arrêt du 8 juin 2017, la Cour de cassation rappelle le principe suivant :
« Attendu qu’il se déduit de ces textes qu’en l’absence de disposition spécifique le prévoyant, la juridiction pénale qui déclare un mineur pénalement irresponsable au motif qu’il était privé de discernement au moment de la commission des faits n’a pas compétence pour statuer sur sa responsabilité civile ni celle de ses ayants-droit  ; que l’examen des conséquences civiles relève alors de la seule compétence des juridictions civiles  ; ».

Si la juridiction pénale des mineurs est incompétente pour statuer sur la responsabilité civile d’un mineur déclaré irresponsable pénalement, la Cour de cassation précise que seules les juridictions civiles sont compétentes, à savoir le tribunal d’instance ou le tribunal de grande instance, ce en fonction du montant de la demande.

Ainsi, rien n’est perdu pour Madame X…qui devra saisir les juridictions civiles, qui auront la tâche de statuer sur le fondement de l’article 414-3 du Code civil, afin de déterminer l’indemnisation qui revient à la maman et sa fille.

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